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25 août 2019 7 25 /08 /août /2019 20:04
l'ashram de Maharishi Mahesh Yogi, "guru" des Beatles

l'ashram de Maharishi Mahesh Yogi, "guru" des Beatles

 

Âśrama signifie en sanskrit « âges de la vie » mais aussi « ermitage », ce lieu utilisé lors de la mousson par ceux qui mènent une vie ascétique, aux 3e/4e stades de la vie brahmanique, sramana (ermites, ascètes) et samnyas (renonçants).

 

 

 

L'ashram: une communauté regroupée autour d'un guru, modèle diffusé dans la contre-culture occidentale des sixties par l'expérience des Beatles à Rishikesh puis dans une clientèle de touristes « new-âge » saturés du mode de vie occidental et en tentative de « développement personnel ».

 

 

Mais l'ashram fut non seulement un refuge pour ermites et le logis d'une communauté religieuse aux règles spécifiques, mais aussi un gîte d'étape pour pèlerins, un lieu de transmission du savoir, et aussi une résidence royale lors des déplacements du souverain. Selon les inscriptions retrouvées au Baray oriental (ce vaste réservoir construit vers 900 à Angkor par Yasovarman I, sous le règne duquel, avec celui de son successeur Jayavarman II, l'empire connaît un développement massif), cent asrama ponctuaient le territoire khmer en expansion à la fin du IXè siècle, depuis le sud de l'actuel Laos jusqu'au delta du Mékong.

 

 

Dotés de bornes sacrées et constituant autant de marqueurs d'expansion de l'empire, les asrama de province, bien que dédiés à une seule divinité (Visnu, Siva) ou au Bouddha, accueillaient alors des religieux de toutes communautés, sans distinction. Les stèles sacrées sont parfois les seuls témoins attestant grâce à leurs inscriptions (identiques dans tout l'empire), de l'emplacement des asrama, ces derniers étant vraisemblablement construits essentiellement en matériaux périssables, au voisinage de sanctuaires importants (comme le Vat Phu). En effet l'asrama, rattaché à un temple, édifié secondairement à lui, ne se confondait pas avec le lieu de culte proprement dit. Une tenue modeste y était imposée, exception faite des dignitaires de très haut rang de passage (famille royale, brahmanes qui devaient cependant s'y priver de char comme de parasol, leurs principaux attributs). Les ascètes accueillis étaient astreints à une conduite irréprochable, et les hommes du commun n'y étaient pas acceptés. « Les brahmanes, les sectateurs de Visnu ou de Siva et tous les gens de bien pouvaient y coucher, y réciter leur prières à voix basse et s'y livrer à la méditation ». L'ancienne route khmère reliant le Vat Phu (province du Champassak de l'actuel Laos) à la région d'Angkor était ainsi ponctuée de temples, mais aussi de tels gîtes.

 

 

Sous Jayavarman VII, dernier grand roi de l'empire khmer (XIIIè siècle), et qui détermina le visage actuel d'Angkor en bâtissant Angkor Thom et le Bayon dédiés au bouddhisme mahayana, sous le règne du « roi lépreux » on parle de cent dispensaires plutôt que de cent asrama, qui ponctuent le royaume à son apogée. L'ambassadeur de l'empire du milieu Zhou Daguan décrit lors de son voyage les 90 provinces de l'empire khmer, et sans doute chacune d'entre elles était-elle alors dotée d'un dispensaire au moins. Les bâtiments sont les mêmes mais ne sont plus dits simplement refuges ou gîtes, mais hôpitaux: la parole du roi, si l'on en croit la lettre de La terrasse du roi lépreux (Y. Mishima 1966), se veut alors thérapeutique, après la guerre qu'il a gagnée contre les Chams et autres voisins, et qui lui permis de restaurer son empire et d'agrandir sa capitale. Mais déjà, romance Mishima, tous les ouvriers du Roi sont contaminés, surtout ceux qui, enchaînés, travaillaient sous terre aux soubassements du temple; l'ancien architecte en chef, déchu, est relégué à la construction des toilettes, mais aussi des dispensaires, et on ne voit personne en sortir guéri, dit-il. Le peuple a un Roi, et il devient nécessaire de tuer le Roi.

 

 

Ceux qui savent ainsi, ceux qui dans la forêt vénèrent en disant « l'ascèse est la confiance »,

ceux-là passent dans la flamme, de la flamme dans le jour, du jour dans la quinzaine claire,

de la quinzaine claire vers ces six mois où le soleil va vers le nord

 

Chandogya Upanisad

 

 

Bibliographie

J. Esteve & D. Soutif, Les Yasodharasrama, marqueurs d'empires et bornes sacrées. Conformité et spécificité des stèles digraphiques khmères de la région de Vat Phu, Bull. EFEO, 97-98 (2010-2011), p. 331-55

 

M. Santoni, C. Hawixbrock, V. Souksavatdy, The French archaelogical mission and Vat Phou: research on an exceptional historic site in Laos, Recherches nouvelles sur le Laos, Vientiane/Paris, EFEO Etudes thématiques (18), 2008, p. 81-111

 

 

 

 

Jayavarman VII dit "le roi lépreux"

Jayavarman VII dit "le roi lépreux"

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9 novembre 2018 5 09 /11 /novembre /2018 19:19
Brahmanes et Sramanes,  ou les histoires plurielles de l'« hindouisme » (M. Angot,   Histoire des Indes, 2017)

  

notes sur

M. Angot, Histoire des Indes, 2017

(chap. 2 et 11)

 

 

M. Angot critique la scientifisation de l' « hindouisme » par ses collègues L. Renou et M. Biardeau, cette dernière étant « obnubilée par le brahmanisme », comme la vulgarisation de cette thèse par Y. Tardan-Masquelier. Il y a sans doute là-dessous des conflits d'universitaires (O. Lacombe n'est pas cité à propos de Cankara !) mais cet ouvrage livre une étude historique des nappes culturelles dans le monde indien bien convaincante, critiquant le recours au mythes recomposés des « historiens des religions » à la M. Eliade (sans le citer)

 

 

 

 

Brahmanes et Sramanes,

ou les histoires plurielles de l'« hindouisme »

La cosmopolis sanskrite, la capture nationaliste, et l'océan du yoga

 

 

 

 

L'homme est un océan

Il dépasse le monde tout entier

Quoi qu'il atteigne il désire être au-delà

S'il gagne le monde de l'espace intermédiaire il désire être au-delà

 

                                                                           Rig-Veda

 

 

 

 

LE PLURALISME RELIGIEUX DU MONDE INDIEN,

ET LA CONSTRUCTION DE L' « HINDOUISME » AU XXè SIECLE

 

 

« Les Indes » ne coïncident avec aucun territoire passé ou présent, n'en déplaise aux colonisateur d'hier ou au nationaliste d'aujourd'hui. Une cosmopolis sanskrite a existé jusqu'au XIIIè, dépassant largement le territoire de l'actuelle Inde, sous l'impact de brahmanes migrant auprès de cours royales en Asie du Sud Est par exemple. Le brahmanisme est l'héritier du védisme, mais a incorporé nombre d'éléments autres, bouddhistes en particulier. Le terme « hindouisme », qui voudrait décrire la religion d'un monde homogène, est une dénomination britannique du XIXè, recyclant en particulier le terme dharma, et désignant des particularités sociales : on ne peut distinguer en Inde le religieux du non-religieux. Les élites anglicisées ont nationalisé l'héritage brahmanique, et le XXè voit naître l'adéquation « Inde/ hindouisme ». Cet « hindouisme » proclamé a pourtant un aspect protéiforme.

 

 

Jusqu'en 1845 on ignore, en Inde comme en Occident, que le bouddhisme est une religion née en Inde (E. Burnouf (1801-1852) est un des premiers à redécouvrir le passé indien du bouddhisme); on confond brahmanisme et bouddhisme en Occident, on pense que le jaïnisme est une hérésie bouddhiste, on considère dans le milieu indianiste européen, ou on veut affirmer dans le milieu nationaliste en Inde, que la religion des classes populaires indiennes est un « brahmanisme dégradé », un hindouisme du « passé et des campagnes ».

Or les castes inférieures ont longtemps été en dehors du brahmanisme, de part la « structure » de ce dernier, et de sa diffusion de cour, restreinte aux élites. Les textes sanskrits sont d'ailleurs peu accessibles, la majorité de la population utilisant des langues vernaculaires, et l' « hindouisme » reste longtemps étranger aux religions populaires ; les sudras (dalits) se considèrent d'ailleurs comme autochtones par rapport aux Aryas, importateurs des textes védiques.

 

 

Le brahmanisme, issu du védisme (à partir de -2000 ; originaire de l'Asie centrale et de la plaine de l'Indus), comprendra deux courants, un « royal », sanskrit et monumental, et un autre « renonçant », intégrant le yoga des sramanes du Maghada (Nord-Est de l'Inde actuelle, d'où sont issus jaïnisme et bouddhisme). C'est cette deuxième forme qui correspond à la perception par l'Occident de la « pensée indienne ancienne », mais elle ne touche qu'une minorité, et des religions populaires prédominent. L' « hindouisme à l'occidentale » (cf. par exemple le film A passage to India, 1984) est un kaléidoscope de dieux innombrables, de rites sociaux et de rituels magiques présenté en religion homogène, « un -isme des Indiens sous regard britannique », quand ni la complexité historique de la péninsule, ni sa culture, ne sont réductibles au carcan d'un certain esprit de système cartésien. Le pluralisme religieux et le protéiforme indien ne peuvent s'inscrire en catégories d'une école universitaire occidentale ; et le terme « religion » n'est pas une catégorie adéquate à décrire l'intrication d'un religieux très diversifié et du non-religieux en « hindouisme ». Les différentes écoles, sectes, communautés, castes, etc... en sont les seules réalités culturelles, sur lesquelles les Occidentaux jetèrent leurs « -ismes » classificatoires, et les nationalises indiens aujourd'hui leur hindouisation uniformisante.

 

 

Le monde indien connaît historiquement un pluralisme religieux à grande échelle. Il n'existe pas « en Inde » de foi exclusive - le brahmanisme antique était inclusif - mais en fait un fond commun et des pratiques communes à trois religions, brahmanisme, bouddhisme, jaïnisme, avec des passages et des transitions (qui se développeront aussi avec le christianisme et l'islam). L' « hindouisme » est une image sur fond de constantes interactions et évolutions. Des religions tribales ou « primitives » ont en effet été confrontées aux vagues culturelles successives (parfois représentées comme « flux des invasions »). Dans ces flux, des religions disparaissent en tant qu'entités (le bouddhisme vers 1000 en Inde ; le brahmanisme à Angkor ou en Indonésie au XIIIe). Dans l'espace montagneux de l'actuel Afghanistan, mazdéisme (polythéisme pré-zoroastrisme), bouddhisme et cultes védiques coexistèrent longtemps (jusqu'à la fin du XIXè) face à la montée de l'islam.

 

 

 

LES DEVELOPPEMENTS DISTINCTS DU VEDISME (VENU DEPUIS L'OUEST DE L'INDUS) ET DU SRAMANISME (AU NORD-EST DE L'INDE)

 

 

Le védisme des origines, ou le texte connu d'une religion inconnue

Les religions védiques (-1500 / 500) sont présentes de l'Asie centrale à la plaine de l'Indus. Veda brahmanique et Avesta iranien seraient des textes frères. Le Veda n'est pas autochtone en Inde (comme le rêveraient aujourd'hui les idéologues nationalistes): des échanges culturels indo-aryens ont eu lieu en nappes depuis l'ouest de la vallée de l'Indus. Il n'a pas non plus été un apport imposé par des populations exogènes (il n'y a pas eu invasion d'Indo-Européens en Asie du Sud, mais une diffusion entre aires culturelles interpénétrées). Ces religions utilisent un sanskrit oral ou « archaïque », véhiculé par des poètes de clans nomades, une parole sacrée, énergie des hymnes, transe, pouvoir du mantra, « parole de force ». Le brahman védique est initialement le nom de l'énergie particulière présente dans les hymnes. Ces religions considèrent plusieurs plans de l'univers (dieux / forces / hommes) et une harmonie entre l'expression et la chose exprimée. Elles ne pratiquent pas le prosélytisme. Le Veda désigne l'ensemble des textes védiques, rassemblés tardivement.

 

"Cette correspondance du rita et de yasha qui se poursuit
ainsi jusque dans les derniers détails de l'expression, à travers
toute une série de formules techniques, qui sont à la fois
trop particulières et d'un emploi trop consacré pour qu'une telle
concordance soit l'effet du hasard, nous reporte à une conception
commune, antérieure et à la religion védique et à la religion
mazdéenne, à une conception qui était déjà formée et munie de
tous ses moyens d'expression dans la période indo-iranienne.
C'était la conception d'un ordre cosmique et religieux"

(James Darmesteter, 1877) 

mais concept de Dieu créateur dans les religions mazdéistes

versus  une vision hylozoïque du monde en Inde védique

 

 

Rédigés vers le VIIIè, les Brahmana exposeront la manière de réaliser les rites sacrificiels, cette fois dans une prose sévère éloignée de la poésie des hymnes du Veda, et développent une orthopraxie plutôt qu'une réflexion doctrinale (voir Cuire le monde de Ch. Malamoud ou Paroles de Brahmanes de M. Angot). Les rites supposent la réarticulation entre une vérité ordonnée transcendante et une réalité sujette au changement, au désordre ; un rite n'est pas « fait » mais « tendu » (tan-) ; il intègre ordre (ritam) et désordre (nirriti) dans une religion de totalité et non de vérité : il n'exclut pas erreur, faux, désordre. Le mal n'est pas externe, le rituel ne refoule pas la mort dans un monde « étranger », même s'il cherche à maintenir à une distance respectable la face noire des dieux. La persistance de l'âme est un concept étranger au védisme des origines, et les rituels relèvent de la religion de l'homme en société (les richesses, la descendance, la renommée, etc...). Il ne s'agit pas de renoncer à un « monde matériel » pour une « quête spirituelle » mais de « gérer » la complexité du monde (dans laquelle le singulier n'a pas de sens) par les rites.

 

 

Wikipedia : Un brahmane (sanskrit : brāhmaṇa ; devanagari : ब्राह्मण ; lié au sacré1) est un membre d'une des quatre castes (varṇa) définies par l'hindouisme, regroupant notamment les prêtres, les sacrificateurs, les professeurs et les hommes de loi – ou plus largement les enseignants du Brahman. Le brahmane a pour devoir principal d'incarner le dharma, de le défendre, et de le faire respecter par les autres castes sacrées, afin de maintenir le bon ordre cosmique2. La caste des brahmanes représente environ 6 % de la population de l'Inde.

