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23 avril 2013 2 23 /04 /avril /2013 20:41

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Le voyage n'a pas de lieu mais un milieu, là tout est présent, Paul prend sa part, parcourt beaucoup de chemin avec ses parents et ses amis, descend, meurt. L'image du voyage. Le souvenir en pérégrination. Il y a un milieu comme lieu d'origine et destination du voyage. Ai-je atteint le but ? Suis-je l'invité ? Je me tiens sur la scène, même en tant que mort fuyant le phénomène. Il y a un milieu où exister, et la contenance est dmilieu/dt. La fuite devant l'apparence, pas de tranquillité... voyage... emporté... déchet, rien que déchet. Le pèlerinage, lui, est contenance du groupe, contenance des morts, communauté. Il me restait encore quelques représentations. Le déchet est partout. Ce qui nous appelle, c'est le devoir de reconstruire.

 

H.G. Adler

Un voyage

Christian Bourgois 2011

 

 

 

toutes les notes de 7ème vague sur Voyage

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21 avril 2013 7 21 /04 /avril /2013 21:18

autour du séminaire de

Françoise Davoine et Jean-Max Gaudillère

EHESS 2010/2011


(une lecture hypertexte de

La vie et les opinions de Tristam Shandy, gentleman

de L. Sterne)

 

 

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1713 - naissance de Sterne, gosse en retour de guerre, démolition de Dunkerque, un lieu hors du temps, constamment détruit; mort de ses frères: "une histoire de cendres". Tous les patients "le savent", dit JMG, ces angoisses perçues, sans mots, ce "quelque chose" de la réalité qui surgit, cette intrusion ressentie, exprimée. JMG enchaîne, les fous ne "voient pas" à travers, mais reçoivent des informations "périphériques" pour l'observateur "normal", qui lui dévie le atématériau (ils reçoivent par le bruit de la porte du bar, etc...); le fou est hypersensible (cf. le "logicien fou" K. Gödel, dont on dit qu'il cultiva dans son enfance cette hypersensibilité, cette faculté de son oeil pinéal). L'analyste davoinien, alors, donne beaucoup de lui à saisir à ses patients, et non une "bienveillante neutralité", et non plus simplement un refuge du registre "je suis de votre côté" de certaines prises en charge "classiques" du trauma: il faut savoir donner des gages. L'analyse davoinienne se pose bien sur la littérature. Des "détails"... car "rien ne ressemble plus à un champ de destruction qu'un champ de construction", ce mantra archéologique de FD, or la psychanalyse classique se centre sur la destruction, le récit d'atrocités accumulées, alors qu' il s'agit bien de retrouver le fil derrière les cendres. Ni Wittgenstein ni Apollinaire, traumatisés, ne quittent leur uniforme après la guerre. Quand l'outil des mots est cassé, il s'agit d'inventer, de restituer, dirait encore l'archéologue, de montrer ce qui ne peut pas se dire, de "raconter", toutes ces "digressions" de Sterne. Il n'est pas besoin de dater, nous dit ce dernier, car tu es l'auteur de ton histoire; le délire ne doit plus être considéré comme subi passivement, mais comme possible passage de l'objet au sujet. Des interruptions, mais des reprises, comme sur le chantier toujours actif dans ce temps sans plus de dimension, voilà le travail de l'analyse du trauma. Lors des combats le temps s'absente, et les signifiants, mais il y a de l'espace, le traumatisé parle de temps avec l'espace, dans un langage sans temporalité (ou sans cette temporalité à dimension unique que nous impose notre "normalité" à nous qui n'avons pas fait encore la traversée du traumatisme): "j'étais hier à Téhéran" déclare le patient. Géographie de la cure, voyage initiatique, Peregrino, marche, bateaux des évadés de la grotte-geôle. "Racontez-moi" votre voyage, et non les images de l'autre, soit-il Freud; le cadre nomade du cabinet doit bien donner à voir ces images géographiques, être cabaret ! Cas clinique, soudain surgit un beau paysage, un "paysage ami", "où l'avez-vous déjà vu, ce paysage ?": "C'est une maison d'enfance, en telle année", et voilà daté le début des abus sexuels, le voyage dans les images restitue le temps de l'histoire.

 

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Sa blessure (et celle de FD qui se livre) est pour la première fois abordée à la fin du livre (chapitre 19, livre VIII). Un tsunami "imaginaire", mais les populations sont mortes, un conditionnel de jeu des enfants (mais sans ce "on dirait que" de la psychose, le terrain de jeu n'existe pas mais il est la réalité). JMG, prolixe aujourd'hui, FD n'en parviendra pas à sa conclusion, nous balance alors dans L'or noir d'Hergé, les attentats, etc...: pourquoi Haddock apparaît-il alors et découvre-t-il les choses ? "J'vais vous expliquer", dit souvent ce nouveau venu... et la pipe explose ! Et vous ne le saurez jamais, pourquoi il est là: "it happens", hasard et nécessité. Reprise du fil, la balle vous est de tout temps destinée, dit Jacques le fataliste de Diderot, comme s'en assure J. Bousquet s'exposant volontairement au feu ennemi pour gagner le noir de source. Blessure, donc, par balle, au genou, en 1692, invalidité, "balle bienheureuse", vers l'écriture; et il est alors tombé amoureux de la Dame, celle de sa vie, et puis l'autre, manipulatrice. Tobie, lui, est blessé à l'"aine", et "toi et moi nous savons de quoi il s'agit", les vétérans disent leurs blessures, leur bataille. Au discours stéréotypé, normotypé, admis et sans empathie du "que c'est atroce la guerre", le trauma oppose la blessure et la compassion, qui passe par le "détail".

