notes sur
M. Angot, Histoire des Indes, 2017
(chap. 2 et 11)
M. Angot critique la scientifisation de l' « hindouisme » par ses collègues L. Renou et M. Biardeau, cette dernière étant « obnubilée par le brahmanisme », comme la vulgarisation de cette thèse par Y. Tardan-Masquelier. Il y a sans doute là-dessous des conflits d'universitaires (O. Lacombe n'est pas cité à propos de Cankara !) mais cet ouvrage livre une étude historique des nappes culturelles dans le monde indien bien convaincante, critiquant le recours au mythes recomposés des « historiens des religions » à la M. Eliade (sans le citer)
Brahmanes et Sramanes,
ou les histoires plurielles de l'« hindouisme »
La cosmopolis sanskrite, la capture nationaliste, et l'océan du yoga
L'homme est un océan
Il dépasse le monde tout entier
Quoi qu'il atteigne il désire être au-delà
S'il gagne le monde de l'espace intermédiaire il désire être au-delà
Rig-Veda
LE PLURALISME RELIGIEUX DU MONDE INDIEN,
ET LA CONSTRUCTION DE L' « HINDOUISME » AU XXè SIECLE
« Les Indes » ne coïncident avec aucun territoire passé ou présent, n'en déplaise aux colonisateur d'hier ou au nationaliste d'aujourd'hui. Une cosmopolis sanskrite a existé jusqu'au XIIIè, dépassant largement le territoire de l'actuelle Inde, sous l'impact de brahmanes migrant auprès de cours royales en Asie du Sud Est par exemple. Le brahmanisme est l'héritier du védisme, mais a incorporé nombre d'éléments autres, bouddhistes en particulier. Le terme « hindouisme », qui voudrait décrire la religion d'un monde homogène, est une dénomination britannique du XIXè, recyclant en particulier le terme dharma, et désignant des particularités sociales : on ne peut distinguer en Inde le religieux du non-religieux. Les élites anglicisées ont nationalisé l'héritage brahmanique, et le XXè voit naître l'adéquation « Inde/ hindouisme ». Cet « hindouisme » proclamé a pourtant un aspect protéiforme.
Jusqu'en 1845 on ignore, en Inde comme en Occident, que le bouddhisme est une religion née en Inde (E. Burnouf (1801-1852) est un des premiers à redécouvrir le passé indien du bouddhisme); on confond brahmanisme et bouddhisme en Occident, on pense que le jaïnisme est une hérésie bouddhiste, on considère dans le milieu indianiste européen, ou on veut affirmer dans le milieu nationaliste en Inde, que la religion des classes populaires indiennes est un « brahmanisme dégradé », un hindouisme du « passé et des campagnes ».
Or les castes inférieures ont longtemps été en dehors du brahmanisme, de part la « structure » de ce dernier, et de sa diffusion de cour, restreinte aux élites. Les textes sanskrits sont d'ailleurs peu accessibles, la majorité de la population utilisant des langues vernaculaires, et l' « hindouisme » reste longtemps étranger aux religions populaires ; les sudras (dalits) se considèrent d'ailleurs comme autochtones par rapport aux Aryas, importateurs des textes védiques.
Le brahmanisme, issu du védisme (à partir de -2000 ; originaire de l'Asie centrale et de la plaine de l'Indus), comprendra deux courants, un « royal », sanskrit et monumental, et un autre « renonçant », intégrant le yoga des sramanes du Maghada (Nord-Est de l'Inde actuelle, d'où sont issus jaïnisme et bouddhisme). C'est cette deuxième forme qui correspond à la perception par l'Occident de la « pensée indienne ancienne », mais elle ne touche qu'une minorité, et des religions populaires prédominent. L' « hindouisme à l'occidentale » (cf. par exemple le film A passage to India, 1984) est un kaléidoscope de dieux innombrables, de rites sociaux et de rituels magiques présenté en religion homogène, « un -isme des Indiens sous regard britannique », quand ni la complexité historique de la péninsule, ni sa culture, ne sont réductibles au carcan d'un certain esprit de système cartésien. Le pluralisme religieux et le protéiforme indien ne peuvent s'inscrire en catégories d'une école universitaire occidentale ; et le terme « religion » n'est pas une catégorie adéquate à décrire l'intrication d'un religieux très diversifié et du non-religieux en « hindouisme ». Les différentes écoles, sectes, communautés, castes, etc... en sont les seules réalités culturelles, sur lesquelles les Occidentaux jetèrent leurs « -ismes » classificatoires, et les nationalises indiens aujourd'hui leur hindouisation uniformisante.