 

 

Le brahmanisme s'exporte dans les cours royales en une cosmopolis sanskrite

Les rites védiques se perpétueront dans les rites domestiques brahmaniques, en particulier dans les cours royales ; « des mythes védiques comme les trois pas de Vishnou ou post-védiques comme le barattage de la mer de lait (Ramayana), constamment réactualisés, traversent toutes les formes de religion d'origine indienne jusqu'à aujourd'hui ». La langue védique, elle, disparaît avec la religion du Veda, et un sanskrit modernisé devient la langue d'une élite. La force du modèle sanskrit et brahmanique de royauté s'exporte. Des brahmanes pauvres cherchent fortune en allant à l'étranger gagner la faveur des rois. Les brahmanes sont facteurs de mots et créateurs de concepts, et ce sont ces mots et ces concepts qui sont réalisés, c'est-à-dire transformés en temples, par exemple dans les pays khmers, sans qu'il y ait eu forcément imitation des formes architecturales : chaque région de la cosmopolis sanskrite a donc sa créativité propre.

 

Le barattage de l'océan, motif décoratif dans Angkor Vat la vishnouite, principe architectural dans Angkor Thom la bouddhique, élément central de l'aéroport de Bangkok au XXIè siècle

 

 

 

Sramanisme

 

Au Magadha (actuel Bihar) existaient des ascètes pratiquant diverses formes de yogas, et sans doute autant de communautés sectaires, dont serait issu Vardhamana, prédicateur du jaïnisme, contemporain ou légèrement antérieur au bouddhisme (-Vè), tout comme Gautama. D'autres on ne connaît que – parfois - les noms.

 

Wikipedia : le mot sanskrit śramaṇa est dérivé de la racine verbale śram "'exercer, effort, travail". Śramaṇa signifie donc "une personne qui s'efforce". Le mot toungouse chaman en dériverait.

 

 

Bouddhisme

Gautama (le Bouddha) est né dans cet aire du nord-est du Maghada et ne rencontra sans doute pas ou peu d'érudits brahmanistes. Il parle le maghadi, et sans doute pas le sanskrit. Il pratique plusieurs formes du yoga qui existait déjà en cette région. Il parvient par lui-même (ce qui est considéré comme rarissime dans les traditions indiennes) à la bodhi ou clairvoyance, mais sursoit à son extinction complète, par compassion, pour enseigner, parler, enseigner de façon non systématique. Il insiste sur l'aspect exotérique, accessible à tous, de son enseignement. Il fait le constat mystique de la souffrance universelle, liée au samsara, la vie qui court ; celle-ci se nourrit à chaque naissance (jati) des actions anciennes (karman).

 

parvenir au terme des soifs

 

Il est itinérant, les ermitages ne sont que des refuges de temps de pluie. Sa vie sainte culmine avec le sermon de Bénarès. Incinéré, ses restes sont partagés entre les fidèles, qui élèvent un tumulus (stupa) au-dessus de la relique. Ses enseignements ne sont écrits que plusieurs siècles plus tard, la transmission orale était lâche, on ne sait pas exactement ce que le Bouddha a dit, la plupart des événements de sa vie sont légendaires : le bouddhisme réel est celui inventé par les moines qui interprètent son enseignement (au -IVè / -IIIè siècle, soit sans doute plus d'un à deux siècles après sa vie). Les textes « originaux » sanskrits (le Bouddha parlait le maghadi) n'ont été retrouvés que tardivement. La métaphysique bouddhiste dénie l'existence d'une âme permanente. Mais lui-même, ou ses exégètes les plus précoces, auraient été volontairement imprécis sur la notion de l'existence d'un Soi, d'une âme substantielle (Cankara (vers 800) reprocherait à tort à Bouddha, selon M. Angot, d'avoir affirmé qu'il n'y a pas de Soi). Certains bouddhistes inventent le pugdala, très proche de l'âtman brahmaniste. Le combat bouddhiste qui consiste à tarir la source du désir se passe au plan psychique (on ne recherche pas l'immobilité du corps comme chez les jaïns, ni à localiser le point fort et immobile de la personne (dasein) comme le feront plus tard les brahmanes).

 

 

Les prophètes, ces extincteurs mondains,

qui détourent l'accès à la pleine connaissance, puis se retirent dans une légende dorée – ou religion -

où nous nous isolons à nouveau.

L'ascète (samana, sramana) enseigne la cessation des choses, qui naissent des causes

 

 

Ce n'est qu'au temps des Mauryas que les bouddhistes rencontrèrent les brahmanes, représentants du védisme tardif, et beaucoup de docteurs bouddhistes seront alors des brahmanes. Camkara critique autant les orthodoxies brahmanistes que les écoles bouddhistes. La critique et la construction inter-écoles sont caractéristique du monde indien ; les commentaires des textes donneront eux-même lieu à d'autres apports et discussions. L'idée d'un bouddhisme pur venant critiquer et s'opposer frontalement à la docte brahmane légaliste est une construction occidentale, même si le bouddhisme est né initialement dans un monde non brahmanisé.

 

 

L' « originaire » du bouddhisme est monastique, et renoncement mondain ; dans la religion populaire sont intégrés des rites magiques (plus compatibles également avec le brahmanisme : agrégation d'éléments prébouddhiques tels que culte du naga, magie sympathique, etc...). Le bouddhisme originel est anicônique, on vénère les traces ou pada, nirvana ou présence d'une absence, empreinte des pieds ; les reliques permettent de pallier l'inexistence des icônes. On commence à le sculpter au 1er siècle (lors du contact avec les Grecs), mais l'icône reste initialement associée à la relique, ce reste d'un corps : elle est reste d'une image, et non transcendance divine comme dans le christianisme. Les vies antérieures du Bouddha sont contées (et comptées, n = 550 environ) dans les jataka, avec une iconographie fantastique que l'on retrouve en Asie du SE (cf. l'histoire de Vessantara, promis à l'éveil plus célèbre que le Bouddha lui-même, d'où provient l'épisode de la prise de la terre à témoin). Renaissance d'un être, punition des enfers chauds et froids, incarnations en animaux variés, l'iconographie prend le pas sur la métaphysique bouddhiste.

 

Purnakumbha ou pot de plénitude,

symbole souvent représenté sur les stupas

 

Jusqu'au VIè, le stupa, originairement construction ronde des « barbares » du Magadha - dixit les brahmanes aux normes carrées - est un monument si plein que les grammairiens inventent la racine stu- « agglomérer » pour expliquer le mot. Le stupa accueille les os et les dents du corps incinéré et dispersé du Bouddha. On fabrique des stupas-reliquaires portatifs, évolution vers les mandalas. Les temples, eux, sont excavés où enserrent une cella, des temples brahmanistes sont réutilisés dans la cosmopolis, ou, plus tardivement, temples en forme de stupas qui alors sont creux (au XVè au Bhoutan).

 

 

L'ultime des penseurs du Veda est linguistique, les philosophes du renoncement eux vivent pour éteindre en eux la parole et la vie, leur ultime est silencieux, non linguistique, non discursif

Les bouddhismes privilégient le message, les brahmanes n'en séparent pas la langue (leur ultime du mot, cependant, n'est pas linguistique, qui touche à la chose)

Vision des rishis exprimées en mots sanskrits,

œil interne des yogis (monisme de la pensée préverbale ?) et image ineffable,

polissage de l'icône des mains et pieds des dévots

 

 

L'expansion du bouddhisme dans la péninsule débute au – IIIè, alors que le déclin commence tôt au Maghada, dès le IIIè des monastères sont abandonnés.Au XIIè, certains des moines survivants aux sultans musulmans fuient en Birmanie, d'autres au Tibet (« seconde conversion » du Tibet au bouddhisme, tantrique et proche du sivaisme). Le Sri Lanka a une importance très grande à partir du XIIIè dans la diffusion du bouddhisme theravadin. Le bouddhisme s'étend des steppes d'Asie centrale jusqu'en Corée, mais disparaît de son pays d'origine ! La disparition n'est cependant qu' « institutionnelle » car ses valeurs pénètrent en profondeur les religions brahmanistes, Bouddha devenant même un avatar de Vishnou.

 

Le bouddhisme comprend actuellement des formes religieuses très différentes, bouddhisme réformé de Sri Lanka, tantrisme tibétain, zen japonais, etc... Le bouddhisme, religion en Inde, a également pris en Asie hors de cette dernière une importance socio-économique. En Occident, des valeurs individualistes (« développement personnel ») s'imposent aux enseignements bouddhistes, parfois réduits à une simple thérapeutique anti-stress... dont on vient à nier le caractère religieux ! On compte plus d'une trentaine d'écoles bouddhistes. Elles sont regroupées en trois ou quatre grandes familles : theravada, parole des anciens, surnommé « petit véhicule » par ses adversaires, diffusé en Asie du SE ; mahayana ou « grand véhicule » en Chine et au Japon; mantrayana et vajrayana (« véhicule du diamant »), qui relèvent tous deux du tantrisme en Asie centrale, le dernier étant intégré au lamaïsme tibétain à partir du XIIè siècle. Aucune de ces voies n'est fixée, des théories sont empruntées ou discutées entre elles. Dans le theravada, les libérés, accomplis (arhat), renoncent et atteignent le nirvana par la rigueur et la discipline personnelle (« une connaissance se produit spontanément chez les éveillés solitaires » (Nagarjuna, + IIè ?); le boddhisattva, lui, retarde sa propre délivrance pour travailler à la libération de tous, hors de la voie monastique, dans la bhakti (dévotion) ; le bouddhisme n'est pas ici commémoration du Bouddha, mais une voie pour devenir buddha. Le bouddhisme, au lieu d'être une pratique de renoncement, devient une religion (la coupure décisive est entre theravada et mahayana). Fortement inspirés de l'hindouisme, les préceptes du mahāyāna réintroduisent des idées écartées par le Bouddha, le salut par la dévotion, le ritualisme ou la présence de divinités.

 

 

Le tantrisme transmute (les toxicités, etc...)

La karuna est une position (védique, intégrée au mahayana) par rapport à la souffrance (bouddhiste)

 

 

 

Le jaïnisme (Vardhamana, alias Mahavira, « passeur de gué », -VIè ou -Vè, connaît l'omniscience sous un arbre sala, et entre en nirvana à 72 ans) est une pratique voisine et rivale du bouddhisme, sans doute légèrement antérieure, au Magadha, et en magadhi. Parmi les écoles sramaniques, il est peu missionnaire, et élitiste. Il n'entre que secondairement en confrontation avec le brahmanisme (-320, lors de l'unification de la plaine indo-gangétique par les mauryas). Le sacrifice où l'on verse le sang y est condamné. Il comprend les pratiques ou notions d'ascétisme et de yoga, de rétribution karmique, de cycle des renaissances, fond commun de croyance du Magadha (et aujourd'hui attribué à l'Inde de manière générale, alors que les Upanishads n'évoquent la notion de karman que comme élément allogène, cf. travaux de J. Bronkhorst dans les années 2000). Cependant il diffère du bouddhisme sur les pratiques et théories pour mettre un terme au karman et au samsaran : seules les actions sont pour eux porteuses d'un dépôt qui ensemence l'avenir, tandis que pour les bouddhistes importent aussi les actes intentionnels, le désir, même non suivis d'actes corporels (doing et making y sont confondus). La pratique jaïna est dans l'immobilité du corps, car le karman (action) est confondu avec le mouvement (posture kayotsarga, « abandon du corps »). La douleur ressentie dans l'immobilité, endurée, consume les germes des actions précédentes : il s'agit de combiner extinction des germes anciens et non-ensemencement du futur.

 

Un plaidoyer pour un primum non nocere, mais une caruna active ?

De même, les jaïnas se font violence, acceptant la douleur, pour être non-violents

 

Les jaïnistes appréhendent l'ahimsa dans une forme positive de « non-violence », de médiation, de solidarité en actes avec tous les êtres ; c'est un refus fondamental de verser le sang, qui laisse vivre dans l'interdépendance de tous les êtres. Ces règles concernent moines et nonnes, la vie des roi et du peuple reste possible sur un autre pied ; les laïcs ne pratiquent que les « vœux mineurs » (s'abstenir de toute action évitable qui pourrait être nuisible ; limiter l'espace des activités mondaines et professionnelles ; s'imposer la modération en tout ; méditer plusieurs fois par jour ; jeûner et veiller régulièrement ; distribuer des aumônes). Il existe de nombreux schismes au sein du jaïnisme, comme dans toutes les religions indiennes ; les digambara sont « vêtus d'espace » (nus) et les svetambara « vêtus de blanc ». Le jaïnisme a été décrié et persécuté, de la part des shivaïtes en particulier. Le svastika sumonté du candrabindu (« point dans la lune ») est un symbole important du jaïnisme. On ne prie pas le dévot (siddha) mais on médite sur l'âme libérée de ce corps vide.

 

Comme les moine bouddhistes, les jaïnas sont particulièrement persécutés par les nouveaux venus musulmans (après l'avoir été par les shivaïtes). La communauté disparaît quasiment dans l'est, peu de temples (construits sur le modèle hindouiste) subsistent. Aujourd'hui, les jaïnas indiens rejettent le modernisme occidental, ceux d'Amérique ont une vision new age, écologique.

 

 

 

LE BRAHMANISME

 

Le brahmanisme développe des catégories de pensée qui vont profondément influer les sociétés indiennes jusqu'à aujourd'hui : idée du dharma (ordre socio-cosmique), le seul que l'on est habilité à suivre ; théorie des varna (classes socio-cosmiques) ; théorie des quatre purusartha ou aspirations légitimes (ordre du monde, économie-intérêt, amour, et désir de libération ou moksa) ; théorie des asrama (âges de la vie) ; théorie des quatre yuga (ou éres ; la Bhagavad-Gita raconte le passage apocalyptique entre deux yuga ; nous vivons actuellement dans le kaliyuga, le temps au dharma le plus dégradé). Dans ces conceptions le temps s'écoule cycliquement, l'histoire à l'échelle humaine est théoriquement absente.

 

 

Le brahmanisme du Ier millénaire va adopter un ensemble de pratiques et d'idéologies issues du yoga, ce courant sévissant au Magadha (régions des actuels Bihar et Uttar Pradesh) et qui a donné naissance aux deux religions du bouddhisme et du jaïnisme. Dans les Upanishads tardives émergent ainsi les valeurs du renoncement, la recherche du nirvana. Le monde des vanités et de la souffrance, thème bouddhiste, se retrouvera dans le yoga-sutra brahmaniste ; il y a « irruption » de la notion de non-persistance de l'âme dans le brahmanisme. Des ascètes, dans la lignée des sramanes du Magadha, tournent le dos au monde et regardent vers un hors-monde spirituel, mais restent une minorité parmi les tenants du « oui au monde » des cours royales, etc... Ces deux courants cohabitent, moines mendiants et cours, se soutiennent, se valorisent, les seconds construisant stupa et monastères des premiers ; le brahmanisme est un ensemble de religions où coexistent ces deux dimensions, renoncement et rites royaux, pravrtti (acquiescement) et nivrtti (renoncement). On théorise, dans cette tension interne au brahmanisme, des passages. Ainsi le maître de maison et le renonçant des « âges de la vie » , dans le yoga-sutra (début du 1er mill.) ne connaît-il que le yoga sans retour, le voyage de l'ascète qui se termine par l'arrêt du mental, l'isolement de la monade spirituelle tandis que meurt le corps ; mille ans plus tard le Yajnavalkya valorise lui un retour dans le monde de l'ascète doté de pouvoirs extraordinaires.