 

 

 

Une thérapie de proximité, et âme-et-corps (cf. les principes d'intervention de Salmon, 1917: immédiateté des soins, proximité du lieu d’intervention (champ de bataille), simplicité des moyens et du dispositif de soins, espérance de guérison: convaincre le sujet qu’il va guérir: Expectancy). Les pleurs. Le réconfort. L'infirmière. L'enclos du béguinage, la clôture que l'on peut franchir, car on n'y fait pas de voeux, espaces protégés pour jeunes filles en difficulté, spiritualité. Abus sexuel, recherche de conquête intime mais sans sexe, recherche d'immanence, d'un champ de construction. Le délire traumatique est un délire amoureux, mais sans bander. Aucun compromis de FD avec les bourreaux; "Dehors, Monsieur", au thérapeute qui avait abusé de sa patiente et voulait consulter... Trauma et Désir sont deux champs contigus, si on les mélange ça explose. L'amour c'est pareil que la guerre (la blessure, la dépendance-régression): la métaphore maintenant devient possible, le moment où l'on dit "comme" signe le recul de la psychose. Puis, après tout un travail, "il faut être bien en chemin pour atteindre le ravissement amoureux", vient un ravissement mystique, un coup de foudre, une extase, il redevient vivant, sexué, le dimanche après-midi ça lui explose. Syngué Sabour. La blessure est refoulée, la cicatrice gratte, insupportable; il la voit pour la première fois. Universel de toutes les histoires d'amour, érotique spirituel de troubadours (qui était aussi construction contre la vulgarité sexuelle de l'époque), comme le langage maniéré des schizophrènes, critère de diagnostic, dit FD; une sortie de la boue culturelle grossière et fascisante actuelle, une sortie par la délicatesse ! Mais déjà la veuve intervient dans le champ de la saillie...

 

 

 

Qu'y-a-t-il sous nos ruines ? Combien de morts nous poussent ? First do not harm, cas clinique: l'analyste affirme son pacifisme, elle est choquée par le GI "bourreau" qu'elle reçoit pour des problèmes sexuels. Elle ne le trouve pas "humain". Puis, elle lui trouve une "zone de combat" commune. FD, gênée à la lecture de cet auteur: culpabilise-t-elle d'une telle zone de combat, elle qui ne soigne pas les bourreaux ? La gêne: la perversion de la dulcinée, non tendre, calculatrice, tournée en mère pour faire bonne figure, nous dit Sterne, recherchant son propre plaisir masturbatoire, fanatisme, inceste. Au trauma, les brutes; au noir de source, les bons et les mystiques; au gris, les truands, les dulcinées perverses.

 

 

 

aucune zone grise n'est acceptable ?
Elle l'entraîna de sa main hors de cette tranchée où il perdait son sang...
L. Sterne

 

 

 

Et voici les noeuds du séminaire: la psychanalyse et l'interprétation sexuelle "à tout va" en lieu de prise en charge des traumatismes infantiles précoces, dans une assimilation "bienpensante" du champ de la perversion. Le premier Freud des traumas (cf. Etudes sur l'hystérie), l'inceste du père de Freud sur ses demi-frères (lettre à Fliess qui fut censurée par Anna Freud et Marie Bonaparte), puis l'abandon de la théorie de la séduction, et la théorie du fantasme... (Le Réel escamoté, J. M. Masson). Une théorie qui se détache de la clinique, une politique qui se détache de la guerre, et la psychanalyse sur l'arête de la perversion. Le "trou de serrure" parle pour le viol de l'oncle Tobie, c'est un langage des failles, le sujet y tient en réseau de fissures, quelque chose persiste et témoigne de son être à l'analyste. Dans l'accoutrement démodé des fous, il y a une temporalité, un "arrêt sur image", loin de ce racisme anti-fou actuel qui se dit structure, débilité, diagnostic. Des petites choses nous parlent quand plus rien ne nous tient, et qui ne sont pas des métaphores, mais des phores tout court; "rien de tel qu'une forme pour vaincre la peur", arts martiaux, armures, parades militaires, moules... mais le trauma, cette marche d'expansions et de condensations, est accès à la pensée. L'oncle Tobie n'était à l'aise qu'avec les femmes en détresse et en chagrin; tresser, c'est proposer une forme verbale à cette détresse pour apaiser le délire qui émerge dans la panique extrême, raconter une histoire, calme, de soi. Apaiser, voire en tressant deux détresses, c'est-à-dire deux présences, le trauma parle au trauma, quelque chose peut accrocher, un fantôme en rejoindre un autre, des morts partis par l'un et l'autre. JMG, jeune exilé en Picardie, devança l'appel militaire pour s'échapper de quelque chose. Une image survivante. Le caporal raconte une histoire face à la détresse de Tobie, autour de l'inquisition, cela touche à la maison de la veuve enjôlante, à l'araignée maternelle à la L. Bourgeois, à la structure, à l'esprit de calcul, mais cela aussi libère la ligne serpentine, qui s'évade, esprit follet, duende, génie qui sort de la forme. Parler à l'autre-sujet par les images-en soi-des morts; quelles sont les miennes ? "Il y aurait dû avoir quelqu'un entre toi et Philippe", me dit la mère; un grand-oncle disparu peut-être en Amérique, et chaque médecin a son petit cimetière, le mort plus ou moins fantasmé du carrefour où je ne pus m'arrêter, fuyant, et la neutralisation du père malgré l'été de la guerre, malgré les cinq bombardements traversés...