Le monde indien connaît historiquement un pluralisme religieux à grande échelle. Il n'existe pas « en Inde » de foi exclusive - le brahmanisme antique était inclusif - mais en fait un fond commun et des pratiques communes à trois religions, brahmanisme, bouddhisme, jaïnisme, avec des passages et des transitions (qui se développeront aussi avec le christianisme et l'islam). L' « hindouisme » est une image sur fond de constantes interactions et évolutions. Des religions tribales ou « primitives » ont en effet été confrontées aux vagues culturelles successives (parfois représentées comme « flux des invasions »). Dans ces flux, des religions disparaissent en tant qu'entités (le bouddhisme vers 1000 en Inde ; le brahmanisme à Angkor ou en Indonésie au XIIIe). Dans l'espace montagneux de l'actuel Afghanistan, mazdéisme (polythéisme pré-zoroastrisme), bouddhisme et cultes védiques coexistèrent longtemps (jusqu'à la fin du XIXè) face à la montée de l'islam.
LES DEVELOPPEMENTS DISTINCTS DU VEDISME (VENU DEPUIS L'OUEST DE L'INDUS) ET DU SRAMANISME (AU NORD-EST DE L'INDE)
Le védisme des origines, ou le texte connu d'une religion inconnue
Les religions védiques (-1500 / 500) sont présentes de l'Asie centrale à la plaine de l'Indus. Veda brahmanique et Avesta iranien seraient des textes frères. Le Veda n'est pas autochtone en Inde (comme le rêveraient aujourd'hui les idéologues nationalistes): des échanges culturels indo-aryens ont eu lieu en nappes depuis l'ouest de la vallée de l'Indus. Il n'a pas non plus été un apport imposé par des populations exogènes (il n'y a pas eu invasion d'Indo-Européens en Asie du Sud, mais une diffusion entre aires culturelles interpénétrées). Ces religions utilisent un sanskrit oral ou « archaïque », véhiculé par des poètes de clans nomades, une parole sacrée, énergie des hymnes, transe, pouvoir du mantra, « parole de force ». Le brahman védique est initialement le nom de l'énergie particulière présente dans les hymnes. Ces religions considèrent plusieurs plans de l'univers (dieux / forces / hommes) et une harmonie entre l'expression et la chose exprimée. Elles ne pratiquent pas le prosélytisme. Le Veda désigne l'ensemble des textes védiques, rassemblés tardivement.
"Cette correspondance du rita et de yasha qui se poursuit
ainsi jusque dans les derniers détails de l'expression, à travers
toute une série de formules techniques, qui sont à la fois
trop particulières et d'un emploi trop consacré pour qu'une telle
concordance soit l'effet du hasard, nous reporte à une conception
commune, antérieure et à la religion védique et à la religion
mazdéenne, à une conception qui était déjà formée et munie de
tous ses moyens d'expression dans la période indo-iranienne.
C'était la conception d'un ordre cosmique et religieux"
(James Darmesteter, 1877)
mais concept de Dieu créateur dans les religions mazdéistes
versus une vision hylozoïque du monde en Inde védique
Rédigés vers le VIIIè, les Brahmana exposeront la manière de réaliser les rites sacrificiels, cette fois dans une prose sévère éloignée de la poésie des hymnes du Veda, et développent une orthopraxie plutôt qu'une réflexion doctrinale (voir Cuire le monde de Ch. Malamoud ou Paroles de Brahmanes de M. Angot). Les rites supposent la réarticulation entre une vérité ordonnée transcendante et une réalité sujette au changement, au désordre ; un rite n'est pas « fait » mais « tendu » (tan-) ; il intègre ordre (ritam) et désordre (nirriti) dans une religion de totalité et non de vérité : il n'exclut pas erreur, faux, désordre. Le mal n'est pas externe, le rituel ne refoule pas la mort dans un monde « étranger », même s'il cherche à maintenir à une distance respectable la face noire des dieux. La persistance de l'âme est un concept étranger au védisme des origines, et les rituels relèvent de la religion de l'homme en société (les richesses, la descendance, la renommée, etc...). Il ne s'agit pas de renoncer à un « monde matériel » pour une « quête spirituelle » mais de « gérer » la complexité du monde (dans laquelle le singulier n'a pas de sens) par les rites.