 

Plus de cuisson des aliments ni de vêtements tissés pour le renonçant : ni oxydation du vivant, ni solutions de pensée dans le langage, mais un vivant primordial inaltéré

 

Désir brahmanique et ascètes. Le brahmane juge négativement le sadhu, leurs ascètes sont plus policés, samnyasin ou renonçants, proches des moines bouddhistes ou jaïnistes. Cankara (tenant du vedanta non-dualiste) est un ex-brahmane renonçant, tondu ; les hirsutes sont en général des non-brahmanes. Veda indifférent à la consommation de viande, végétarisme strict du jaïnisme, limitation dans le bouddhisme ; le brahmanisme adopte le végétarisme des yogins. Dilution des sramanes dans le brahmanisme.

 

O. Lacombe, L'absolu selon le vedanta, p.241 : antérieurement à la période des Upanishads s'est élaborée une doctrine de la vérité (l'exactitude du verbe védique) qui imprégnera pour toujours l'orthodoxie indienne et que Cankara, contemporain des Upanishads tardives, qui admet l'acosmisme, l'illusion du monde, emprunt bouddhique, s'efforce de préserver dans ses commentaires.

 

 

Dans le védisme, contrairement au brahmanisme, il n'y a pas de transcendance divine : les dieux sont entités célestes, les hommes terrestres ; dans le brahmanisme le dieu s'incarne, sous des formes multiples. Des dieux populaires, non védiques, sont également intégrés au panthéon et la religion de dévotion (bhakti, élaborée dans le Ramayana, les cérémonies de puja) concerne tous les dieux, bons ou non, védiques (Vishnou) ou populaires (Krsna, Rama), proches et pouvant prendre forme humaine. On passe du sacrifice aux statues, aux images, aux lieux de culte. Le rite védique (dans lequel les dieux étaient présents mais secondaires) servait à réordonner le monde, la puja établit une relation personnelle avec un dieu (les deux dimensions seront réunies plus tard dans les rites tantrisés).

 

Ce sont les apports bouddhistes (notion de métempsychose et de libération de l'âme du cycle du nirvana par la moksa) qui feront ce pas vers le deus ex nihilo tempore (M. Eliade) des monothéismes

 

 

 

Le tantrisme participe de l'évolution du brahmanisme après le Vè siècle ; on y considère les dieux sous deux pôles, l'un masculin et transcendant, l'autre féminin et immanent. La shakti est la partie active, féminine, du dieu. Le rite y est revalorisé. Des techniques nouvelles permettant l'irruption du dieu dans le dévot sont développées : mandalas, mantras. Certains rituels socialement transgressifs visent à défaire l'homme social pour que se révèle l'être originel. Certains rites, très minoritaires, sont sexuels et cherchent à entrer en phase avec la vibration primordiale qui traverse toute la création dans un rituel d'union qui n'est ni procréatif (védique) ni orienté sur la recherche du plaisir, mondain (« kamasutrique ») mais expérience spirituelle, favorisée par la transgression, on y consomme viandes et alcool, la pratique sexuelle a lieu pendant les règles, Siva et Sakti, union du blanc et du rouge du au sein du yogin véritable. Un guru prépare un disciple à l'initiation et le mène par degrés (coups et expériences) à la plus haute connaissance.

 

La cella des temples tantriques est exiguë, ni lieu d'exposition du dieu, ni lieu de culte comme dans les temples modernes. Le mystique recherche, dans le tantrisme vishnouite du pays tamoul ou du bengale, le sahaja, cet « inné », « spontané » surgissant dans le moi profond. Un certain mélange de croyances se réalise avec les soufis musulmans dans le chant des baul, ermites mendiants, qui influencera R. Tagore.

 

 

Le tantra est la forme évoluée du brahmanisme et du bouddhisme, une religion composite, les brahmanes qui procèdent par accumulation sont devenus êtres mosaïques. Le mahayana et ses formes tantrisées font perdre au bouddhisme sa spécificité en le rapprochant du shivaïsme. Des praticiens-magiciens bouddhistes-tantriques mènent des vies ni saintes ni sages à nos yeux occidentaux, on est très loin de la « spiritualité indienne » un peu mielleuse répandue via S. Vivekananda, M. Gandhi ou R. Rolland ! Une grande partie des valeurs du bouddhisme devenu religion, dont ses dimensions de yoga, est intégrée dans le brahmanisme. Le brahmanisme intègre, le brahmanisme tantrisé survit dans le sous-continent indien, le bouddhisme tarde à s'y tourner vers les rois, et il y disparaît vers le XIIè (« le Bouddha finit sa carrière indienne comme avatar de Vishnou »), tandis qu'au nord et au sud-est de l'Inde actuelle maîtres bouddhistes promeuvent une religion de puissance et se maintiennent ; une théocratie bouddhiste s'instaure au Népal et au Tibet, le bouddhisme s'impose dans le reste de la cosmopolis, où brahmanisme et bouddhisme avaient cohabité. Hors péninsule indienne, le bouddhisme-religion s'accole à la politique et subsiste. En 1891 A. Dharmapala (Sri Lanka) instaure le prosélytisme bouddhiste, missionnaire, nationaliste. Récemment, à l'instar de l'hindouisme ou de l'islam, des populations bouddhistes développent un fondamentalisme... (Birmanie). Sur le plan philosophique, brahmanisme et bouddhisme s'affaiblissent du fait de l'absence de leurs controverses : le temps de la création, culminant avec Cankara au VIIIè, semble révolu, l'impétrant de rite tibétain apprend souvent par cœur...

 

 

Beauté des rites et déclin de la pensée ? Expansion philosophique – et médicale – en occident ?

Des babas des marges vers les bobos ?

 

 

 

CONQUETE MOGHOLE ET VITALITE HINDOUE

 

Les rajas hindous s'accommodent aux conquérants Moghols (XIIè) alors que fleurissent monuments majestueux. La vitalité de la communauté jaïn se traduit également alors dans la construction de très nombreux temples. Dans le Sud, des rajas construisent des villes-temples où le même gigantisme monumental que dans le Nord s'affirme. De nombreux mouvements hindous socio-religieux, communautés plurielles, se développent et inventent leurs saints hommes, construisant des hagiographies (telle celle dont Cankara se voit alors affublé). Aujourd'hui encore les hindous croient à l'historicité de ces mythes religieux (« les Grecs ont-ils cru à leurs mythes ? Une telle question ne faisait pas sens », dit P. Veyne), même si alors la dimension sociale de ces mouvements sectaires était tout aussi importante, outre leur mouvement de bhakti (dévotion, relation personnelle au dieu). On vit dans certaines sectes dégagé des valeurs des castes et d'autres règles de l'hindouisme  tel le Srivaisnava de Ramanuja, vishnouite, mystique, écrivain du XIIè, brahmane de Srirangam qui légitime le culte des idoles et lutte contre le monisme absolu de Cankara. Ramanuja lui place au centre de sa métaphysique (« non-dualisme qualifié ») un dieu transcendant, Vishnou. Depuis le védisme existaient des images linguistiques des dieux, depuis le yoga existaient des images mentales, l'icone ici prend forme concrète, et le monde brahmanique se rallie à l'iconisme. À l'époque de Ramanuja, des musulmans iconoclastes sévissent en Asie du Sud, et la question de l'iconisme est débattue dans les mondes chrétiens et musulmans.

 

Les porteurs du linga ou virasaivas, « sivaïtes héroïques » de Basava, dans le nord de l'actuel Karnataka, s'opposent eux à la même période au polythéisme comme à la société des castes. Chacun peut rentrer en relation avec Siva dans la bhakti indépendamment de tout rituel. La préférence va à l'inhumation plutôt qu'à la crémation. Les lingayats refusent les temples, le seul temple fiable étant celui de son propre corps, celui d'un errant (les choses dressées tomberont, mais celles qui se meuvent toujours demeureront). Mais cette secte qui rejetait initialement les castes deviendra soucieuse de pureté et d'endogamie... 

 

Ainsi foisonnent à cette période de nombreuses sectes, par tentatives d'affranchissement initial de valeurs et pratiques mondaines. Les sociétés non musulmanes, dominées politiquement, investissent les dimensions religieuses, culturelles mais aussi linguistiques, dans une grande diversité (actuellement il y a toujours quelques 3000 langues maternelles dans l'Inde-nation) : vers 1200, le sanskrit des élites perd de sa créativité et d'autres langues prennent le relai, vernaculaires savants dérivés du sanskrit ou authentiques langues populaires. Dans l'Inde contemporaine, où Rama est devenu un avatar de Vishnou, on lit le Ramayana en hindi, en tamoul, etc... et cette littérature a été diffusée – plus ou moins adaptée - à toute l'Asie du Sud et avec une réception maintenant populaire.

 

 

Au XIIIè la cosmopolis sanskrite se disloque, les relations humaines et culturelles via les brahmanes et sramanes y cessent, l'influence du sanskrit s'y atténue. Le pluralisme religieux y est de règle. En un peu plus d'un siècle Angkor passe du vishnouisme (Angkor Vat) au mahayana de type vajrayana (Angkor Thom, Bayon) puis au theravada. En 1431 les Thaïs ruinent définitivement Angkor. Benares sera capitale du renouveau des études sanskrites (fin XVIè-XIXè). Lucknow est la dernière des villes cosmopolites indiennes, florissante entre 1750 et 1857.

 

 

Krishna dans le Mahabharata précipite toute l'humanité dans la guerre et la destruction,

le dharma est finalement sauf et restauré, mais tout le monde est mort

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

  

Brahmanes et Sramanes,  ou les histoires plurielles de l'« hindouisme » (M. Angot,   Histoire des Indes, 2017)
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11 avril 2018 3 11 /04 /avril /2018 15:30
le temps est une émotion (Carlo Rovelli, L'ordre du temps): gravité quantique et mousse de spleen

 

 

 

 

Carlo Rovelli, L'ordre du temps, 2018

 

 

 

Or le temps n'est jamais perdu,

il est en avance, il se cache, se liquéfie, fait des boucles...,

mais il n'est jamais perdu, c'est nous qui le sommes.

Antonio Tabucchi, Le temps vieillit vite, 2009

 

 

Nous faisons partie d'un réseau qui va bien au-delà des quelques jours de notre vie,

des quelques mètres carrés où nous portons nos pas.

Carlo Rovelli

 

 

Un thème central, sinon une conclusion encore : le mystère du temps est lié à la nature de notre conscience, le temps est une émotion. Notre cerveau enregistre des changements qui se produisent dans le corps et dans sa perspective, et des sentiments (feelings, voire rasa) émergent de cette mise en mouvement cérébrale. Sentiments qui, à leur tour, propulsent toute une culture (A. Damasio, L'ordre étrange des choses, 2017) et (mais) sa logique, sa grammaire propres.

 

On sait peut de choses à la sortie de ce livre, finalement, sur la gravité quantique à boucles, qui sous-tend tout l'argument. On regrette l'absence d'un développement qui serait quelque part entre les notes de fin de volumes - souvent très mathématiques ou hermétiques pour qui n'est pas physicien quantique - et la progression très (trop?) pédagogique de l'auteur. Et pourtant, quand les premiers chapitres s'étirent, les derniers émeuvent jusqu'à la moelle.

 

 

Peut-on imaginer, surhomme un jour augmenté d'organes sensoriels ouverts à tout le spectre des dimensions, et aux dimensions physiques non en usage dans le sous-ensemble d'univers physique où nous nous déployons, que la perception du non-temps, et/ou de temps multiples, aboutisse à une culture d'équilibre et de souci global ? Mais l'univers a des horizons, et observer au-delà de ces derniers sous-entendrait une extraction du système pour atteindre à la complétude (K. Gödel)... Et que serait un être extrait ? Sans plus de perspective orientée ? Pure énergie cosmique ? Et l'atman y survit-il ?

 

 

L'irréversible de Jankélévitch n'est pas cité et on le comprendra, ni la flèche du temps de Prigogine pour sûr - et on ne regrette pas les affirmations trop peu scientifiques de ce dernier -, ni Deleuze dont les mille plateaux font pourtant figure de réseaux métastables d'espace-temps et de leur mousse de spin, et son plan d'inférence qui évoque la matérialisation discrète des événements qui traversent notre univers souvent invisible. Il n'y a ni boucles ni retours chez Janké, mais chez Rovelli dès les premiers chapitres danse Shiva dans le rasa du temps, humoral, où nous nous baignons plus que nous nous « écoulons ».

 

 

 

  1. LES RELATIVITES DU TEMPS ET LA MULTITUDE DE « TEMPS PROPRES » DANS L'UNIVERS

 

Quelques rappels donc sur les théories de la relativité :

  • 1. la masse ralentit le temps

  • 2. la vitesse ralentit le temps

 

Autrement dit, « à la Rovelli » (et c'est là qu'est l'intelligence de ce livre : la reformulation des lois de la physique en phrases poétiques imprégnées de l'expérience - au sens quasi... métaphysique ! - de l'auteur : Si les choses tombent, c'est à cause du ralentissement du temps : elles tombent vers le bas, parce que en bas, le temps est ralenti par la Terre. Quand on admet « facilement » avec Einstein (et de nombreux arguments expérimentaux étayent maintenant sa théorie) que l'espace-temps est courbe et déformable, que ces déformations sont la gravité, il nous est plus difficile d'accepter – car notre logique et notre grammaire sont issues d'une perspective bien particulière au sein de l'univers - que le temps n'est qu'un paramètre de cet espace-temps !

 

Autrement dit encore, les choses changent dans le temps (cf. les équations de la physique classique).

 

On parlera très peu de trous noirs dans ce livre, et pas du tout de l'hypothèse du multivers elle même issue de la théorie des cordes. Querelles de chapelles d'astrophysiciens, sans doute. Pour rappel, - et Mr Rovelli l'aurait présenté mieux mais ne l'a pas fait - la théorie des cordes (voir B. Green, L'univers élégant, 1999) postule que les « particules » physiques ne sont que des manifestations quantiques de la vibration d'une corde énergétique qui est en fait leur nature fondamentale. Cette théorie postule l'existence de non pas trois mais 10 ou 11 dimensions d'espace, et les multivers sont des sous-univers sans doute intriqués les uns aux autres, issus de nombreux « big bang », dans lesquels trois de ces dimensions d'espace parmi les onze sont utilisées. Certains univers sont non pas en expansion mais en contraction (« big crunch ») et la flèche du temps thermodynamique est ainsi différente d'un univers à l'autre (voir par exemple A. Barreau, Des univers multiples ? 2017). C. Rovelli, donc, privilégie l'existence d'un univers unique mais dans lequel il existe une multitude de temps propres, liés chacun aux modifications des choses dans certaines parties de l'univers, tandis que le temps est stable, en l'absence de telles modifications, dans d'autres régions. Mais il ne s'agit là sans doute... que d'une perspective différente !