 

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27 mars 2013 3 27 /03 /mars /2013 18:14

 

 

(notes autour de

Hegel, Phénoménologie de l'esprit, Flammarion 2012, pp. 149-167,

La perception)

 

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L'unicité de la chose est perturbée par d'autres choses, la perception n'a aucun repos, et ce tout particulièrement dans le système médiat et non-réflexif de notre anthropocentrisme. C'est la déterminité (le tissu, l'apparence à nos sens des caractères dits secondaires de l'objet, mais qui supportent son aura, et contribuent à l'immédiateté parfois de la mémoire eidétique de l'objet) qui fait l'essence de la chose, tandis que l'inessentiel est ce qui distingue la chose des autres, par toute cette constitution  multiple et variée, mais qui existe pourtant par ailleurs, voile, Maya, reflet: la chose est le double dans la mesure où, dit Hegel. La variété n'est pas à l'écart de la chose, mais lui est inessentielle.


 

Ce multiple de la chose est conséquence de notre registre des sens, qui varie selon les dimensions d'univers dans lesquelles nous nous mouvons, univers physique et relativité, univers onirique et niveaux de conscience, univers généalogique, historique et construction de l'histoire, publique ou privée. Et si l'on considère non plus le système particulier où nous déployons notre existence, ou les quelques systèmes ou nous déployons nos existences, mais un tout (chaotique par exemple), alors la chose est une et totale.

 


 

 

La chose est une et totale, mais en même temps double, limitée et incomplète. Nous l'appréhendons par une démarche exploratoire, scientifique, de balayage (y compris des niveaux de conscience), ou par une perception de type eidétique, supraconsciente. Mais il y a bien une déterminité de la chose, la chose est bien en opposition à d'autres, le mysticisme de Hegel se décline dans cet oxymore chose Un / chose opposition. La chose Un n'est pas en connexion avec d'autres, mais en rapport de différence, d'opposition: la chose est essentiellement cette relation de rapport dont la chose "périt", et la perception classique relève de ce rapport entre les choses et non de leur essence. Tout ce que découvre la conscience va lui tendre à abolir l'inessentiel, et le rapport entre les choses en tant qu'objet de notre perception est corrolaire de l'impossibilité bergsonienne de la perception pure qui tiendrait à l'objet; le contenu tenu pour vrai de la perception n'appartient en fait qu'à la forme et se dissout dans son unité.

 


 

L'Un, l'être pour soi, n'est posé que comme quelque chose d'aboli, et ces deux extrêmes relèvent eux-même d'une entité unique. La progression entre l'être sensible et l'être universel recourt non pas à un processus cyclique (comme le penserait Eliade) mais à un exploratoire de cette structure en abyme du réel par arrachement-ajouts itératifs et continuels. Une union progressive dans le Un des singularités et de l'universalité, en puissances du "bon sens", du jeu. Mais alors la perception "résiste" à la conscience et à sa contradiction fondamentale, originelle, par la différenciation de perspectives (des "aussi", des "dans la mesure où", etc...), par la différenciation de l'inessentiel: "le vrai qu'on était censé conquérir par la logique de la perception s'avère être le contraire". Et c'est en celà sans doute que Certeau entend qu'il n'est pas d'essence, que l'essence est nulle, mais qu'il est une marche et un jeu, une invention du quotidien, et non une structure ou un cycle. C'est ce déroulement, poursuit Hegel, continuelle alternance entre détermination du vrai et abolition de cette détermination, qui constitue à proprement parler la vie, l'ensemble des faits et gestes quotidiens dans la conscience.

 

 

L'universel inconditionné est l'objet vrai de la conscience. Mais il n'en reste pas moins un objet, défini comme ci-dessus, appréhendé comme Un et comme double à cette nouvelle échelle, et s'ouvre un nouveau cycle ! Dans ce mouvement itératif, la conscience est elle-même intriquée dans son devenir; dans sa quête du vrai, la conscience n'est pas libre (quel est donc le formatage premier de notre conscience, et quels langages premiers la dirigent-elle aux tous premiers temps ?). Il est en effet des moments de cet exploratoire, et une autonomie des matières, qui s'interpénètrent sans se toucher; une pure porosité et une auto-abolition des choses, et une autonomie des différences. Ce qui perçoit et ce qui est perçu sont unis et non-distincts, mais également chaque côté, percevant et perçu, est réfléchi en soi. La force de cette opposition-mouvement (elle-même refoulée en soi, par itérations non-linéaires) est composée d'autant de moments évanescents par pertes de leurs déterminités: force de l'incompréhension, de la fuite des idées, de la perte de l'unité nocturne au juste-réveil, etc... Le mouvement lui-même s'effondre avec les substances, mais la vérité de la force persiste; la réalité de la force est en même temps perte de la réalité, la force est cette universalité. Hegel pose cette force même en concept, qui unit-oppose la force "active" réfléchie du soi et le medium "passif" des matières (dans une association qui fait écho à la phase initiale de la concentration, sur une perception interne ou externe, dans la technique de contemplation méditative). Dans des tissus aux échelles de conscience de plus en plus élevée, par itérations, on gagne "par ce milieu l'entendement du jeu des forces de l'arrière-fond véritable des choses", par une combinatoire de la conscience qui remonte la cascade de la combinatoire génétique du monde, mais dans un milieu qui est toujours un "disparaître", une apparition, un phénomène, c'est-à-dire une apparence de l'être qui est immédiatement non-être (seules les épiphanies néolithiques d'Eliade sont stables). C'est ce tout de l'apparition, cettte eidétique, qui constitue l'intérieur, le tissu, le milieu du jeu des forces, comme réflexion de celui-ci en lui-même.

 

 

L'apparition du phénomène et l'être de la perception n'ont qu'une signification toujours "négative", ou plutôt en contrepoint; les aires du réel qui nous apparaissent ne s'emboîtent pas concentriquement, mais ont une relation de contrepoint, dans une invariance d'échelle, tout au long du processus itératif d'émergence de la conscience. La quête semble illusoire d'infini, mais cette quête est elle-même le réel de ce monde suprasensible où sont déployées toutes les dimensions successives de l'objet, ce monde suprasensible nettoyé de l'opposition de l'universel et du singulier, nettoyé de l'opposition d'un ici-bas évanescent et d'un au-delà durable (mais hors tout chronos).