Wikipedia : Un brahmane (sanskrit : brāhmaṇa ; devanagari : ब्राह्मण ; lié au sacré1) est un membre d'une des quatre castes (varṇa) définies par l'hindouisme, regroupant notamment les prêtres, les sacrificateurs, les professeurs et les hommes de loi – ou plus largement les enseignants du Brahman. Le brahmane a pour devoir principal d'incarner le dharma, de le défendre, et de le faire respecter par les autres castes sacrées, afin de maintenir le bon ordre cosmique2. La caste des brahmanes représente environ 6 % de la population de l'Inde.
Le brahmanisme s'exporte dans les cours royales en une cosmopolis sanskrite
Les rites védiques se perpétueront dans les rites domestiques brahmaniques, en particulier dans les cours royales ; « des mythes védiques comme les trois pas de Vishnou ou post-védiques comme le barattage de la mer de lait (Ramayana), constamment réactualisés, traversent toutes les formes de religion d'origine indienne jusqu'à aujourd'hui ». La langue védique, elle, disparaît avec la religion du Veda, et un sanskrit modernisé devient la langue d'une élite. La force du modèle sanskrit et brahmanique de royauté s'exporte. Des brahmanes pauvres cherchent fortune en allant à l'étranger gagner la faveur des rois. Les brahmanes sont facteurs de mots et créateurs de concepts, et ce sont ces mots et ces concepts qui sont réalisés, c'est-à-dire transformés en temples, par exemple dans les pays khmers, sans qu'il y ait eu forcément imitation des formes architecturales : chaque région de la cosmopolis sanskrite a donc sa créativité propre.
Le barattage de l'océan, motif décoratif dans Angkor Vat la vishnouite, principe architectural dans Angkor Thom la bouddhique, élément central de l'aéroport de Bangkok au XXIè siècle
Sramanisme
Au Magadha (actuel Bihar) existaient des ascètes pratiquant diverses formes de yogas, et sans doute autant de communautés sectaires, dont serait issu Vardhamana, prédicateur du jaïnisme, contemporain ou légèrement antérieur au bouddhisme (-Vè), tout comme Gautama. D'autres on ne connaît que – parfois - les noms.
Wikipedia : le mot sanskrit śramaṇa est dérivé de la racine verbale śram "'exercer, effort, travail". Śramaṇa signifie donc "une personne qui s'efforce". Le mot toungouse chaman en dériverait.
Bouddhisme
Gautama (le Bouddha) est né dans cet aire du nord-est du Maghada et ne rencontra sans doute pas ou peu d'érudits brahmanistes. Il parle le maghadi, et sans doute pas le sanskrit. Il pratique plusieurs formes du yoga qui existait déjà en cette région. Il parvient par lui-même (ce qui est considéré comme rarissime dans les traditions indiennes) à la bodhi ou clairvoyance, mais sursoit à son extinction complète, par compassion, pour enseigner, parler, enseigner de façon non systématique. Il insiste sur l'aspect exotérique, accessible à tous, de son enseignement. Il fait le constat mystique de la souffrance universelle, liée au samsara, la vie qui court ; celle-ci se nourrit à chaque naissance (jati) des actions anciennes (karman).