 

Ce qu'affirme Rovelli, c'est qu'il n'y a pas de « présent absolu » dans l'univers. Il y a notre futur, il y a notre passé, il y a d'autres futurs et d'autres passés là où d'autres modifications se produisent, mais il y a aussi entre eux des étendues de « présent étendu » (Einstein). Il y a un ordre partiel de filiation avant/après dans certaines régions de l'univers, dans des cônes le long desquels voyage la lumière, et ces différents systèmes ne sont pas « synchrones ». L'univers est diachronique. La lumière est immobile dans les régions de présent étendu, ensemble d'événements qui ne sont ni passés ni futurs. De plus, sur la base en partie des travaux de K. Gödel, certains de ces différents cônes de lumière (parmi n) peuvent « communiquer » cycliquement et former des boucles temporelles, rendant possible un voyage cyclique, un voyage continu vers « le » futur retournant à l'événement de départ (voir P. Cassou-Nogués, Les démons de Gödel, 2007, chap. 16, Les voyageurs). Mais il ne s'agit là que d'une structure particulière dans l'orientation de ces cônes distincts. A proximité d'un trou noir, par exemple, les cônes de lumière s'inclinent sur l'horizon dudit trou noir, qui ferme ainsi une région de leur futur (pour « en sortir » il faudrait se « déplacer vers le présent », ce qui est incongruité physique, les objets ne se déplaçant que vers le futur).

 

Physicopsychosophies, quanta, et danse du monde

Dans une des notes, C. Rovelli semble « avouer » avoir expérimenté le LSD, et constaté cette « dilatation du temps » que l'on retrouve sous psychodysleptiques, mais aussi dans les rêves, et les expériences mystiques. Dans les techniques de méditation bouddhistes ou sramanistes (remédiatisées actuellement par la « mindfullness based therapy »), le corps semble voyagé dans un temps immobile. Dans certains états pathologiques la perception du temps est également différente : dans le syndrome post-traumatique le patient ressent un présent absolu de son agression. Et les philosophes ont bien sûr longuement débattu de l'existence ou non d'un « temps absolu ». Aristote et Leibniz nient le temps, Newton nous « impose » l'idée d'un temps absolu dans un espace théorique, vide ou plein. Einstein en 1915 redéforme cet espace absolu : l'espace-temps est réel mais non absolu, il est une toile de champs interactifs (champ de Dirac pour la matière, champ électromagnétique pour la lumière et les forces, champ gravitationnel). La physique quantique nie le « vide », qui est toujours constitué de champs énergétiques, sources de pullulement quantique, et l'espace comme le temps ont des propriétés quantiques: le temps minimal (ou temps de Planck, 10-44 s) est un quanta, le temps prend des valeurs discrètes et non continues en fonction de ce quanta (comme dans la conception bouddhiste où le temps est « succession » d'instants sans qu'il existe une notion globale de temps). Les différentes configurations d'espace-temps sont superposées, et elles fluctuent de manière déterminée mais imprévisible (selon les lois de la complexité) quand elles interagissent ; un électron par exemple n'est concret que par rapport aux objets avec lesquels il est en train d'interagir (on rejoint là la théorie des cordes). Des agencements on n'observe, de notre point de vue, que celui en interaction dans notre propre sous-système physique de l'univers. Et de même le temps ne se manifeste qu'en interaction, ressentie dans notre référentiel, il n'est pas indépendant.

 

 

 

2. TEMPS THERMIQUE ET TEMPS QUANTIQUE

 

De l'entropie

L'entropie est transformation, l'entropie est chaleur, l'entropie se quantifie par le nombre d'états possibles de forte entropie d'un l'état de faible entropie. L'entropie compte les configurations indistinguables du monde macroscopique, dit l'auteur. Et de livrer la seule équation figurant dans le texte : ΔS > 0 de Clausius puis de Boltzman. Tout en précisant qu'elle n'est qu'un effet de perspective pour sous-systèmes particuliers, dont celui que nous percevons : l'entropie ne croît pas dans toutes les portions de l'univers ; et l'entropie maximale se rapporte au reste du monde d'un sous-système physique donné.

 

La mélancolie produit du froid dans l'esprit par inversion de la flèche vitale.

Boltzman est bipolaire

 

L'énergie est constante : c'est l'entropie qui varie. Le monde biophysique régi par l'équivalence de la matière et de l'énergie (e = mc2) utilise de la basse entropie : chaque photons chaud solaire entraîne la réémission de dix photons froids terrestres, le premier est donc de faible entropie car n'a qu'une seule configuration possible. L'entropie correspond en effet à l'espace des phases, au nombre de configurations possibles. Sont de faible entropie également le tas de bois ou le nuage d'hydrogène par rapport au feu ou à l'hélium qui en sont « issus ». La vie est nourrie de basse entropie, c'est un réseau de processus d'augmentation d'entropie - un « passage au désordre autostructuré » - qui se catalysent les uns les autres (S. A. Kauffman, Humanity in a creative universe, 2016). Shiva est la danse de l'entropie croissante.

 

 

Dans le temps thermique, celui de la thermodynamique, et le plus proche de notre temps « habituel », énergie (W) et temps (t) sont des variables conjuguées, c'est-à-dire liées et déterminables dans un système simple où l'état macroscopique, l'énergie et le temps sont interdépendants. Mais dans le temps quantique, il y a non-commutabilité des « qualités » physiques, position, vitesse, etc... ; et cette indétermination est liée à l'interaction de ces variables, et non à leur mesure per se. L'imprévisibilité quantique est intrinsèque, et l'effet des interactions dépend de leur ordre, les transitions quantiques sont donc (partiellement) ordonnées (A. Connes), il existe ainsi un flux temporel défini par la non-commutativité des variables physiques... et le plus surprenant est que ces deux flux, quantique et thermique, ont été démontrés par Connes comme équivalents ! Ils sont deux aspects du même phénomène.

 

 

Flou et entropie

Mais l'entropie, c'est ce qu'on ne voit pas: des configurations indistinguables, une quantité relative entre deux états. Nous ne pouvons considérer qu'un sous-ensemble donné de variables ; et depuis notre référentiel, macroscopique et « privé », nous théorisons une perspective, une « flèche du temps » entre états de basse entropie, « passés », et de forte entropie, « futurs », quand seul un sous-ensemble très particulier d'aspects de l'univers est orienté dans le temps. Dans ce sous-ensemble de l'univers, nous percevons des traces, une évolution, qui font mémoire ; et la vie nous y apparaît comme processus anti-entropique localisé, par rapport à la mort, « condamnés » que nous sommes à ne voir le monde que depuis l'intérieur d'un système incomplet... Nous avons un point de vue dans et sur l'univers qui nous fait myopes.

The Eye (Switch), Tony Owsler, 1996 (détail)

 

 

Et c'est l'entropie qui fixe les pierres au sol, leur énergie mécanique se transformant en chaleur. La basse entropie du passé, et l'« ouverture » du futur, sont la raison de l'improbabilité d'interaction entre « cause » et événement futur.

 

 

 

3. LA GRAVITE QUANTIQUE A BOUCLES (UN MONDE SANS TEMPS)

 

Le monde est un réseau d'événements, martèle C. Rovelli, les choses ne sont pas mais se produisent; il faut en contrepartie se méfier du « présentisme » qui affirme que seul le présent serait réel. Le temps est associé au changement, et ce dernier n'a pas de direction privilégiée dans tout l'univers. Les quantas d'espace (photons, gravitons, particules élémentaires), qui résultent d'une probabilité de transition, sont liés en réseaux de spins où se forment des relations d'adjacence spatiale, des maillages (dont des boucles). Ces réseaux se transforment les uns en les autres par sauts discrets, dans la largeur de Planck, formant ainsi la mousse de spin, qui donne à grande échelle la structure « lisse » de l'espace.

 

Voilà c'est tout ce qui sera donné dans ce livre sur la GQB... fouillons les références en notes !! Mais c'est bien donné : avec le recul de l'observateur que nous sommes, les sauts quantiques de l'espace-temps prennent macroscopiquement – pour nos pauvres sens réduits et en gamme et en fréquence de perception- un aspect lisse... Nous sommes myopes à la discontinuité.

 

Un système complexe est irreprésentable (théorème de grompfel-lacan-gödel)

 

L'espace-temps fluctue violemment à proximité des trous noirs : il y a superposition quantique de réseaux de spin (et donc de temps différents) dans un trou noir ou à sa proximité, où des fluctuations violentes surviennent, suivies d'explosion et de formation d'un espace-temps déterminé (et on est donc bien proche ici de la théorie de formation des multivers dans le « big bounce », cf. référence ci-dessus). Mais dans la phase intermédiaire de superposition, le temps est complètement indéterminé, et les équations (dans cette théorie étudiée par C. Rovelli) sont sans temps.

 

 

 

  1. UNE PERSPECTIVE HUMAINE (PLUTÔT QU'UNE FLECHE) DU TEMPS

 

Le monde est fait d'événements, l'événement est relatif, et il est émergence à notre échelle.

 

Et depuis notre sous-univers physique, notre vision du macroscopique est myope.

 

Les humains évoluent dans un monde d'événements qui se combinent, et non d'identités (Nagasena, bouddhiste, Ier siècle ; logique stoïcienne, - IIIè siècle). Comment alors se forgent-ils une identité ? Par trois processus superposés, propose C. Rovelli :

 

  1. dès la naissance nous nous identifions de nous-mêmes avec un point de vue sur le monde, celui de la mère qui assure la première « contagion » de notre image humaine (stade du miroir lacanien, la première image de nous-mêmes est celle de l'enfant tel que le voit la mère), celui des autres qui nous entourent ; nous n'avons pas d'emblée une conscience intrinsèque que nous pensons comme l'a proposé Descartes et l'image « être humain » de nous-mêmes résulte de l'interaction avec... nos semblables !

 

Caresses de la mère, guidage du père, voyages d'adolescent, lectures,

amours, désespoirs, visages

 

  1. notre système nerveux central (SNC) est lui aussi « context-dependant », il associe les informations entrantes dans des «centres» ou réseaux neuronaux plus ou moins stables, dynamiques, flexibles (V. Mante, Context dependant computation, Nature 2013, n° 503, pp. 78-84) : les « choses » sont des représentations en « points fixes » dans une dynamique neuronale. Depuis les mondes infinis, se forment des images de ce qui a une influence sur notre système nerveux;

 

Le temps, une capacité émergente d'un système complexe (neuronal) ?

Faible entropie de l'océan de dopamine / forte entropie des réseaux neuronaux (à nombreuses configurations possibles, connectiques et chimiques)

 

  1. notre mémoire: nous sommes des histoires pour nous-mêmes, des récits et pas une masse de chair. Des récits qui, également, isolent (presque « physiquement » !) des autres points de vue possibles. Et seule la mémoire fait que nous sommes le même que celui d'hier. Dans le futur également, nous déterminons la trajectoire de l'objet, la récolte du blé, et cela a eu un avantage sélectif lors de l'évolution. La mémoire est une promenade désordonnée en synapses, de madeleine en madeleine, à la recherche du « temps perdu », et ce entre les deux oreilles de Marcel.

 

Au total, nous enregistrons une « impression » temps et non un objet qui passe : la conscience de l'écoulement du temps est interne, elle fait partie de l'esprit (Saint Augustin). ; le temps est entièrement dans le présent de notre esprit, comme mémoire et comme anticipation. Peut-être existe-t-il un temps thermodynamique ; mais le temps est (aussi) un temps conscient interne, qui nous ouvre notre accès partiel au monde, notre identité, et aussi la douleur : nous souffrons le temps. Notre réalité se forme dans notre mémoire, qui est cette collection de traces du désordre du monde dans notre sous-système de l'univers. Et en corollaire, nous sommes incapables de nous imaginer sans temps, car nous sommes des êtres du temps.

 

Kant, dans Critique de la raison pure, considère l'ordre interne, le temps interne comme les formes a priori de la connaissance, et un sens externe de l'espace. Pour Heidegger, « le temps se temporalise seulement du fait que l'homme est » (il est horizon de l'être). Husserl, dans De la phénoménologie de la conscience intime du temps, considère que les phénomènes constituent le temps, et explique que c'est la « rétention » de l'expérience qui devient de plus en plus floue et non l'expérience elle-même (sur les mécanismes de flou et de stratification au niveau neuronal : M. Jazayeri et M.N. Shadlen, A neural mechanism for sensing and reproducing a time interval, Current Biology n°25, 2015, pp. 2599-609). La mélodie dans laquelle nous sommes plongés continue, mais il y a une sédimentation mémorielle, une stratigraphie de l'événement. Se souvenir, c'est être archéologue – sauf dans les cas pathologiques ou autres expériences où toutes les strates de la Rome antique se mettent à vivre en même temps (Freud). Et ces strates mnésiques sont corrélatives de la variation d'entropie, les variations d'entropie laissant des traces (H. Reichenbach, The direction of time, 1956. cf. common cause) que nous organisons en mémoire. De traces d'entropie nous faisons des strates neuronales. CQFD. Comme des synapses se forment continuellement et s'effacent – dans le sommeil -

 

 

La mémoire, entropie de nos états « antérieurs » ? Tous ces événements maintenant flous... Notre cerveau grouille de souvenirs...

La pensée, la mémoire, le délire, l'expérience mystique en plongées dans des états superposés (dits « de conscience ») en parallèle à des processus d'entropie croissante ?

Un corps hyperentropique étendu « teilhardien » ?

Et une fois privés de notre point de vue particulier, de notre système nerveux et de notre mémoire – sauf à considérer une mémoire non-représentative et non totalement privée mais « hyperenactive » ayant accès au support purement énergétique d'une pronoïa – peut-on imaginer la persistance d'une quelconque identité, d'un jivatman qui survivrait à notre corps évoluant vers la plus forte entropie ?

 

Au-delà de la présentation de son hypothèse physique, C. Rovelli propose le temps comme émotion, une émotion du temps, et qui nous permet d'être. Le présent est une notion locale, l'état particulier du passé de « notre monde » est une vision floue, du fait de notre interaction partielle avec le monde. Entropie, ses traces, et la mémoire sont cependant liés ; plutôt qu'à un espace-temps, nous appartenons à un espace-entropie dans lequel les différentes strates du temps sont indépendantes. Dans ce qui aboutit à l'hypothèse de C. Rovelli, les propriétés quantiques des champs gravitationnels (des réseaux de quanta d'espace, et leurs sauts) sont actuellement, quoique non prouvée expérimentalement, une hypothèse partagée par de nombreux physiciens. L'absence de la variable temps dans les équations fondamentales, et notre interaction avec l'univers comme résultant d'une sensibilité à l'augmentation de l'entropie, sont plus discutées. Le mystère de l'interaction du temps avec l'identité et la conscience est l'objet de nombreuses spéculations ou intuitions religieuses ou philosophiques (Platon et son monde d'idées, Hegel et l'esprit dépassant la temporalité et se connaissant comme le tout – ce qui rejoint Plotin -, « éternité » des religions). Héraclite et Bergson au contraire « adorent » le temps. C. Rovelli propose lui le temps comme étant une émotion, une émotion du temps, et qui nous permet d'être. Un rasa dans lequel nous pouvons être circulés.

 


 

Dans la voix du poète,comme dans celle du musicien, le monde est devenu plus ample.

Il n'en existe pas moins, d'une existence plus réelle.

On y souffre. On y goûte la lumière. On y entend le loriot. On y voit des arbres.