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24 mars 2013 7 24 /03 /mars /2013 17:02

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Elevation de murs, restitution de leurs fantômes. Sloterdijk (Globes, Sphères II, Pluriel, 2010, p. 240-87). Les murs des civilisations de la haute antiquité, les premières murailles, celles de Mésopotamie, notre berceau du néolithique, sont constitutives de notre immunité de surélévation, externe comme interne. Le castillo intérieur de Thérèse d'Avila reprendra encore, lui aussi, en quête de sa septième chambre, cette technognostique héritée du haut-empire romain. La foi est un effet psychologique secondaire à la construction des paléomurs:


 

Aucun religieux du premier palier ne peut discerner ce qui constitue le fait primitif de toute religion, considérée comme cryptoarchitecture: seul l'emmurement du dieu produit son mystère spécifique.


P. Sloterdijk


 

Edifices paléo-chrétiens, bientôt les cryptes s'armeront de forteresses-églises. Dans cette compétition des chambres successives, c'est la crypte, et son rocher originel, qui lui ne fait plus mur, qui tient de cette restitution suprême du mur-fantôme, quête de l'archéologue de l'antiquité et du monde médiéval. Nous recherchons constamment la crypte, et ce à la verticale aussi bien qu'à l'horizontale, dans une démarche phénoménologique où abscisse et ordonnée ne sont plus que des modes de chiffrement de notre emmurement et de notre désaliénation au grand carroyage. Là où, dira Augustin, notre Dieu est plus proche de nous que de nous-même. Ce vers où se diriger non plus en faisant la queue, en perçant les enfermements concentriques, mais en brisant les codes comme on voudrait briser les murs.

 

 

 

Sloterdijk nous redit Eliade, dans son exploration du sacré au néolithique, quand la foi des hautes-cultures relègue l'"inconscient" paléolithique dans des enceintes de murailles, dans la ville, d'où aucun recul n'est plus possible. Obscurci, isolé, retranché et perdu de l'autre côté du mur, le dieu créateur; dans la ville, un dieu "sauveur" auquel il faut désormais se livrer, sauf à retrouver la crypte: Sloterdijk nous donne ce lien étroit entre archéologie, foi et "psychisme néolithique" qui nous gouverne encore. Nous offre une lecture de cet ésotérisme néolithique, et de son hermétisme, du sadisme du constructeur, du masochisme du contemplatif emmuré. Gilgamesh, roi d'Uruk, cette énorme cité de sans doute plus de 50.000 habitants en l'empire et l'emprise de Babylone en 2700 avant J.C., Gilgamesh fait le premier récit, celui de son échec dans l'immortalité, sur lequel Epicure fera deux mille ans plus tard ce commentaire: "face à la mort, nous vivons tous dans une ville sans murs". Et si aujourd'hui, livrés au monde globalisant, les murailles physiques des cités ne sont plus aussi épaisses qu'en Babylone, si les parois sont fines, notre immunologie en est-elle pour autant modifiée, avons-nous quitté le néolithique ? Car si les limites de notre être ne sont plus en murailles concentriques mais en emboîtements décentrés et chevauchants, "réseaux", "entreprises", "classes sociales", etc..., ne sommes nous pas masqués au réel de manière encore plus complexe, distante et opaque dans cette "modernité" ? 


 

Si la Grande vérité l'emporte, alors la terre sera la propriété de tous. Alors les hommes n'aimeront plus seulement leurs proches, ils ne se soucieront plus seulement de leurs propres enfants. C'est celà, la grande communauté.

 

(vision de Confucius, face à la claustrophilie et la xénophobie de ses compatriotes)

 

 

 

Sloterdijk rejoint aussi la démarche mystique d'un de Certeau, dans cette description oxymorique du mur, car "les murs, porteurs de miracles, quoi qu'ils montrent déjà d'eux-mêmes, dissimulent en même temps quelque chose d'essentiel, même s'il ne s'agissait à première vue que du mur suivant". Quête de la crypte, de l'argile, du rocher originel qui est celle de l'archéologue sur son champ de fouilles, ou quête d'une cité utopique sans plus de murs, à l'image de la Tchevengour de Platonov, ingénieur es-argile qui s'emploie à faire déplacer chaque fin de semaine les quelques maisons encore debout dans une ronde de désespoir communiste, ou encore "graal" du mandala kalachakra tibétain où l'initié devra parvenir à franchir nombre de constructions avant de retrouver la semence pleine du centre emmuré. Car de la cellule primordiale à la cathédrale occidentale, la membrane, le mur, le rempart sont autant d'épiphanies.

 

 


 

Visions prophétiques d'îles plutôt que dissection du panoptique des tours-murs. Oasis en désert: d'où l'on sent plus que l'on ne voit, comme si l'on était en mer. Attrait pour l'immunologie,  mais en déconstruction, recherche de l'atteinte du fantôme archéologique du mur, du mur spectre total, métamatériau.