parvenir au terme des soifs
Il est itinérant, les ermitages ne sont que des refuges de temps de pluie. Sa vie sainte culmine avec le sermon de Bénarès. Incinéré, ses restes sont partagés entre les fidèles, qui élèvent un tumulus (stupa) au-dessus de la relique. Ses enseignements ne sont écrits que plusieurs siècles plus tard, la transmission orale était lâche, on ne sait pas exactement ce que le Bouddha a dit, la plupart des événements de sa vie sont légendaires : le bouddhisme réel est celui inventé par les moines qui interprètent son enseignement (au -IVè / -IIIè siècle, soit sans doute plus d'un à deux siècles après sa vie). Les textes « originaux » sanskrits (le Bouddha parlait le maghadi) n'ont été retrouvés que tardivement. La métaphysique bouddhiste dénie l'existence d'une âme permanente. Mais lui-même, ou ses exégètes les plus précoces, auraient été volontairement imprécis sur la notion de l'existence d'un Soi, d'une âme substantielle (Cankara (vers 800) reprocherait à tort à Bouddha, selon M. Angot, d'avoir affirmé qu'il n'y a pas de Soi). Certains bouddhistes inventent le pugdala, très proche de l'âtman brahmaniste. Le combat bouddhiste qui consiste à tarir la source du désir se passe au plan psychique (on ne recherche pas l'immobilité du corps comme chez les jaïns, ni à localiser le point fort et immobile de la personne (dasein) comme le feront plus tard les brahmanes).
Les prophètes, ces extincteurs mondains,
qui détourent l'accès à la pleine connaissance, puis se retirent dans une légende dorée – ou religion -
où nous nous isolons à nouveau.
L'ascète (samana, sramana) enseigne la cessation des choses, qui naissent des causes
Ce n'est qu'au temps des Mauryas que les bouddhistes rencontrèrent les brahmanes, représentants du védisme tardif, et beaucoup de docteurs bouddhistes seront alors des brahmanes. Camkara critique autant les orthodoxies brahmanistes que les écoles bouddhistes. La critique et la construction inter-écoles sont caractéristique du monde indien ; les commentaires des textes donneront eux-même lieu à d'autres apports et discussions. L'idée d'un bouddhisme pur venant critiquer et s'opposer frontalement à la docte brahmane légaliste est une construction occidentale, même si le bouddhisme est né initialement dans un monde non brahmanisé.
L' « originaire » du bouddhisme est monastique, et renoncement mondain ; dans la religion populaire sont intégrés des rites magiques (plus compatibles également avec le brahmanisme : agrégation d'éléments prébouddhiques tels que culte du naga, magie sympathique, etc...). Le bouddhisme originel est anicônique, on vénère les traces ou pada, nirvana ou présence d'une absence, empreinte des pieds ; les reliques permettent de pallier l'inexistence des icônes. On commence à le sculpter au 1er siècle (lors du contact avec les Grecs), mais l'icône reste initialement associée à la relique, ce reste d'un corps : elle est reste d'une image, et non transcendance divine comme dans le christianisme. Les vies antérieures du Bouddha sont contées (et comptées, n = 550 environ) dans les jataka, avec une iconographie fantastique que l'on retrouve en Asie du SE (cf. l'histoire de Vessantara, promis à l'éveil plus célèbre que le Bouddha lui-même, d'où provient l'épisode de la prise de la terre à témoin). Renaissance d'un être, punition des enfers chauds et froids, incarnations en animaux variés, l'iconographie prend le pas sur la métaphysique bouddhiste.
Purnakumbha ou pot de plénitude,
symbole souvent représenté sur les stupas
Jusqu'au VIè, le stupa, originairement construction ronde des « barbares » du Magadha - dixit les brahmanes aux normes carrées - est un monument si plein que les grammairiens inventent la racine stu- « agglomérer » pour expliquer le mot. Le stupa accueille les os et les dents du corps incinéré et dispersé du Bouddha. On fabrique des stupas-reliquaires portatifs, évolution vers les mandalas. Les temples, eux, sont excavés où enserrent une cella, des temples brahmanistes sont réutilisés dans la cosmopolis, ou, plus tardivement, temples en forme de stupas qui alors sont creux (au XVè au Bhoutan).