On sait, on veut avec passion.


 

Anna Akhmatova, Requiem

 

 

La mort, sœur du sommeil (Bach) ? La sélection naturelle a fait évoluer la peur animale du prédateur, qui ne dure qu'un instant, vers la peur humaine de la mort, avec ses corollaires de longévité et de secondarité accrues, mais aussi de cette émotion-temps, qui nous ouvre à l'Être, mais aussi induit un « fini » hors du bain de l'univers. La culture, qui « sépare » de la nature, est aussi construite au temps. L'élan vital, ce cri continu des émotions, se polisse au temps ; la mort est peur et non pulsion. Le temps, notre décalage à la nature, notre métacognition ne sont pas premiers par rapport à l'élan vital, mais processus. Et vite soumis au diktat sensoriel de la première image, de la représentation, celle de la mère-soi, nous sommes plus complexes cependant que ce que nos facultés mentales peuvent appréhender. Même si nous sommes très contraints à ne réfléchir que de l'intérieur de notre machine de Türing, notre pensée victime de notre grammaire, l'univers lui reste ouvert... pour les physiciens, et les poètes. Notre délire collectif n'est plus celui des diables et des sorcières, ni celui des atomes et des ondes, il évolue.

 

Le lieu d'une chose est le bord interne de ce qui entoure cette chose

 

 

 

Shiva, trace de l'entropie et reste du sacrifice. Rasa et nirriti. Poésie.

 

Il n'existe pas de « chronons », le temps est une variable d'interaction, émergente au sein d'un système complexe. L'énergie est constante mais masse et vibration commutent lors de la modification d'entropie. Nous sommes anatomistes plutôt qu'atomistes, quand le biologique, vie et mort, organes et organismes, est intriqué dans d'autres systèmes, depuis lesquels peut-être notre vivant est-il illisible. Nous sommes tous presbyentropiques : les états d'entropie maximale sont ces « restes du monde » indistinguables par les sous-systèmes de l'univers, mais nous percevons des traces de l'entropie, un « reste du sacrifice » de l'état de faible entropie, une trace, un artefact du passage de l'état agencé au désordre ou nirriti ; cette trace est interaction de l'ordre et du désordre, et nous la disons temps. Nous la percevons en particulier dans la musique, ce yoga des temps. Millénarisme hindou, et danse de Shiva, souvent invoquée par C. Rovelli, donnent les mondes en abyme de l'entropie, ou celui des mille plateaux de Deleuze. Presbyentropiques, car dès la naissance nous ne voyons que d'autres nous-mêmes, tandis que les rishis hindous, eux ont vu le monde, et que les bouddhistes dissèquent notre friction (fruition) au temps : la méditation de pleine conscience est une flottation en pur espace

 

Y-a-t-il une énergétique physique des émotions ? L'émotion est-elle entropie ? S'exprimer est-ce augmenter l'entropie ? Le froid de l'organe silencieux, et l'émotion : une mort calme, un passage. Pouvons-nous « boucler » cette émotion-temps, tels des cônes de lumière ? L'énergie noire est-elle notre très basse entropie, celle des multivers ?

 

 

Et toute la théorie humorale : une Crisis est nécessaire à la protection de la faible entropie de l'organe ; mais cette émission d'humeurs, de rasa, nous transforme, depuis la faible entropie du moi-organe vers le nuage de spleen, par sauts, en n configurations depuis « nous-mêmes ». Nous devenons progressivement - et avons accès progressivement à - un spectre en partie sensible de nos émotions.

 

La poésie combine-t-elle les sentiments et l'augmentation de l'entropie ? Nourriture par modulation d'entropie, sauts d'affects ; la poésie en modem d'amour. La poésie est la mousse de spleen qui va, qui saute à l'amour. Le rasa avec ses multiples niveaux de circulation, mais qui unissent tous les êtres, depuis l'émotion « animale » de l'instinct de survie jusqu'au temps-émotion, le monde des rasa, ce nuage de spleen, est de forte entropie. L'origine, cet état de faible entropie, est peut-être absence d'émotion – ou bien l'émotion singulière de cette force unique qui est le graal des physiciens ? – Imaginer cette émotion unique, la vivre, est peut-être objectif commun des chercheurs.

 

 

Le temps de nos jours, Leuconoe, est un secret plus grand que nous

Horace

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24 novembre 2017 5 24 /11 /novembre /2017 20:36
Nirriti (force de désagencement): l'Inde quantique ?Nirriti (force de désagencement): l'Inde quantique ?

 

TAO, MAYA, QUANTA

 

Le Tao de la physique, publié par Fritjof Capra en 1975, proposait des correspondances entre les caractéristiques surprenantes du monde quantique, difficiles à appréhender depuis le monde apparent de nos perceptions sensorielles, et certaines conceptions « métaphysiques » des anciennes philosophies orientales, dont celle du Taoïsme et son principe unique à l'origine des interactions parfois paradoxales entre toutes choses. Aujourd'hui, de plus en plus de convergences dans l'entendement de l'univers sont relevées entre la pensée de l'Inde ancienne et les découvertes des physiciens, tant dans le domaine de la physique quantique que de la cosmologie (voir par exemple ici).

 

 

La mécanique quantique décrit par exemple le phénomène à la fois étonnant et fondamental de l'intrication, qui pose que deux objets spatialement distants peuvent ne pas être séparés, s'ils ont préalablement coexisté dans un système intriqué (par exemple la polarisation initiale de deux photons va rester solidaire, même s'ils se sont éloignés considérablement: si l'un des photons change de polarisation, l'autre instantanément et à distance va adopter ce même changement de polarisation). On est en plein, à ce niveau quantique, dans la définition du processus magique sympathique édictée par J. Frazer dans Le Rameau d'Or (1890) selon lequel deux objets ayant été en contact gardent, même séparés, des propriétés communes... La physique quantique, nous rappelle A. Barrau (Des univers multiples, 2017), est bien une théorie fondamentalement non locale.

 

 

Dans ce livre, le physicien fait le point sur les hypothèses actuelles permettant d' « unifier » les propriétés quantiques de l'infiniment petit et celles de la structure du cosmos, et qui aboutissent en particulier à la théorie du multivers. Dans la théorie telle que proposée par H. Everett par exemple, des mondes multiples fleurissent lors des interactions quantiques, des mondes consubstantiels, superposés et probabilistes dont nous n'habitons qu'un seul et somme quasi-aveugles aux autres. Nos processus neuronaux, tels que les cognitivistes les décrivent maintenant en réseaux multiples, seraient également assujettis à des processus quantiques, et nos pensées multiples se déploieraient en autant de processus plus ou moins (in)conscients, tels des univers parallèles mais connectés. Le multivers serait arborescences de mondes aux branches intriquées et replongeant à la source, un « big bounce » ou « rebond », par lequel les univers se succèdent, et non résultant d'un « big bang » unique.

 

 

Autre point qui d'ailleurs rejoint à nouveau la philosophie taoïste, la notion de vide quantique (A. Barrau) : un vide classique est un espace dénué de toute particule, mais en physique quantique des particules et antiparticules émergent spontanément de l'espace "vide", et il existe donc des fluctuations possibles dans le « vide ». La physique quantique préfère parler de "vides métastables", des minima locaux mais d'énergie non nulle, et pouvant être sources de nouvelles « nucléations » de l'univers...

 

« Big bounce » et millénarisme des brahmanes... Mais comme le tempère A. Barrau, même si la mécanique quantique pose des questions essentielles sur le rôle de l'observateur et impose un renoncement complet au « confort » déterministe, continu et localisé de la science d'antan, elle a parfois « bon dos » quand on lui fait supporter des « postures charlatanesques » et délirantes; que de nombreux phénomènes physiques échappent à l'intuition du quotidien n'est pas voie ouverte à toutes les théories farfelues pseudo-scientifiques !

 

Seule pour l'heure, la poésie est assurément multidimensionnelle.

 

 

 

Superposition quantique et décohérence

La théorie d'Everett (cf. ci-dessus) dans laquelle la fonction d'onde quantique (qui traite chaque état quantique comme non seulement équiprobable mais également réel) ne s'effondre pas brutalement sur une seule possibilité, mais préserve toutes les bifurcations qui font ainsi foisonner des univers (ainsi dans un univers le « chat de Schrödinger » est vivant, tandis que dans un autre, et simultanément, il est mort), cette théorie pourrait devenir testable - et donc hypothèse pleinement scientifique - et des physiciens dont A. Barrau s'y emploient. Le concept de décohérence permet de rendre compte de la transition entre niveau quantique (qui échappe à nos sens) et niveau classique de la physique, qui n'en serait qu'un feuillet, qu'un état probabiliste et métastable. Dans cette théorie de la décohérence, quand un état « superposé » - constitué des différentes possibilités quantiques - interagit avec son environnement, la plupart des possibilités deviennent incohérentes; autrement dit, le monde usuel émergerait spontanément dans un environnement donné des différents états ubiquistes possibles de la physique quantique, mais qui sont exclusifs les uns des autres dans le monde classique. Reste à comprendre pourquoi ou plutôt comment le « réel » choisit un état plutôt qu'un autre parmi les superpositions quantiques.

 

 

Superpositions locales et modèle de la décohérence, interactions simultanées à distance dans celui de l'intrication, la théorie quantique persévère dans ses modèles de mondes parallèles et d'interactions déroutantes à distance ! Ces phénomènes quantiques sont pourtant considérés avec intérêt par exemple pour le développement d'ordinateurs quantiques qui, en pouvant se trouver simultanément dans plusieurs états, feraient faire un bond aux capacités de calcul des machines actuelles (S. Haroche), et l'intrication permet d'envisager théoriquement la téléportation...

 

 

DECOHERENCE

OU DESAGENCEMENT DES PLANS DANS LE MONDE VEDIQUE

 

rita, ordre

anrita, non-ordre, chaos, fausseté, irréel

nirriti, désagencement

 

 

La superposition redéploie la notion de structure

Dans son introduction et ses commentaires à sa traduction des Upanisad, Alyette Degrâces (Les Upanisad, 2014) pose la non-contradiction entre la « réalité » (satya) et l' « irréalité ou fausseté » (anrita), cette opposition étant dépassée par une pensée par niveaux, par facettes (F. Zimmermann), et non par limites. L'agencé (rita) et la réalité-vérité (satya) se manifestent ensemble, ont chacun leur espace, mais depuis le chaos des choses il est impossible de reconnaître l'agencement des niveaux comme d'accéder à la réalité ; en effet l'inagencé fait recouvrement, masque la réalité, l'anrita est manifestation de son propre désir, soif des objets extérieurs, connaissance fausse. L'agencé (rita) est objet de connaissance, l'inagencé (anrita) recouvre et semble transformer la réalité. A ce point de sa réflexion, A. Degrâces écrit : « Garder les deux états comme interférant et ne se mêlant pas complique l'approche de la forme. On n'est plus sûr de comprendre. On peut accepter l'un ou l'autre mais pas leur relation qui, en outre, est donnée comme impossible. On pourrait comparer ce processus à ce qu'en physique quantique on nomme la « décohérence » (citant S. Haroche, Physique quantique, 2004) et qui soulève la question suivante : « Pourquoi ces interférences disparaissent-elles au niveau macroscopique ? » Par un état de décohérence, la relation au monde modifie la mesure. Ce qui fait sens n'est plus compris comme tel. La cohérence n'est plus sentie. Le passage que l'upanishad décrit par « chaos » répond à ce passage au monde et à la notion de « décohérence » par le fait que ce « chaos » occulte non seulement un état, mais des états différents (…) L'upanishad, dans sa profonde compréhension des structures, tient à garder les deux dimensions extrêmes et, parfois, restitue les états intermédiaires (…) Cela demande un effort d'abstraction qui marque une mise en mouvement dans nos connaissances, permettant de ne pas rejeter ce qui nous est incompréhensible, sachant qu'au niveau grossier rien ne semble transparaître car tout est recouvert. La superposition redéploie la notion de structure (…) Cet agencé, cet ordre, réorganise les structures. Celles-ci ne sont plus formées par des fragmentations. Elles rassemblent des niveaux d'être (…) Sans oublier le dernier état dans l'ordre de la connaissance – ou le premier selon la vraie nature – qui ne supporte aucune définition, que les autres états ne peuvent percevoir mais à partir desquels le travail de perception doit être mené ».

 

 

ou le « mille-feuilles » de G. Deleuze...

 

 

 

Rite (rita, ordre) et nirriti (désagencement)

Le veda, qui deviendra texte sacré brahmanique, est une récitation : les rishis (voyants) ont vu la parole sacrée, qui est restitution directe, immédiate, de cette vision du réel : la parole védique (vac) à une dimension mystique, une puissance propre, et trois de ses quatre dimensions restent extérieures au langage humain qui n'en est que la composante articulée, logique, mère des rites. Par les rites védiques, dont ce sacré est la formule, il s'agit de préserver l'agencement du monde dans sa totalité, incluant ordre (rita) et désordre. Nirriti, poursuit Ch. Malamoud (Puissance de la parole, in Ligne de risque, Y. Haenel et F. Meyronnis, 2005), est désagencement, risque suprême, force redoutable des écarts et des abîmes, mais aussi force nécessaire à la respiration d'un réseau qui n'est pas figé; le désagencement, comme la décohérence quantique, permet la transition entre les mondes imbriqués et masqués. L'état « unique » du monde macroscopique - ou le fonctionnement « normé » du monde social - n'est pas exclusif des autres états qui lui sont superposés, intriqués, consubstantiels, et peut être « normes » d'autres univers comme d'autres états de vie. L'ordre du monde (dharma) est lui global, et c'est cette vision globale du monde qu'ont eue les rishis, les mots articulés étant – mais n'étant que – les « traces des quatre pas de la vache ». « A cette réalité ordonnée (des mots du veda) dont la récitation donne une actualité partielle et éphémère correspond une réalité sujette au changement et donc au désordre » sous l'action de la nirriti (M. Angot, Histoire des Indes, 2017), et le rite intervient comme « processus anti-entropique » quand l'expansion permettrait une recomposition : la réalité est naturellement sujette à varier et le rite doit donc être répété. Le rite est une interface entre vérité et réalité, entre satya et anrita, et un contrepoint de la métastabilité dont le désagencement nirriti est l'énergie. Le rite, totalité, est aussi l'occasion d'un échange entre phases manifestées et phases non-apparentes du réel. Il s'agit moins par le rite, poursuit M. Angot, « d'éliminer le faux que de lui donner sa place, d'arranger l'ensemble des éléments de l'univers pour que tous concourent à son expansion et à sa rétraction continues »... Nirriti, force du multivers... Le singulier n'y a pas de sens, mais la relation entre les entités: le rite régit un monde de forces et de liens.

 

 

 

Nirriti, force de désengagement, de transition dans l'ordre du monde, une résonance avec la notion de constante cosmologique,

cette énergie noire, répulsive ?