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19 mars 2013 2 19 /03 /mars /2013 21:53

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A la mort de Moreau, aux trans-formes s'impose maintenant le sans-forme du "Dieu éloigné", ce Dieu défaillant  d'Eliade, transcendance et médiateté, comme celle des sens par rapport à la représentation, rishis perdus dans la Maya. La forme, passage-douleur, versus l'alcool, plaisir-impasse. Les trans-formes déjà en perdent le langage, sans que l'on sache bien s'il s'agit maintenant d'un zaoum des émetteurs, ou d'une agnosie des récepteurs, d'une "syn-mantique" suprasymbolique, au-dessus du langage, ou d'une régression vers le bruit, cette asymbolie malgré les coupures. Il y a un retour animal au corps, dans l'île du Dr Moreau, comme il y a un retour-vieillesse au corps en dehors de l'île, retour que l'on dit désinhibition, utilisation de la main pour manger par la Vieille Maman, chute du rideau de la pudeur, etc... Ce qui semble un arrêt de pensée pour l'autre qui se croit plein-corps est accès à un nouvel être-pensée du synmantique. Un Khlebnikov, lui, eut ce langage avant le temps de l'Alzheimer.

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24 février 2013 7 24 /02 /février /2013 11:27

samsaraF0047.jpgDe la pharmacopée traditionnelle chinoise émerge à nouveau une innovation thérapeutique, et un espoir de traitement dans la sclérose en plaques: le fingolimod, isolé d'un champignon, est une substance analogue de la sphingosine (un "alcool gras" caractéristique d'une variété de lipides constituants les enveloppes cellulaires, et en particulier les sphingolipides de la gaine de myéline des neurones). L'atteinte de cette gaine de myéline est la caractéristique de la sclérose en plaques, mais le mécanisme des lésions de la substance blanche (que forme cette myéline dans le tissu nerveux) est inconnu, et encore classé du fait de cette ignorance  dans le tiroir des "maladies auto-immunes".

 

Le champignon Isaria sinclairii dont est isolée la molécule est un entomopathogène: infectant des larves d'insecte, il les tue et s'y développe en une arborescence caractéristique au-dessus de la larve morte, qui le fait désigner en chinois par l'image "insecte l'hiver-plante l'été"; il évoque la déterritorialisation des règnes par Deleuze dans son complexe orchidée-guêpe par exemple, ou plus simplement une autre possibilité de métamorphose que celle à laquelle nous croyions être destinés. Ce champignon est d'ailleurs utilisé en pharmacopée chinoise comme remède d'"éternelle jeunesse".

 

Les essais cliniques récents montrent une efficacité plus grande de ce nouveau médicament que de la référence actuelle, l'interféron-béta, sur la fréquence des poussées et l'évolution de la maladie. Abaissant la fréquence cardiaque, il nécessite cependant une surveillance cardiologique. Les immunologistes observent que le fingolimod entraine la dégradation des "récepteurs membranaires couplés à la protéine G", des dispositifs d'activation cellulaire usuels chez les vertébrés supérieurs. Par ce mécanisme, ils pourrait bloquer l'émigration à partir du thymus et des ganglions lymphatiques, vers la lymphe, le sang et les organes, des lymphocytes T "de réserve". Ce mécanisme indirect a été étudié dans le cadre de l'hypothèse "autorisée" dys-immunitaire de la sclérose en plaques, mais une action directe sur la gaine de myéline est cependant également probable du fait de la nature chimique du fingolimod

 

Une histoire presque magique. Isolée d'un champignon au pouvoir de moduler le devenir-papillon de la chrysalide, au projet de nous faire traverser les formes qui nous enserrent, cette "nouvelle" molécule est un bel espoir d'échappée des patients jusqu'ici enfermés dans un diagnostic de "sclérose en plaques" et qui pouvait semblait inexorable. Une maladie sans cause connue qui bénéficie d'un traitement à l'action elle aussi mal expliquée en physiopathologie conventionnelle, mais qui perpétue une connaissance et un usage empiriques attestés. L'occultisme auto-immun, lui, essaie encore de se raccrocher au wagon.

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20 juin 2012 3 20 /06 /juin /2012 14:22

(seul un libraire nomade et donc obsessionnel pouvait délivrer ces mots là)

arbre lyre

 

 

 

 

 

Laissons tomber les mots

Comme le jardin délivre le zeste et l'ambre;

Distraitement, généreusement,

A peine, à peine, à peine.


(...)

 

Tu demanderas qui a décidé

De la grandeur de ce mois d'août

Et pour qui toute chose échappe à la petitesse.

Tu voudras savoir ce qui s'est plongé

 

Dans la ciselure de la feuille d'érable;

(...)

 

Tu demanderas qui exige ainsi

La souffrance, en septembre,

(...)

Sur les dalles humides

Des hôpitaux d'automne.

 

Tu demanderas qui donc ordonne ?

(...)

 

J'ignore si l'énigme de la vague lueur

De l'au-delà est résolue,

Mais la vie est comblée de détails

Comme le silence d'automne.



Boris Pasternak

(10 février 1890 - 30 mai 1960)

Pierre Seghers Editeur 1958

Trad. E. Rais et J. Robert

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15 juin 2012 5 15 /06 /juin /2012 19:24

Notes autour de
Rituals of Dying, Burrows of Anxiety in Freud, Proust, and Kafka:
 Prolegomena to a Critical Immunology
J. Türk
The Germanic Review
2007 pp 141-156

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L'immunologie est-elle une propriété intrinsèque de tout système complexe, sujet, psyché, littérature, ou du ressort du seul vivant ?  L'immunité n'est propriété vitale que de part la limite que le vivant s'auto-administrerait, de quel type de mémoire l'immunologie des systèmes complexes nous parlerait-elle ?  L'immunité psychique aurait-elle pour finalité de limiter l'invasion du sujet par un excès de "souvenirs" qui le confronterait au chaos d'un réel par trop soudain - définition du traumatisme - ?

 Face à cette invasion par une agressivité qui n'est orientée vers aucune spécificité de notre être-histoire, mais dirigée sur l'ensemble indifférencié de notre tunique vivant/chaos, nos défenses spécifiques ne sont d'aucun recours, les abandons tragiques de W. Benjamin, de S. Zweig ou de P. Levi semblent signer l'échec de leurs tentatives d'immunisation par la littérature.