L'ultime des penseurs du Veda est linguistique, les philosophes du renoncement eux vivent pour éteindre en eux la parole et la vie, leur ultime est silencieux, non linguistique, non discursif
Les bouddhismes privilégient le message, les brahmanes n'en séparent pas la langue (leur ultime du mot, cependant, n'est pas linguistique, qui touche à la chose)
Vision des rishis exprimées en mots sanskrits,
œil interne des yogis (monisme de la pensée préverbale ?) et image ineffable,
polissage de l'icône des mains et pieds des dévots
L'expansion du bouddhisme dans la péninsule débute au – IIIè, alors que le déclin commence tôt au Maghada, dès le IIIè des monastères sont abandonnés.Au XIIè, certains des moines survivants aux sultans musulmans fuient en Birmanie, d'autres au Tibet (« seconde conversion » du Tibet au bouddhisme, tantrique et proche du sivaisme). Le Sri Lanka a une importance très grande à partir du XIIIè dans la diffusion du bouddhisme theravadin. Le bouddhisme s'étend des steppes d'Asie centrale jusqu'en Corée, mais disparaît de son pays d'origine ! La disparition n'est cependant qu' « institutionnelle » car ses valeurs pénètrent en profondeur les religions brahmanistes, Bouddha devenant même un avatar de Vishnou.
Le bouddhisme comprend actuellement des formes religieuses très différentes, bouddhisme réformé de Sri Lanka, tantrisme tibétain, zen japonais, etc... Le bouddhisme, religion en Inde, a également pris en Asie hors de cette dernière une importance socio-économique. En Occident, des valeurs individualistes (« développement personnel ») s'imposent aux enseignements bouddhistes, parfois réduits à une simple thérapeutique anti-stress... dont on vient à nier le caractère religieux ! On compte plus d'une trentaine d'écoles bouddhistes. Elles sont regroupées en trois ou quatre grandes familles : theravada, parole des anciens, surnommé « petit véhicule » par ses adversaires, diffusé en Asie du SE ; mahayana ou « grand véhicule » en Chine et au Japon; mantrayana et vajrayana (« véhicule du diamant »), qui relèvent tous deux du tantrisme en Asie centrale, le dernier étant intégré au lamaïsme tibétain à partir du XIIè siècle. Aucune de ces voies n'est fixée, des théories sont empruntées ou discutées entre elles. Dans le theravada, les libérés, accomplis (arhat), renoncent et atteignent le nirvana par la rigueur et la discipline personnelle (« une connaissance se produit spontanément chez les éveillés solitaires » (Nagarjuna, + IIè ?); le boddhisattva, lui, retarde sa propre délivrance pour travailler à la libération de tous, hors de la voie monastique, dans la bhakti (dévotion) ; le bouddhisme n'est pas ici commémoration du Bouddha, mais une voie pour devenir buddha. Le bouddhisme, au lieu d'être une pratique de renoncement, devient une religion (la coupure décisive est entre theravada et mahayana). Fortement inspirés de l'hindouisme, les préceptes du mahāyāna réintroduisent des idées écartées par le Bouddha, le salut par la dévotion, le ritualisme ou la présence de divinités.
Le tantrisme transmute (les toxicités, etc...)
La karuna est une position (védique, intégrée au mahayana) par rapport à la souffrance (bouddhiste)
Le jaïnisme (Vardhamana, alias Mahavira, « passeur de gué », -VIè ou -Vè, connaît l'omniscience sous un arbre sala, et entre en nirvana à 72 ans) est une pratique voisine et rivale du bouddhisme, sans doute légèrement antérieure, au Magadha, et en magadhi. Parmi les écoles sramaniques, il est peu missionnaire, et élitiste. Il n'entre que secondairement en confrontation avec le brahmanisme (-320, lors de l'unification de la plaine indo-gangétique par les mauryas). Le sacrifice où l'on verse le sang y est condamné. Il comprend les pratiques ou notions d'ascétisme et de yoga, de rétribution karmique, de cycle des renaissances, fond commun de croyance du Magadha (et aujourd'hui attribué à l'Inde de manière générale, alors que les Upanishads n'évoquent la notion de karman que comme élément allogène, cf. travaux de J. Bronkhorst dans les années 2000). Cependant il diffère du bouddhisme sur les pratiques et théories pour mettre un terme au karman et au samsaran : seules les actions sont pour eux porteuses d'un dépôt qui ensemence l'avenir, tandis que pour les bouddhistes importent aussi les actes intentionnels, le désir, même non suivis d'actes corporels (doing et making y sont confondus). La pratique jaïna est dans l'immobilité du corps, car le karman (action) est confondu avec le mouvement (posture kayotsarga, « abandon du corps »). La douleur ressentie dans l'immobilité, endurée, consume les germes des actions précédentes : il s'agit de combiner extinction des germes anciens et non-ensemencement du futur.