Einstein ajouta la notion de constante cosmologique comme à contre-coeur à sa théorie, mais cette force anti-gravitationnelle mystérieuse ou énergie noire active dans l'expansion de l'univers semble bien exister, assimilée parfois à la densité d'énergie du vide. Elle est à l'origine peut-être de n big-bangs et d'autant d'univers en développement (A. Barrau) en s'opposant au « trop d'agencement » gravitationnel ; l'énergie noire nous traverse en permanence, et gravitation et anti-gravitation s'exercent probablement aussi aux « extra-dimensions » non en vigueur dans notre univers régi par les trois dimensions les plus familières à nos organes des sens.

 

 

L'Occident - un temps enthousiasmé par les philosophies indiennes - prit ensuite peur du « nihilisme bouddhiste » (R.-P. Droit, L'oubli de l'Inde, 2004), d'un vide existentiel, néant, perte de sens et de but. Mais la nirriti, force de restructuration / déstructuration, ne soutient pas cette idée: elle est processus de multivers à l'échelle de la pensée humaine, quelque part entre quantique et cosmique. Elle est risque, mais action, dans l'idée du « coup foudroyant » des dadaïstes, du « point de bascule » de M. Eliade, du « point irréductible de suspension » de Y. Haenel (Lignes de risque). Elle permet de penser le néant.

 

 

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10 juin 2017 6 10 /06 /juin /2017 18:14
Le Purusha s'épand encore (l'Inde, ou la stabilité d'un impalpable: Drhu)

 notes et réflexions autour de

« Journée Migrant : Santé et migrants originaires du monde Indien : mieux les comprendre et les soigner » - Hôpital Avicenne, 30 mai 2017

 

  1. Cosmogonie: la stabilité d'un impalpable, le Purusha s'épand encore

  2. Déesse et Gynocide : il n'y a pas de contraires

  3. Psychologindia : une ontologie de l'être entre micro-, macro-, et méta-histoires

 

_________________________________________________________________________________Le Purusha, ce dieu ou homme primordial de la cosmologie védique (-1200 / -700) s'épandit, se déversa, laissa émaner de lui-même, diffuse, une partie de sa substance qui progressivement généra le monde et ses créatures, incluant corps et âme humaines ; puis ce Un émanateur du monde va pénétrer à son tour son monde, y plonger, et en constituer le Soi ou Âtman. Ainsi si l'on regarde dans la bouche de l'enfant Krishna on voit le monde en totalité, car dans l'hylozoïsme hindou (conception où le monde est lui-même un être vivant), dans ce panenthéisme (système de croyance qui postule que le divin interpénètre toutes les parties de la nature, mais que, dans le même temps, il se déploie au-delà d'elle, se distinguant ainsi du panthéisme qui tient que le divin est tout entier dans l'univers, sans lui être ni extérieur, ni supérieur) il n'est pas de limites mais un hyper-enroulement dans lequel le dieu créateur maintien le lien avec sa création (une relation narcissique va ainsi persister entre le créé et le créateur); « chacun », chaque être y est donc soumis à un flux d'existence ou Samsara qui le dépasse, l'englobe et le constitue en même temps ; et entre tous les êtres existe un lien ou Maitri, base de la notion de Karuna ou compassion. Nous sommes le monde et il nous enveloppe, nous en participons et en recevons ses actes en retour (Karma). Le Soi hindou est une cosmogonie, un peuplement dirait Deleuze, et bien plus qu'une génération. La notion de Moi n'y existe pas, Moi (Ahamkara) est illusion de Soi dans ce réseau apparent de limites de la Maya qui nous brouille le continu du réel. Le sage s'efforce à une identification de l'Âtman à l'absolu du Brahman, de l'âme humaine et de l'âme du monde, du "Soi" et de l'"Être en soi". L'âme élémentaire, objet de la psychologie médicale âyurvédique, rejoindra l'Âtman à la mort, lors de la déconnexion des éléments composant le corps; mais l'Âtman ou Soi absolu se manifeste de notre vivant au travers des fonctions vitales et mentales (Manas, le mental, est le connecteur des organes de nos sens). L'Inde est le monde, ce n'est pas une culture.

 

Mais le musicien nous a dit tout cela : « Drhu est la stabilité d'un impalpable en Inde, disent les indianistes, et on sent ce quelque chose, dit-il. Pad est le maître. Une note fixe, la même tonalité est maintenue tout-au-long du morceau. On choisit un mode vocal selon le moment de la journée. Le mood est une performance dont tout le monde est instrument »

 

 

La culture, qui vise à élever des murs face à l'énergie primordiale, quand le corps originel lui est sans organe ; une protection sociale mais qui, par peur du chaos, de l'inflammation au réel, nous impose la déliaison. La culture – avec ses interdits logiques, ses blancs, ses caches - marche vers le mal, ce défaut de connaissance... Le monde est Un mais il ne montre plus au travers des cultures qu'une infinité de facettes qui semblent disjointes, et que l'on commente comme proches ou lointaines, antérieures ou inégales, alors qu'elles se sont formées au gré de l'isolement et ne se confronteront qu'au hasard des rencontres, nous comparerons nos mailles et en oublierons encore plus l'unité du monde. A ces mailles cependant il faut se raccrocher si, le mal nous ayant frappé en retour, dans le choc traumatique on devient étranger à cette logique qui nous tenait, et nous isolait d'un temps qui nous serait mortel. Par un double court-circuit brutal et subi dans la toile de l'illusion, le trauma nous rend ouvert au possible de la mort, quand la culture familiale nous en protégeait dans son champ. Se raccrocher, ou basculer, disait Eliade.

 

Alors, être au contact de cet impalpable, s'y diffuser comme en gel,

et snober le culturel, ce palpable ??

(comme on s'évade aux ressentis négatifs en méditation de pleine conscience ?)

(un jour il faudra bien ne pas revenir)

 

La femme est le but de tout voyage, fin d'erre. Les filles tirent la poudre du ciel, à leur beauté. La culture légalise le gynocide. La femme est trop déesse, trop puissante pour être laissée seule (sans hommes). La femme est la grande tentatrice, objet de réclusions et de violences ; mais elle est la grande déesse de l'ascète.

Une vision occidento-touristée, romantique puis baba-cool, du XIXe au XXè siècle ? Un postulat Indo-européen originel qui a bien aidé le colonial occidental : la violence de l'Inde, la perte d'un âge d'or ? Voire... il y aura un devenir-femme de la grande démocratie masculine nationaliste... Et les Babas gardent les cols et peuvent ressurgir, contre-culture, où ils ne le souhaitent pas...

Il y a de la dopamine dans la profusion du monde indien, qu'on l'aime, ou pas. Qu'on le trouve kitsch, ou sublime. Que l'on résonne, ou pas. Quand son océan baigne quelque chose de notre « interne » qui s'y est préparé, maintenant ou autrefois.

_________________________________________________________________________

Une géographie du monde indien (Union indienne, Sri Lanka, Pakistan, Népal, Bengladesh, Bhoutan). L'Asie du Sud. Pas la Birmanie, qui faisait partie de l'Empire des Indes, pas l'Afghanistan (mais la cosmopolis sanskrite, elle, est plus large que cette géographie). Une islamisation incomplète de cet espace, qui a préservé la diversité religieuse. L'Occident des Indiens, c'était l'Afrique de l'Est et notre Moyen-Orient (du terne à l'Ouest, du moins fou, du moins divers). Hindouisme Islam (14% en Inde actuelle) Christianisme Parsis (ou Zoroastriens) Sicks Jaïnistes
 

L'image à la Dumézil de l' « invasion des Aryens des plaines » et de l' « idéologie tripartite » d'un peuple originel... a fait beaucoup de dégâts au siècle dernier. On nous la ressort ici. Il est vrai que dans les échoppes indiennes les biographies de Gandhi et d'Hitler se cotoient. Mais les cultures ne se « transmettent » pas à la verticale telles des êtres vivants, elles se mêlent à l'horizontale, en nappes ; il n'est point de migrants ni d'indigènes, mais des cultures interpénétrées. A qui est la terre ?
 

Migrations précoloniales. Royaume Cham en Asie du Sud-Est. Ces vagues migratoires du passé qui, elles, sont admises, licites, souvent glorieuses, et ne le seraient plus, dans ce monde de nations. « Twice migrants » d'abord exportés dans l'Empire britannique (ou Français) avant de gagner l'ex Métropole. Tentative d'arrêt de l'émigration, volontariste, à l'indépendance. Des villages dépeuplés sur les lignes de partition. Les soutiers bengalis sur les grandes lignes maritimes, et c'est Dubaï. Mais les conflits, et les minorités qui s'exilent : Tamuls, Cashmiri, Sicks, Bengali. L'endettement des migrants, et l'argent qui fait vivre la famille au village. Au Royaume-Uni, 4% de la population est originaire d'Asie du Sud. Les Tamuls sont la première communauté d'Asie du Sud en France. Trente ans de guerre. La Chapelle. Comme le sanskrit (langue indo-européenne), la langue Tamul (bien que dravidienne) est divinité.

Et un atlas fabuleux de socio-géographie...

Est-ce qu'on intègre mieux, est-ce qu'on accepte mieux, tout-au-moins, les minorités plus lointaines, s'inquiète le grand témoin Kabyle ?

 

Une organisation sociale. Jati est un groupe d'appartenance héréditaire, qui survit au Varna dans ses conséquences sociales, dans les structures sociales, même si les discriminations du système des castes ont été officiellement abolies par les gouvernements issus du Parti du Congrès, qui survit même si l'on a changé de religion (« Varna transpire dans les groupes musulmans ou chrétiens », dit joliment Marie-Caroline Saglio Yatzimirsky). Et aujourd'hui les « Rationalistes », qui veulent vaincre les superstitions, sont menacés de mort par les nationalistes hindous. Il s'agit plus que d'une politique, et plus que d'une superstition, et des femmes sont toujours supprimées de la société, à leur naissance par IVG sélective, à leur mariage si la dot est insuffisante (« La dot, ou le sari brûlé »...), ou à leur veuvage où on les contraint au retrait dans des « communautés »...
 

 

Comment être « sage » en explorant la pensée indienne traditionnelle, qui nous donne accès au réel, tout en se révoltant contre ces persécutions dans cette strate du monde construite de nos sens ?


 

Jati, donc, littéralement ce « caractère intrinsèque », régit le mariage, la nourriture, le travail, et toute la hiérarchie du pur à l'impur ; l'impur est le surgissement de nature non maîtrisée dans le corps social et pour l'éviter il faut ritualiser, sacrifier, produire un reste-germe. Jati instaure la séparation, la spécialisation, la hiérarchie.

Varna (littéralement « apparence, couleur de peau », système des castes (brāhmaṇa, kṣatriya, vaiśya (travailleurs) et śūdra (services) et a-Varna) est un groupe de statut religieux. Les a-Varnas sont nés impurs, ils peuvent côtoyer mort, sang et sécrétions.

 

La famille en Inde est patrilinéaire (héritage via les mâles : nom, titres, terre où l'argent revient) et patriarcale (autorité mâle, enjeu et contrôle du corps de la femme). Les mots précis de l'anthropologue. La fille donnée au clan de l'autre mâle doit enrichir sa terre : la dot. La femme est « fille de son père, épouse de son mari, mère de son fils ». Un mouvement : l'explosion récente des manifestations suite aux viols de 2012. Et un espoir : en dix ans le taux de scolarisation des filles a bondi. Et la classe moyenne « fait bouger les choses »... mais vers l'argent-roi ? La condition de la femme dans le monde indien reste un problème considérable d'atteinte aux droits humains, et il faut le dire. Cinquante-six pour cent des jeunes femmes sont mariées sans leur consentement. Viols. Rejet des veuves, réduites à l'état de servantes, têtes rasées... Purdah (réclusion des femmes). Brûlures : plus de cent mille en 2001, soit six fois plus que les statistiques officielles. « Accidents de saris brûlés »...

 

La contre-culture des 60' aux States, si elle fut indianiste, participa des marges himalayennes et de leurs babas, des ermites des forêts, et non du carcan familial des plaines et de leurs villes ! Marges de toutes cultures, ressurgissements ! Déconstruction dans ces failles restées libres !

Aucune culture n'est « pire », et dans celle-là surnage quelque chose de continu

 

Une avancée ? (au prisme de nos lois occidentales): le troisième sexe est officiel en Inde : les Hijras, androgynes par castration ou malformation congénitale, vivant en communauté, adorant Bahuchara déesse de la fertilité, et jouant un rôle important, gage de fécondité dans les mariages. Les Hijras sont... rejetés et adulés, à l'image de Shiva Ardhanarishwar, mi-Shiva, mi-Parvati sa compagne.

 

Mais voilà que l'anthropologue se révolte contre la praticienne autodidacte de l'Inde, « on donne ici des choses figées », dit-elle, on ne peut pas généraliser, il y a des réalités très locales et pas « L'Inde », il y a une dimension historique et on n'a pas le droit de dire « ça a évolué » de notre point de vue d'occidental ! « Un hindou », ça n'existe pas ; l'approche doit être existentialiste, empathique, déconstruite, et non automatique. Les veuves ne sont plus reléguées dans les villages « même si elles sont exclues de certains rites » ; la dot est une résurgence dramatique du XXè siècle, réapparue avec la monétisation ; il y a des « saris brûlés » mais plus de sati, conclut-elle. Le monde indien est un monde à facettes multiples et non exclusives, un « polythéisme extensif ». Et il n'y a donc pas a fortiori d'exclusivité « hindoue » chez le migrant.
 

Une anthropologie en dissection savante et observation neutre qui excuserait toutes les pratiques ? On approcherait des dérives reprochées à l'ethnopsychiatrie de T. Nathan... Une composante néo-coloniale dans la critique non nuancée sur les violences – réelles - faites aux femmes ?


 

Le couteau des jeunes mères

La jeune post-doc ethnologue, mordant le monde de sa beauté à la Pierre Joubert,

a défendu ses arguments / observé le monde

 

Le patrilinéaire est aussi patrilocal ; l'arrivée d'un enfant y est à la fois bonne augure et impureté de l'accouchement (les matrones sont de basse caste). L'épouse est tenue à l'écart des décisions du foyer beau-parental, et même pour le choix de son suivi médical, d'une contraception... ; mais elle participe, Mother India, de la vénération de la déesse-mère, de la Shakti : la femme enceinte est « protégée ». Protection alimentaire (l'Ayurveda met les maladies sur un axe chaud / froid (cuit / cru) sur lequel les aliments interfèrent ; par exemple la papaye échauffe et peut favoriser un avortement). Le darshan avec des images de « beaux bébés » nourrit la callipédie, cet « art de faire de beaux enfants » (et l'échographie, ce contact avec l'image, est ainsi bien acceptée). Mais se développent, en parallèle aux pratiques rituelles favorisant les enfants mâles, et malgré la loi de 1994 qui interdit le diagnostic du sexe, les avortements sélectifs féminins. Le gynocide, en marche vers l'inavouable, reste généralisé. Les asiatiques sont sexeurs... Fête des naissances masculines, discrimination et honte de la maman accouchant d'une fille...