 L'angoisse est maternelle, maternante, cyclique, la frappe de l'angoisse est sans imagination; que serait d'ailleurs une anxiété à visée spécifique sinon une phobie ? Une anxiété dirigée ne relèverait-elle pas du domaine cognitif et comportemental plutôt que de celui de la psychanalyse ? Si le sujet a bien une mémoire, l'être lui, navigue dans un répertoire psychique continu et complet.

Une vision par trop immunologique, éducative de la psyché nous ramènerait à un processus de reproduction pure, normatif.  Le moi immunologique s'éduque au contact de l'épithelium thymique, dont les "auto-antigènes" sont conditionnés par la méïose, ce mélange en partie aléatoire et accidentel entre gènes d'origine maternelle et paternelle; il s'ensuit au niveau du thymus, au sein du répertoire dont chacun de nous est doté par le patrimoine de l'espèce, l'élimination des clones lymphocytaires par trop enclins à reconnaître en nous la part de père et de mère. Reste alors au petit d'homme à faire fonctionner au contact de l'environnement l'image en lui qui relève du fragment de père-mère dont il n'a pas hérité; en quelque sorte le réseau antigène-anticorps caractéristique de chaque individu immunologique est  l'espace intermédiaire laissé ouvert non seulement par les autres de l'espèce mais aussi par une part libre de sa généalogie directe.

 

Ainsi l'éducation immunologique de l'ego est-elle le contrepoint de l'acquisition du langage, dans la mesure où la mère va imposer sa propre découpe du réel par les signifiants à son nouveau-né. Dans l'acquisition du langage, les écarts aux objets, les "gaps" au réel seront constitutifs du filtre culturel maternel. Notre répertoire immunitaire fonctionnel se libère partiellement de la généalogie, tandis que notre péché originel psychique est celui de la matrice; nos souvenirs immunologiques sont à venir - et prolepses -, nos souvenirs psychiques seront à jamais analeptiques. La mémoire du sujet, comme les dimensions de temps dans lesquelles il navigue, sont des systèmes à facettes. La littérature peut-elle rejointoyer ces deux systèmes égoïques majeurs ?



 

Faire oeuvre d'historien ne signifie pas savoir "comment les choses se sont réellement passées".
 Cela signifie s'emparer d'un souvenir, tel qu'il surgit à l'instant du danger.
Walter Benjamin

 

 



Récupération esthétique du passé, épiphanies esthétiques proustiennes, exercices esthétiques pessoens, la réassociation de l'affect à l'objet, qu'il soit distant dans le temps et travaillé au télescope du roman, ou décortiqué dans l'immédiat au microscope du poète, contribuent à la cure du moi traumatisé, et rendu discret. Comme le note Proust, cette expérience de l'esthétique retrouvée relève de "forces anonymes" qui cotoient l'énergie de déliaison en circulation chez le traumatisé (ces phénomènes de réactivations ou "flash-backs" incontrôlés, qui seront maîtrisés a posteriori par leur mise en représentation progressive).

 

 

Ces forces anonymes à l'oeuvre sont elles primordiales à la nature, ou plutôt secondaires aux déliaisons successives à la matrice primordiale, placentaire, qui caractérisent la navigation sociale du sujet ?  S'il faut considérer une réelle force positive et anonyme motrice de la recherche esthétique, ne faut-il pas se référer à cette dimension "supralunaire" plotinienne de la pronoïa plutôt que d'ériger en contrefort de l'affect un mal constitutif ? Cette pronoïa qui représente l'état fondamentalement "lié", et qui encore gouverne l'être-sans que nous sommes devenus, redonnant par la littérature et l'art  des formes aux affects. La littérature agissant en médecine émotionnelle, mais conditionnée aux affects vécus, le réel se façonnant par cette mise en forme des affects déjà individuellement expérimentés, plutôt que par  une créativité dirigée et anonyme.

 

 

Ne s'agit-il pas de récupérer, de réactiver une approche de la forme de la mort, qui nous a été si précocement barrée par le langage ? Ne s'agit-il pas, comme dans tout conte initiatique, de retrouver les ponts et les sources qui font lien avec un état plein que l'interdit même de la notion de mort baigne de l'oubli ? Il y a sans doute une dimension d'atteinte à la connaissance du mal dans la stratégie de répétition compulsive du traumatisme que présente J. Türk, mais sans possibilité d'immunisation. Chaque mort est spécificité fondamentale du sujet,  il n'existe pas de rituel de mort, loin les perspectives cognitives qui ne visent qu'à fixer le sujet traumatisé dans une norme victimaire.

 



 L'Asie, elle, explore la mort à l'entrelacement continuel, sans pathos proustien, sans autruchisme kafkaïen, sans pansement culturel freudien; car le reste inhérent à notre mort est en nous et gouverne notre voyage: l'"analepse proleptique " de J. Türk est corporelle, plus que littéraire et symbolique. Une immunologie n'existe que d'un extérieur, et c'est un interne en abyme qui nous gouverne, notre angoisse ne s'appliquant qu'au réseau d'images internes des événements, qui nous constitue. L'immunologie ne s'applique pas au sujet psychique, dont les réseaux de limites relèvent d'une représentation, d'une construction.