Un plaidoyer pour un primum non nocere, mais une caruna active ?
De même, les jaïnas se font violence, acceptant la douleur, pour être non-violents
Les jaïnistes appréhendent l'ahimsa dans une forme positive de « non-violence », de médiation, de solidarité en actes avec tous les êtres ; c'est un refus fondamental de verser le sang, qui laisse vivre dans l'interdépendance de tous les êtres. Ces règles concernent moines et nonnes, la vie des roi et du peuple reste possible sur un autre pied ; les laïcs ne pratiquent que les « vœux mineurs » (s'abstenir de toute action évitable qui pourrait être nuisible ; limiter l'espace des activités mondaines et professionnelles ; s'imposer la modération en tout ; méditer plusieurs fois par jour ; jeûner et veiller régulièrement ; distribuer des aumônes). Il existe de nombreux schismes au sein du jaïnisme, comme dans toutes les religions indiennes ; les digambara sont « vêtus d'espace » (nus) et les svetambara « vêtus de blanc ». Le jaïnisme a été décrié et persécuté, de la part des shivaïtes en particulier. Le svastika sumonté du candrabindu (« point dans la lune ») est un symbole important du jaïnisme. On ne prie pas le dévot (siddha) mais on médite sur l'âme libérée de ce corps vide.
Comme les moine bouddhistes, les jaïnas sont particulièrement persécutés par les nouveaux venus musulmans (après l'avoir été par les shivaïtes). La communauté disparaît quasiment dans l'est, peu de temples (construits sur le modèle hindouiste) subsistent. Aujourd'hui, les jaïnas indiens rejettent le modernisme occidental, ceux d'Amérique ont une vision new age, écologique.
LE BRAHMANISME
Le brahmanisme développe des catégories de pensée qui vont profondément influer les sociétés indiennes jusqu'à aujourd'hui : idée du dharma (ordre socio-cosmique), le seul que l'on est habilité à suivre ; théorie des varna (classes socio-cosmiques) ; théorie des quatre purusartha ou aspirations légitimes (ordre du monde, économie-intérêt, amour, et désir de libération ou moksa) ; théorie des asrama (âges de la vie) ; théorie des quatre yuga (ou éres ; la Bhagavad-Gita raconte le passage apocalyptique entre deux yuga ; nous vivons actuellement dans le kaliyuga, le temps au dharma le plus dégradé). Dans ces conceptions le temps s'écoule cycliquement, l'histoire à l'échelle humaine est théoriquement absente.
Le brahmanisme du Ier millénaire va adopter un ensemble de pratiques et d'idéologies issues du yoga, ce courant sévissant au Magadha (régions des actuels Bihar et Uttar Pradesh) et qui a donné naissance aux deux religions du bouddhisme et du jaïnisme. Dans les Upanishads tardives émergent ainsi les valeurs du renoncement, la recherche du nirvana. Le monde des vanités et de la souffrance, thème bouddhiste, se retrouvera dans le yoga-sutra brahmaniste ; il y a « irruption » de la notion de non-persistance de l'âme dans le brahmanisme. Des ascètes, dans la lignée des sramanes du Magadha, tournent le dos au monde et regardent vers un hors-monde spirituel, mais restent une minorité parmi les tenants du « oui au monde » des cours royales, etc... Ces deux courants cohabitent, moines mendiants et cours, se soutiennent, se valorisent, les seconds construisant stupa et monastères des premiers ; le brahmanisme est un ensemble de religions où coexistent ces deux dimensions, renoncement et rites royaux, pravrtti (acquiescement) et nivrtti (renoncement). On théorise, dans cette tension interne au brahmanisme, des passages. Ainsi le maître de maison et le renonçant des « âges de la vie » , dans le yoga-sutra (début du 1er mill.) ne connaît-il que le yoga sans retour, le voyage de l'ascète qui se termine par l'arrêt du mental, l'isolement de la monade spirituelle tandis que meurt le corps ; mille ans plus tard le Yajnavalkya valorise lui un retour dans le monde de l'ascète doté de pouvoirs extraordinaires.