 

Sous l'impulsion du gouvernement indien dans les années 2000, un grand tournant est pris vers la médicalisation de l'accouchement, et 80% des accouchements ont lieu à l'hôpital en 2011 en Inde du nord, soit deux fois plus que six ans auparavant ! Mais des « heurts » surviennent avec les soignants, issus de castes plus élevées et voyant débarquer « les péquenots »... La pureté n'est pas propreté (la Ganga est polluée mais pure), mais les « éduqués » refusent les « sales ». Discriminations sociales, bakchichs, malveillance, violences... La politique de gratuité du gouvernement met certes le personnel hospitalier, limité en nombre et ressources, en difficulté, mais cela ne justifie pas pour autant cet accueil non bienveillant !

 

Le nouveau-né est vulnérable aux mauvais esprits (ces femmes mortes en couches, ces âmes errantes, s'étant libérées de toute position imposée dans le dharma) et l'on craint donc l'espace de la maternité. Alors la maman ne s'y sépare pas d'un couteau, souvent posé près de l'oreiller par la belle-famille, la lame du couteau éloigne les néfastes. Et la mise au sein est différée d'un à deux jours, pour tromper les mauvais esprits : ces pratiques sont acceptées à l'hôpital. Le religieux « justifie » la coutume. Attention au mauvais œil, aussi, la vue d'un bel enfant qui induirait la jalousie d'autres familles : recours aux bracelets (rituels d'inclusion), kohl et « bindou enlaidissant » !
 

Carrefour des opiums

Entre les deux hubs du Triangle d'Or et de l'Afghanistan, le Nord-Est de l'Inde (instable politiquement) et le Penjab sont passages obligés des marchands d'opium, et on consomme sur ces routes, et la consommation fait « effet groupe » dans les villages traversés, comme au Manipur (mais... on est en pleine Zomia, dans ce Nord-Est indien!)... Comme une route de Kathmandu, sans sa vision occidento-centrée. Mais d'espace de transit hier de cette drogue dure, l'Inde, grand producteur mondial de médicaments, devient producteur de drogues de synthèse !

La consommation de cannabis est traditionnelle et souvent religieuse (bhang, mixture de cannabis incorporée à une boisson) mais l'alcool est souvent proscrit, ou stigmatisé. Les drogues de synthèse, médicaments, amphétamines, voient leur utilisation s'accroître. La réponse est policière, sécuritaire, ciblée sur les consommateurs, sans action sur les trafics.
 

Les épices des diasporas

Le fardeau culturel se traduit, l'exilé s'adapte. Ou se transculture. Se disqualifie, l'homme perdant son statut, travaillant dans l'arrière-cuisine. Mais on se raccroche, aussi, quand ça va mal, à ce poids culturel. On n'a pas envie d'échapper à sa caste et Jati n'est pas inégalité : c'est donné, c'est inscrit. Un vide si le système s'effondre. Aménagements : pas d'atrocités ici (envers la famille d'un intouchable approchant une femme), mais les violences familiales existent. Le « mari importé » renverse le système : c'est lui l'étranger dans la belle-famille (USA). Des jeunes filles qui restent à l'université pour retarder leur mariage arrangé, quand la transgression ne peut être frontale. Plasticité, mais persistance, du Varna dans la diaspora. « Elles surveillent, les femmes de Bombay » ; mais il n'y a pas de contraires, de oui/non en Inde, mais des facettes multiples, des ajouts, une circulation apophatique. L'Inde c'est le non-contradictoire.

 

« Quel conflit avec notre modèle égalitariste post-révolutionnaire ? » demande un auditeur.

Justifier ce conservatisme patriarcal de « cette société holiste et déterminée (L. Dumont) où l'intouchable, c'est son rôle, retire l'impureté » ? Ou se jeter dans une zomia transculturelle, là où on se réfugie pour vivre, où ça va changer d'équilibre ?

 

Consultation psychotrauma d'Avicenne, viol, torture, guerre (sur les huit millions de Tamuls dans le monde, 300.000 seraient en France) : enjeu fondamental de cette question culturelle, point d'ancrage qui persiste, mais qui sous-tend aussi les violences familiales liées au système... « non-contradictoire »...
 

« Ici les feuilles ne sont pas fraîches », et les difficultés de l'alimentation contribuent à la souffrance des exilés. On masse le nez de bébé, « ainsi il sera beau » dit la mère, mais elle sait bien qu'il s'agit d'un rituel de protection contre les mauvais esprits. « On ne pratique pas le système des castes ici », mais « tu la ramènes pas chez moi, celle-là ! »...
 

Aborder, selon Sainte Moro, les trois niveaux de sens avec le patient exilé :

  • ontologie de l'être : un bébé n'est pas tout neuf ! Surtout en Inde ! Plusieurs vies ! Et pas la seule généalogie ! Freud doit bosser dans tout un océan de réincarnations ! Chercher aussi dans la famille et dans l'histoire (le temple de l'arrière-grand mère détruit par la guerre) ; mais « qu'est-ce que j'ai fait dans l'autre vie pour mériter ça » est la question prégnante en Inde.

  • Sens donné à la maladie

  • logiques thérapeutiques : respect des rituels (on appelle la mère de la jeune maman par exemple, pour connaître les rituels du cordon). « Chercher au pays là où d'autres femmes ont le même problème »

 

Des antécédents familiaux et culturels que l'on peut comprendre ; des antécédents dans les autres vies que l'on peut seulement imaginer et admettre, se dit l'Européen.

Rattacher micro-histoire, macro-histoire, et méta-histoire pour retrouver un ancrage

 

Les lignes de faille : tsunami, exil, sans-papiers, retour, guerre, torture... Le trauma isole, par nature, dans un abyme de non-sens, et il faut retrouver des foyers d'appartenance, même si... Par exemple, resocialiser par un retour au temple (« quand le patient arbore à nouveau des marques rituelles, c'est bon signe »). Admettre les conséquences d'une vie antérieure est aussi une façon de maîtriser ce qui vous arrive. Réenraciner redonnera confiance et fera chemin thérapeutique. Pour le clinicien, admettre que l'on puisse penser différemment permettra l'établissement du lien : le patient, comme l'enfant, a besoin d'une « autorisation » pour parler sa langue (qui doit venir aussi de la famille chez l'exilé : cf. l'enfant de couple mixte attendant que sa mère lui explique que bébé elle maîtrisait les sonorités Tamul). Refuser les clichés, mais faire sentir au patient que l'on sait quelque chose de sa culture, alors il s'autorise à être reconnu, et on est dans le registre empathique.
 

La psychose des occidentés

L' « hindouisme » est une notion du XIXè siècle en Europe (un rasa post-romantique et pré-baba)... comme en Inde (une identité anti-coloniale). Le Purusha s'épand toujours dans Bollywood, et une poudre lumineuse reste toujours en suspension devant nos yeux lorsqu'ici on nous parle de l'Inde. Immergé en Inde, on prend un coup à l'imaginaire, on se met à rêver beaucoup plus, et d'un langage du corps différent (les danseurs, les musiciens, mais aussi le marchand qui balance la tête pour dire oui – ce oui résigné partiel –) on construit son irréel propre, son réel rêvé et inspiré. L'espace intermédiaire qui se redéploie, sans doute. On peut s'y égarer. Faut-il encore regarder Nocturne Indien ?

 

La sexologue, donc, nous parle de son vécu personnel de l'Inde

La pin-up est mixed Inde / Viet Nam et propose des massages ayurvédiques

Le médecin rentrant de « vers Pondichéry » en a oublié de parler des migrants

Cet impalpable qui fait associer dans notre propre rêve, cet Orient absolu, cette chaleur sourde d'une nuit qui dit, n'est-ce qu'un imaginaire ? Mais... la musique ! Le pèlerinage ! Le temple qui brûle, en continu ! La mort toujours en présence! On a refoulé, ici, aujourd'hui, la mort... Peu de pratiquants de l'Inde ici... Tout le monde se revendique d'une multitude de liens institutionnels, quand le mystique les réfute tous (de Certeau) et que le musicien les a tous assemblés toujours-déjà.

Le Purusha s'épand encore (l'Inde, ou la stabilité d'un impalpable: Drhu)
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19 septembre 2016 1 19 /09 /septembre /2016 10:45
Ils ont vu le www (le monde hippie)

Autour de :

Frédéric Monneyron et Martine Xiberras

 

Le monde hippie

De l'imaginaire psychédélique à la révolution informatique

Imago 2008

 

 

Où les auteurs proposent que, parmi les retombées du mouvement hippie dans la société actuelle, on peut inscrire le réseau web mondial, échappée de l'esprit originaire d'une même vallée utopique. Sa récupération par l'institution: la société inégalitaire du profit progresse par nappes guerrières, et par déliaison traumatique de l'humanité; mais dans des lignes de faille recircule le lien cosmopolite. Dernière émergence en date, San Francisco, années 60

 

 

Des spots hallucinogènes, mais une prise de conscience d'une religiosité sans substances

Le spiritualisme des religions occidentales est le mieux à-même d'exprimer la cohésion cosmique, il réfute les classifications du monde opérées par l'Occident, ce découpage des sociétés par frontières, fonctions sociales, races, etc... Extase et extinction du moi dans le Soi. La contre-culture qui éclot dans les années 60 dans l'est américain avec le mouvement Hippie, retour de Katmandou, est... orientale. Le voyage en Orient, c'est, aussi regarder la mort en face, amoureusement, et non plus s'enfermer dans son déni, violent, qui permet la guerre. Peace and Love. C'est aussi une psychogéographie qui n'a plus d'interne (le délire) ni d'externe (le voyage), mais une isomorphie entre l'être et l'univers : sentiment océanique, foi de la voie vibratoire (H. Michaux) qui nous libère des formes. Et la physique quantique ne vient-elle pas de démontrer qu'observateur et observé sont connectés ? Tao de la physique.

 

 

Transe technologique, traces du mouvement hippie

Quand les communautés hippies retrouvaient l'extase sociale et cosmique des sociétés traditionnelles, se libéraient d'un social imposé par l'amour, les festivals tekno aujourd'hui, dans un rapport au sacrificiel, un épuisement par la transe, retrouvent l'exaltation du corps collectif. On rejoint le lieu inconnu, mais le lundi on regagne le bureau... Et il faut à nouveau des pilules pour revivre un peu d'empathie, pour se déprendre du social. Transe Goa ! Ecstasy ! Car les institutions ont persisté, les communautés ont cédé, l'amour fait retour au couple, le voyage initiatique (ce « voyage géographique en relation isomorphique avec le voyage intérieur ») au tourisme de masse. Quelques coopératives encore, assoc, antipsy, groupuscules politiques, sectes, végétarismes. Vifs interstices. L'écologie s'y perd, il ne s'agit pas de protéger la nature, mais de faire corps, mode bobo, souci de soi et de la caste plutôt que du monde commun...

 

Les Hippies tentèrent un concentré des « expériences de traversées de frontières psychiques, morales, mentales, spirituelles, sociales, etc »... Une pratique de Wilhelm Reich. Tendre vers l'énergie cosmique. Mais d'autres ont préféré la Révolution, et puis la négociation. La liberté sexuelle, et les Gender studies. La psychiatrie elle aussi : qui ne s'encombrera plus de catégories-frontières entre « maladies », mais baignera les impatients dans la « méditation de pleine conscience », cette religiosité vidée de substances. Retour aux Techniques archaïques de l'extase. Le mouvement Gay, mais le Sida. Qui permet à la bonne société de finaliser son rejet... D'identifier, à rebours, bien catholiquement, le sexe et la mort... La sphère rassurante du couple... Le profit matériel, seul objet du désir, à nouveau. La nouvelle adolescence où on se toise aux marques achetées et exhibées, au kilo de beauté, un groupe au peu de sexe, l'amour pas maintenant, préservatif. On fait circuler le désir dans la représentation. Les usages se réfugient très loin de l'imaginaire. Oubli du tantrisme. L'altermondialisme, par son « act local », ne serait pas non plus en mesure de se réclamer de l'héritage, mais serait repli sur lui-même, sans lien avec l'idéal cosmique du mouvement hippie.

 

 

Du psychédélisme à la Silicon Valley plutôt qu'à l'altermondialisme ? Ils ont vu le WWW

Le LSD, dit Timothy Leary, a fait découvrir à ses utilisateurs l'interconnexion de tous les éléments du cosmos, et une forme de communication authentique (empathique) avec l'autre. Méta-programmation de l'utilisateur de LSD, une vue directe sur ce qui n'était jusqu'alors que code, communication aux autres; ils ont vu le réseau et en sont changés, ils savent où aller. Des professionnels de l'extase archaïque, aussi : de très nombreux informaticiens indiens viennent travailler dans la Silicon Valley ! Ils y voient et créent le WWWeb, qui devait permettre l'interconnexion gratuite, au sens marge, de tous. Le peer to peer. Cette interconnexion perçue par les mystiques, cette noosphère... La connexion des micro-ordinateur, dans la faille du rêve trans-frontières des hippies...

 

Echappée au code ? Une communication de sentiments, peut-être, dans la transmission virale d'images, par rapport au texte écrit, toujours incomplet et lieu d'un autre ? Mais les alluvions hippies se sont perdus pour l'heure dans les publicités New Age, les jeunes des garages sont devenus chefs d'entreprises...

 

 

Que fera retour ?

Ça part d'une haute vallée du Gange, ça va sur le Golden Gate Park, ça semble s'éteindre, ça circule dans les failles, underground, puis ça se rallume sur le quartier latin, et ça fait rebond en New-Age (cette vision holistique, cette religiosité sans la substance), et ça a vu le réseau de conscience. Où recirculera l'imaginaire psychédélique ? Comment faire faille d'attente pour la prochaine énergie utopique ? Où l'Orient de l'esprit va-t-il maintenant prendre corps ? Là où le Reich haineux de Mille ans, qui caressait un rêve hégémonique aux odeurs de surhomme a échoué par la machine et la guerre, aux Etats-Unis d'Amérique, qui sont aussi nouvelle frontière, une utopie orientale d'amitié entre tous les êtres a su conjuguer un temps rêverie sociale et amoureuse, visées spirituelles et aspiration à la liberté individuelle, utopie refrénée par le système mais dont certains phénomènes sociaux gardent des traces, et ayant favorisé peut-être l'éclosion d'une nouvelle technologie de communication qui se voulait initialement, dans son peer to peer, émancipée des institutions... Retombée en un matérialisme divin, dans une pyramide à la Teilhard de Chardin... Où se relibérera l'imagination ? Des frères franciscains immergés dans le mystère de la nature (« flower power »), aux romantiques (orientalisants et haschichins) et au New Age post-hippie... Quelle nouvelle efflorescence du sentiment d'amour et de la transcendance d'échelle ? Quel sera l'hyper-lieu du réenchantement vital ?

 

 

La ligne directrice de l'essai est la théorie de G. Durand sur le « bassin sémantique » et l'élaboration mythique (1996, Introduction à la mythodologie) : l'ère est aussi une aire, dans laquelle l'expérience « nouvelle », le fleuve, ruisselle en courants multiples aux régimes différents. Puis, dans un partage des eaux, se font partis, écoles, courants ; des confluences forment des alliances. Alors, au nom du fleuve, un mythe particulier promeut un personnage réel ou fictif qui dénomme désormais ce bassin sémantique. On aménage les rives dans une consolidation rationnelle, les deltas s'épuisent, le fleuve affaibli se divise et se laisse capter par des courants voisins.