 

 

 

La vie est élaboration d'un système immunitaire inefficace, d'un terrier kafkaïen. Dans le trauma, l'énergie douloureuse circulant entre les fragments dissociés du sujet rend le monde à la fois envahissant et disjoint, cette subjectivité traumatique est non linéaire, et non accessible au linguistique. L'anxiété et la répétition reposent, elles, au coeur de nos capacités linguistiques, reflet de l'interdit culturel précoce à toute une gamme de facettes de l'objet; nous ne pouvons nous immuniser ensuite que contre les facettes du réel restées apparentes, et d'autres processus sont nécessaires, au delà de la représentation et du cognitif, pour accéder à nouveau aux métamatériaux éclipsés à nos sens. L'élaboration d'un système immunitaire n'est qu'une survivance à l'écart de l'être, et non une exploratoire; une immunologie psychique n'est qu'une "poétique de la frayeur", une anticipation de la maladie contre laquelle on n'aura aucune prise, un refuge dans l'affect pur, sans ressources sémantiques.

 

 

Les limites que nous nous façonnons  portent en elles et oubli du bain du Léthé et quête d'immortalité. La mort est un phénomène subjectivant et non-spécifique, l'essence du traumatisme est sa répétition, la répétition permet l'accès à l'espace empathique "ça ou la mort", mais aucune immunité psychique ne s'exerce à ce niveau global et tissulaire de l'être, cet état du sans inter-règnes où environnement et soi s'interpénètrent. La réponse immunitaire est du domaine de la reconnaissance et de la forme; la mort, elle, de celui du changement de système de formes. Une impossible immunologie, peut-être, nous prépare-t-elle à un futur possible; et s'il faut nous immuniser, c'est bien contre la forme, non contre la mort.

 

 

analyse complète

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9 juin 2012 6 09 /06 /juin /2012 09:27

samsara-2707.jpg

yoga  (@alcoodoc)

 

 

résumé des épisodes précédents

 

La Maya ou illusion est réseau de limites, limites des règnes, des espèces, des individus, du moi. La limite n'est ni être ni non-être.

 

 

La limite n'est pas de l'être, elle marque un simple arrêt dans la dispersion pure du non-être.

 

 

 

La faille n'est pas de la limite mais d'un intermédiaire en partie commun aux êtres, et contrepoint de l'être. Elle prévient la fermeture psychotique de l'être.

 

La douleur est de la limite.

 

 

Qu'est-ce-qui est dans l'être de la douleur ?

 


 

Fissure c'est le vrai nom de toute différence, de toute diversité: bheda 


 

Par la fissure, de la douleur pollue la plénitude de l'être. Plénitude primordiale: Cankara introduit la très subtile et imperceptible fissure qui reléverait du non-être dans la nécessité interne de l'être plénier. Mais la contradiction de ce non-être potentiel en l'être n'est pas que conflit logique, l'incomplétude essentielle est portée par ce réseau de fissures, cette succession de chocs concrets, douloureux. Une pollution de la plénitude, et l'illusion de ce pseudo-réel tout rongé de non -être, et notre travail nécessaire est celui du détourage de l'être, a qui la maya attribue des noms et des formes en autant de modifications transitoires. Bheda est ce recul apparent de l'être, surcompensé par des déploiements admirables de plénitude variée. L'être est porté, étayé par un réseau de fissures lui-même contrepoint ou "polaire" topologiquement du réseau de limites de la Maya. La "surcompensation" de l'être peut répondre du religieux, de la norme sociale, en autant de pansements aux entailles de l'incomplétude; elle relève aussi des interdits logiques qui nous masquent à l'inconscient, et qui parfois se condensent en intuitions ou en rêves, à mi-chemin de la conscience et de la connaissance de notre être, qui nous est masqué par l'illusion objective du principe de causalité forme/substrat; or la contenance n'est pas un contenu brut, qui dépendrait d'une limite, mais une capacité de manifestation, qui se révèle en ces instants exquis où parfois pèse toute l'infinité.


 

Seule la partie de l'âme qui la nuit rêve était vivante en elle

S. Lagerlöf, Le violon du fou 

 

 

Le non-être est rejeté qui mord vraiment sur l'être à ses degrés inférieurs et y introduit des coupures; mais le réseau de blessures-fissures, conjonctions, lignes et noeuds transgénérationnels ou agénérationnels, est cependant l'espace intermédiaire du réel, l'outil par lequel nous partageons - ou ne partageons pas -  avec d'autres êtres des portions découpées, formées, de réel. Forme et permanence ne sont pas de l'espèce, comme le suggère Borges, mais de l'espace commun de jeu des êtres au réel (et dans ce jeu au cours duquel peut aussi à tout instant ressurgir le trauma jusque là retranché); cependant nous circulons bien "éternellement" dans le réseau par les formes, et d'espace intermédiaire en espace intermédiaire l'événement du sujet atteint au temps de l'être.


 

(sans bheda, jivatman se fondrait-il dans l'atman ?)

 

antonyme: yoga

 

 

 

 

bheda  

  fente, brisure; fissure (du. vagin) | destruction, violation | effraction; divulgation | état d'être brisé; froncement (des sourcils) | séparation; différence; intervalle | classification | intrigue, zizanie; corruption, trahison | math. hypothénuse d'un triangle rectangle | phil. dualité entre Dieu et l'Univers (opp. monisme [abheda]) | gram. violation d'une règle; ambiguité.

 

 


 

De tous ces liens qui nous rattachent aux choses,

il n'en est pas un seul qui ne se relâche sous l'influence de la souffrance,

laquelle nous libère de tout, sauf de l'obsession de nous-même.

C'est la solitude hypostasiée en essence.

E.M. Cioran


 

La limite corporelle est bien sûr celle de la douleur physique; le sujet, lui, souffre aux-autres-absents. La matière qui souffre n'est plus solidaire du reste de l'univers, s'isole, nous dit Cioran (Précis de décomposition, Gallimard, 1949); la douleur, agent de séparation, principe actif d'individuation, nie les délices d'une destinée statistique. Bheda est principe actif du sujet, non en tant qu'essence, non plus qu'en force primordiale, mais comme stratégie d'exploration du réel, les cloisons de la douleur étant appelées à la traversée des états de l'être. La douleur ne circule pas entre les êtres, elle n'est pas principe contagieux indifférencié, mais c'est un affect, un rasa de douleur, polaire de la compassion, qui contreforte la communauté des dividus. Et la douleur qui tend à séparer le sujet des choses, coque de pensée, est aussi processus de minéralisation, de rechosification, processus du passage de l'être: naissance et clivage/le lien cède la place à l'espace libre qui se dit mal/la douleur en circule/les baumes anesthésiques et culturels/mais l'oxydation du sujet relie de plus en plein au réel. Tout homme recèle une possibilité d'apocalypse (...), si chacun donnait libre carrière à sa solitude, Dieu devrait recréer ce monde: nous portons le potentiel du saut des mondes, mais nous faisons preuve de "civilisation", nous nivelons nos propres abîmes, nous nous masquons à nos failles... Le chaos ? C'est rejeter tout ce que l'on a appris, c'est être soi-même...


 

 

A chaque nouvelle blessure on apprend la sensation particulière à la parcelle de corps concernée.

Elle s'éveille. Chaque endroit de son corps où l'on se blesse ajoute un pan de plus à la conscience qu'on a des choses. On devient plus vivant. Et au bout du compte, une fois qu'on s'est blessé partout, on meurt.

A. Dillard

 

 

 

 



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8 juin 2012 5 08 /06 /juin /2012 13:48

La lecture du vedanta est un programme expérimental

 

O. Lacombe

L'Absolu selon le Vedanta

Paul Geuthner 1937

 

samsara-3201.jpgphoto@alcoodoc

 

lien

Mâyâ comporte un double pouvoir: pouvoir d'obscurcissement et pouvoir de projection dispersive

 

Le monde extérieur est le monde de MÂYÂ, que l'on peut considérer comme un réseau de limites, limites des règnes, des espèces, des individus, du moi. La limite n'est ni être ni non-être; ce réseau de limites ne s'étale pas sur un seul plan: il a une profondeur, ses déterminations se hiérarchisent depuis la plus haute qui est l'Absolu lui-même en tant que reflété sur MÂYÂ. Dans cette structure du monde englobante et en metalepse , la réalité est dans ce contenant ultime, cause de tous ces effets, émanation dans l'infinité des formes de l'univers sensible, et pas dans le spectacle que nous percevons et qui nous possède.

 

 


MÂYÂ est pouvoir magique, pouvoir d'illusion, illusion cosmique, de caractère collectif (qui la distingue donc de l'hallucination); c'est littéralement "l'art de projeter des formes", ou la dispersion du Brahman dans l'infinité des formes de l'univers sensible.

 

 

 

La limite n'est pas de l'être, elle marque un simple arrêt dans la dispersion pure du non-être. Il y a invariance d'échelle de l'Être entre l'état contracté et l'état dispersé, l'individu relève trop souvent - dans la seule réalité des frontières qu'il s'impose - d'une invisibilité métaphysique.

 

 

 

La métaphysique en devient testable, évolue vers une science expérimentale. Corollaire de l'absence d'inter-règnes, le savoir retourne à un état indifférencié, l'outil de la science métaphysique est ce regard intellectuel "ample et pénétrant".

 

 

L'Être est à la Maya ce que le Sujet est au Moi, ce que la psychanalyse est à l'existentialisme

 

 

 

SAT 

 

Le Vedanta est une philosophie de l'Être. Sat est l'être, l'esprit, l'absolu et le dieu personnel, le salut. Cankara construit sa doctrine totale de l'être autour de la notion de calme, de paix, et de profondeur. L'être est d'actualité pure, et sans dénivellation ontologique. L'être est une profondeur, un non-asujettissement à la limite, une absence de conformité à toute limite. L'être est simple, plein, infini; une essence, une contenance, et une invariance d'échelle de l'être. La contenance n'est pas un contenu brut, qui dépendrait d'une limite, mais une capacité de manifestation, qui se révèle dans ces instants ou pèse toute l'infinité. La contenance est plénitude structurale, simplicité et circulation du rasa. La substance, selon Kant, est "cette inconnaissable profondeur située à jamais derrière l'humanité connaissante et la poussant toujours plus en avant". Sat est plénitude apaisée, sans dissociation, sans fusion, sans appauvrissement. Ni schizophrénie, ni cotardisme, ni handicap, qui relèvent du réseau des limites, même s'ils tendent à les repousser (la psychose est cette fermeture de la faille du manque sur le chaos, sur l'absolu, dans une visée de tarir l'angoisse).

 

 

Il n'y a pas une réalité extramentale à laquelle notre pensée deviendrait plus ou moins conforme, mais notre connaissance spontanée adhère au contraire à son objet. Il n'y a pas de fusion désubjectivante à l'absolu: "la notion de pot est transitoire, pas celle de l'être", l'être porte en soi la très rigoureuse nécessité du principe d'identité, la différence est dans la fissure, la faille qui introduit la dualité (lien bheda); l'objet discret de la philosophie indienne est ce qui n'est pas, et dans un travail de ce qui est le contrepoint englobant du Moi, le pouvoir de nier le non-être objectif détoure l'absolu.

 

 

Le guru surimpose à l'absolu des formes de moins en moins limitantes qu'il nie les unes après l'autre; il propose des symboles de plus en plus transparents, qu'il retire l'un après l'autre. Démarche anarchiste, dépouillante, chemin mystique, nihilisme progressif mais conditionné, bayesien, étayé.

 

 

Sat est l'acte pur, l'acte apaisé; le karma est détente, dégradation de l'acte

 

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