 

l'Inde est l'inconscient de l'Occident

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24 avril 2016 7 24 /04 /avril /2016 10:41
Eliade La Nuit Bengali

Eliade, La nuit bengali, 1950, ... son nom, Maitreyi, Maitri, apparaît beaucoup plus tard, après ma sortie du sanatorium... Il s'ouvre sur l'oubli et la quête, le trouble, la surprise et l'incertitude: le coup de foudre, ce contrepoint de l'arrachement originel. Un autre Absolu, la Femme, et non européenne, au piège d'une classe sociale. Et une poitrine puissante, matrice, alliage d'argile et de cire, comme on rêve, le personnage européen s'immerge là presque contre son gré, mais en quelques pages on sait déjà que la matrice sera rejointe, Maitreyi initie en se livrant non pas à lui mais à son Être. Alors qu'ils deviennent amant, dans un interdit qui pourtant ne s'impose pas, la jeune soeur, elle, accède à la psychose, leur amour est toute douleur qui protège sa voie à Elle, autre énergie de retour. Les soeurs seules savent l'être total qui se livre à lui mais auquel il se refuse encore, soumis à son interrogation, ne s'autorisant pour l'heure qu'une initiation ménagée, préservant d'autres rêves, craignant comme une chute dans le retour total, et encore soumis aux ordres du père, là-bas.

 

 

Risque essentiel du retour éliadien qui emporte soit vers l'union totale, soit vers l'effondrement, voilà l'exercice avec garde-fous que propose le maître, là est ce "risque du yoga"... La terre-mère amante, elle-même, est malade, et il faut l'enduire, même dans une fête des couleurs, car de vives douleurs l'assaillent alors qu'elle se donne, totalement, frénétiquement. Une humeur circule, l'inter-règne gémit encore aux décharges de l'inorganique, et lui doute, au lieu de compatir.

 

 

Le père de famille disparaît de jour en jour dans sa cécité. Rites de possession brutaux, cannibalisme, jalousie. La fillette tente de quitter plus radicalement son corps. Lui est alors banni par le père, la petite reprend ses esprits, mais meurt le jour du départ de l'amant... Il gagne la solitude d'un bungalow de l'Himalaya, à ... Almora, non loin de Jageshwar et ses bois de pins, loin de Chandrigar, et la flûte de Khrisna... Ils seront unis de tous leurs sens, il voudrait regarder Maitreyi droit dans les yeux, mais quels sont ces yeux de l'amour, qui seraient en amont de toute illusion ?

Eliade La Nuit Bengali
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19 avril 2016 2 19 /04 /avril /2016 14:46

 

O. Lacombe, L'Absolu selon le Vedanta, p. 358:

 

 

"Souvenons-nous que Mâyâ comporte un double pouvoir: pouvoir d'obscurcissement et pouvoir de projection dispersive"

 

 

Le premier pouvoir, ou mouvement, de la Maya, le plus connu aussi, est plus négatif, privatif, il est constitution de l' illusoire réseau de limites qui nous égare en apparence, en ego, et fait écran au réel; et le second mouvement, qui participe toujours de la Maya mais en son autre pôle, par traversée de membrane, cet effet positif de la Maya est le pouvoir de "projection dispersive", par lequel rien de l'individualité n'est perdu dans la délivrance, "les éléments du corps et de l'élan vital rentrant dans la potentialité causale de l'éternelle magie supportée par le Brahman". Maya, par son principe indissociable de "projection dispersive", réorganise les éléments (de ce qui ne faisait que forme) dans la totalité de l'énergie cosmique. Maya, processus magique, est ainsi le principe des coïncidences entre ce que nous étions illusoirement et ce que nous sommes réellement, principe de continuité entre notre vie restreinte aux limites des formes dans l'existence transmigrante, et notre identité, par projection dispersive, à tout l'être absolu.

 

 

liens

Maya, réseau de limites

La Maya et l'invisibilité du Soi

Winnicott et la peur de l'effondrement du Soi

Le processus magique

Coïncidences et Compassion ?

Forme et condensation, inflammation et dispersion: deux pôles de la mort

 

 

 

le pouvoir positif de la Mâyâ
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23 décembre 2015 3 23 /12 /décembre /2015 15:46
illustration d'après And@rt  (fragment)

illustration d'après And@rt (fragment)

lien sur l'Atman et la notion de soi en Inde
lien sur Asraya, le corps vivant
lien sur Manas, le mental

 

Buddhi et l'organe interne selon Cankara

(d'après O. Lacombe, L'Absolu selon le Vedanta, 1937)

 


Le corps vivant est défini comme Asraya, composé psycho-physique, lieu d'implantation des facultés sensibles (Indriya), point d'appui de l'action (Karman) et de la connaissance (Vijnana), dans un concept qui déborde les limites du corps individuel pour la nature entière. Le soi hindou (Atman, l'esprit) n'a pas plus besoin d'organe que d'objet; le sujet se trouve du côté de l'esprit sans s'identifier avec lui. Un vivant (Djiva) est caractérisé par l'Atman associé aux organes des sens (Indriya): le vivant est un Atman incarné.

 


L'organe est "cause instrumentale". Indriya, organe des sens, désigne les organes des 10 sens externes, 5 de perception et 5 d'action (parole, préhension, marche, excrétion, génération). On ne distingue pas cependant dans l'Ayurveda la composante sensorielle de la composante motrice de l'organe, et les Indriya sont plus que des "récepteurs" au sens biomédical moderne, mais des interfaces, des jointures, des connections entre le Djiva et la matière, les cinq éléments.

 


Buddhi (intellect, esprit), Citta (le mental), et les autres organes internes (cf. illustration), ceux du psychisme, ne sont pas le soi mais ont qualité d'organes. L'organe interne dans sa globalité appartient au corps subtil, lieu de fonctions biologiques et psychologiques, qui perdure jusqu'à la délivrance de l'âme; il est succession de formations mentales se produisant au gré des interactions de l'organe mental avec ses objets, provoquant un ébranlement de toute l'âme, une "actualisation" (au double sens d'actuel et de véritable) du corps grossier. Le corps grossier, dernière des manifestations vitales, siège des sens externes, se dissout lui à la mort.

 

Les instruments qui constituent l'organe interne (Antakharana) sont décrits dans la Prasna-upanisad5, ce sont dans l'ordre le mental ou manas, l'intelligence d'éveil ou buddhi, le sens du moi ou ahamkara, et citta ou la pensée dans le rapport à la mémoire:

... le mental et ce qui peut être pensé

l'intelligence et ce qui peut être compris

le sens du moi et ce qu'il peut faire ...

Lors du sacrifice, le mental, sacrifiant, reste en éveil et verse les organes externes et leurs objets dans les feux éveillés du souffle; le mental agit comme un chef parmi les agrégats du corps et des sens. Il prépare pour le brahman comme un sacrifiant.

 


L'organe interne est siège des quatre fonctions psychiques. L'activité sensible des Indriya (cf. illustration) est connectée au Manas ou "mental", "sixième sens"1, premier organe interne. Manas est caractérisé par le doute de l'activité psychique: c'est un opérateur de synthèse en contact avec la dispersion, entre consentement et indétermination.
Citta ou "élaborateur de pensée" est un des opérateurs hiérarchisés de l'organe interne. Il intègre les connaissances nouvelles et les connaissances remémorées, actualisées et enrichies ou représentées sous forme de souvenirs. Il forme des complexes dynamiques (Samskara) au hasard des associations, dans l'effort méthodique de remémoration, ou dans la clairvoyance2 (du yogin). Ces complexes appartiennent à la fois au domaine de l'objet et à celui du sujet: ils forment "un trésor d'impressions sans nombre rassemblées en totalité organique"3.
Ahamkara est producteur du Je, expérience du Moi4.
Buddhi est fonction psychique suprême, éveilleur, caractérisé par la certitude et la décision; il ne correspond pas comme Citta au domaine des idées mais à celui de la Vérité et du vouloir. "A toutes ces portes de la perception, l'organe interne, l'esprit (Buddhi) exerce sa présence illuminatrice, par "une sorte d'épanchement de la pensée elle-même": la pensée en fluide, flux, rasa dont les organes permettent l'écoulement.

 


Des organes externes d'action-perception connectés à des organes internes psychiques;
une chaîne d'organes internes sur un continuum de sensations,
le continuum d'organes fait globalité, les organes ne sont pas connectés
en parallèle dans un organisme.
Des "modules" cognitifs ??? Un flux neuronal ?? Mais flux qui s'épanche depuis l'objet jusqu'en un au-delà du corps anatomique...

 


Nous sommes confrontés d'une part à l'illusion universelle de la Maya, cette illusion cosmique dépendante du pouvoir créateur, par ces formes illusoires surimposées à un fondement réel; et d'autre part à l'erreur individuelle, illusion psychique, dépendante de l'expérience. L'analyse par l'organe interne, via les formations du Samskara où "l'illusion est mise en forme de mémoire", et la rencontre de la perception correcte nécessitent un fonctionnement harmonieux et atteignant au continu de cet organe interne, l'absence de toute fissure (Bheda), de toute solution de continuité dans cet organe interne par où l'illusion puisse insérer son propre jeu. Alors les représentations ne s'arrêtent plus en chemin mais vont jusqu'à l'objet et s'identifient à lui dans un vécu actif des processus perceptifs. L'organe interne agit, si nous atteignons à sa continuité, en démodulateur au travers du réseau de limites de la Maya, vers la reconnaissance d'une mémoire nue.

 

 

lien sur Bheda, la fissure active

 

 

notes

1. parfois associé à l'épiphyse ou "oeil pinéal"; sensibilité de l'organe interne à différents degrés d'une lumière

2. et "remémoration éclair" de Tulving, madeleine de Proust ?

3. ou aura-objet ? des équivalences représentation / perception dans la "chaîne" de l'organe interne ? depuis le réseau de limites du perceptif jusqu'à une perception pure ? La maturation du Samskara nous permet-elle d'analyser notre erreur perceptive ?

4. en lien avec la mémoire épisodique ? le Jivatman ? Ahamkara est-il l'organe interne de l'attention à soi, qui pour les cognitivistes fait défaut chez les patients souffrant de schizophrénie ? voir aussi "un atelier d'embryologie indienne"

5. Les Upanisad, Alyette Degrâces,  2014

Buddhi, l'organe interne et l'épanchement de la pensée
Buddhi, l'organe interne et l'épanchement de la pensée
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25 avril 2015 6 25 /04 /avril /2015 15:17
En amont du sujet est la déesse Vâc (son, parole)

Vedâ: le son est la cause efficiente de la connaissance. Pour les théoriciens de l'hindouisme, et contrairement à ce qui prévaut en Europe depuis le XVIIIè, "l'écriture est une puissance de tromperie, (...) elle n'est pas seulement une notation du son, mais une restructuration de la parole, [et] la cause efficiente de la connaissance du sens de la phrase, c'est le son"1. Le mot vâc (parole), en sanscrit, désigne une émission de sons doués de sens, mais ne signifie pas "discours argumenté"; une faculté de langage, mais pas un langage. La nécessité du langage, et la perte de la langue parfaite (samskrita), naissent bien de la séparation d'avec la mère, et tout un devenir-femme s'ensuivra dans la traversée indienne de l'inconscient.

 


Phonologie en Inde: une "décondensation" de l'ipséité. Le sivaïsme du Cachemire et le tantrisme développeront l'idée d'une quadripartition de la parole vâk4. "Dans sa condensation progressive, la parole primordiale de Siva devient vibration sonore primordiale, puis résonance, goutte (bindu) d'énergie phonique, puis phonème (varna), et, enfin, mots". Cette cosmogonie de la parole insiste sur les aspects corporels (parole comme vue sont, dans l'humorisme indien, des fluides du corps), étroitement liés à la pratique des exercices respiratoires yoguiques, à l'activation de la kundalini; le mouvement qui va à l'inverse de la cosmogonie, retour de la Parole vers la source, est pour l'homme chemin de libération spirituelle, on peut remonter les rivières, "les paroles confluent, pareilles à des rivières, se clarifiant par la pensée au dedans du coeur"5: "la parole se donne au poète comme parole à voir".

 

 

Le cri et le chant précèdent le discours, le Veda est une masse sonore. Sarasvatî est l'une des déesses, fluviale, de la parole, de l'intelligence à expression verbale... (et des examens !). Un seul mot (Aum), ou bien une phrase mais prise comme un tout et qui fonctionne dans l'intuition (pratibhâ) comme un nom propre, dotée d'un pouvoir iconique, peut porter, outre une éventuelle parole pour communiquer, la voix intérieure, vâc, la parole qui se révèle dans l'intuition12. Remontée du fleuve, accès à la connaissance vraie: "dans l'appréhension séparée des objets, une intuition se produit qui est toute autre que la connaissance d'objets séparés13. Dans les deux sens, conclut F. Zimmermann, paroles venues du dehors ou voix intérieure, je suis toujours en position d'auditeur, et non pas de locuteur14 (position pourtant centrale en Occident).

 

 

Pour le poète et grammairien du Vè siècle Bhartrhari, "la parole se déploie à travers quatre plans de plus en plus différenciés, jusqu'aux sons perçus par l'oreille, plan des objets mondains": parole "voyante", "moyenne", et "étalée", et enfin "suprême" (parâvâk), la divinité fait apparaître l'univers en le disant, à différents niveaux correspondant chez l'homme à des phénomènes d'aperception ou de perception consciente. Au niveau de la "parole suprême" la Conscience suprême prend conscience d'elle-même et de tout ce qu'elle recèle intérieurement6, l'univers sous sa forme germinale de parole.

 

 

Enonciation et ipséité. Pour E. Benveniste  toute énonciation implique l'Autre, l'allocutaire, un rapport au monde; pour lui la subjectivité serait l'émergence dans l'être d'une propriété fondamentale du langage, cette possession du "Je" selon Kant16, cette indexicalité du langage qui constitue la subjectivité, le langage précède donc la pensée17, il n'y a pas de pensée sans parole intérieure. Le locuteur (de la parole ) n'est pas l'énonciateur (l'énonciation constitue le sujet).

 

 

Qu'est-ce qui nous fait homme, doté d'une ipséité1, voire d'une subjectivité: la capacité de parole, la pensée réflexive, l'adresse à l'autre ?

 

 

d'apres F. Zimmermann, séminaire Vâc, EHESS, Philosophindia

 

 

 

 

notes et développements: lien

 

 

la non-parole maternelle et la porte du délire: un langage au corps
. mère, langage, délire: toucher la chose
. la langue en pulsion à la jonction du corps génétique et du  corps culturel
 
pensée préverbale, apophatisme et poésie:
les mots et la chose, apports de l'Inde ancienne

. "penser en relief":  avyapadesa, la non-énonçabilité
. émotion et émission: la déesse parole et l'ipséité


l'homme est-il "parlêtre" ou "métaréflexif" ?
les données évolutives et neurobiologiques

. comment le langage est venu à l'homme
. une folie présociale des pansynaptiques ?

 

 

 

 

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