Plus de cuisson des aliments ni de vêtements tissés pour le renonçant : ni oxydation du vivant, ni solutions de pensée dans le langage, mais un vivant primordial inaltéré
Désir brahmanique et ascètes. Le brahmane juge négativement le sadhu, leurs ascètes sont plus policés, samnyasin ou renonçants, proches des moines bouddhistes ou jaïnistes. Cankara (tenant du vedanta non-dualiste) est un ex-brahmane renonçant, tondu ; les hirsutes sont en général des non-brahmanes. Veda indifférent à la consommation de viande, végétarisme strict du jaïnisme, limitation dans le bouddhisme ; le brahmanisme adopte le végétarisme des yogins. Dilution des sramanes dans le brahmanisme.
O. Lacombe, L'absolu selon le vedanta, p.241 : antérieurement à la période des Upanishads s'est élaborée une doctrine de la vérité (l'exactitude du verbe védique) qui imprégnera pour toujours l'orthodoxie indienne et que Cankara, contemporain des Upanishads tardives, qui admet l'acosmisme, l'illusion du monde, emprunt bouddhique, s'efforce de préserver dans ses commentaires.
Dans le védisme, contrairement au brahmanisme, il n'y a pas de transcendance divine : les dieux sont entités célestes, les hommes terrestres ; dans le brahmanisme le dieu s'incarne, sous des formes multiples. Des dieux populaires, non védiques, sont également intégrés au panthéon et la religion de dévotion (bhakti, élaborée dans le Ramayana, les cérémonies de puja) concerne tous les dieux, bons ou non, védiques (Vishnou) ou populaires (Krsna, Rama), proches et pouvant prendre forme humaine. On passe du sacrifice aux statues, aux images, aux lieux de culte. Le rite védique (dans lequel les dieux étaient présents mais secondaires) servait à réordonner le monde, la puja établit une relation personnelle avec un dieu (les deux dimensions seront réunies plus tard dans les rites tantrisés).
Ce sont les apports bouddhistes (notion de métempsychose et de libération de l'âme du cycle du nirvana par la moksa) qui feront ce pas vers le deus ex nihilo tempore (M. Eliade) des monothéismes
Le tantrisme participe de l'évolution du brahmanisme après le Vè siècle ; on y considère les dieux sous deux pôles, l'un masculin et transcendant, l'autre féminin et immanent. La shakti est la partie active, féminine, du dieu. Le rite y est revalorisé. Des techniques nouvelles permettant l'irruption du dieu dans le dévot sont développées : mandalas, mantras. Certains rituels socialement transgressifs visent à défaire l'homme social pour que se révèle l'être originel. Certains rites, très minoritaires, sont sexuels et cherchent à entrer en phase avec la vibration primordiale qui traverse toute la création dans un rituel d'union qui n'est ni procréatif (védique) ni orienté sur la recherche du plaisir, mondain (« kamasutrique ») mais expérience spirituelle, favorisée par la transgression, on y consomme viandes et alcool, la pratique sexuelle a lieu pendant les règles, Siva et Sakti, union du blanc et du rouge du au sein du yogin véritable. Un guru prépare un disciple à l'initiation et le mène par degrés (coups et expériences) à la plus haute connaissance.
La cella des temples tantriques est exiguë, ni lieu d'exposition du dieu, ni lieu de culte comme dans les temples modernes. Le mystique recherche, dans le tantrisme vishnouite du pays tamoul ou du bengale, le sahaja, cet « inné », « spontané » surgissant dans le moi profond. Un certain mélange de croyances se réalise avec les soufis musulmans dans le chant des baul, ermites mendiants, qui influencera R. Tagore.
Le tantra est la forme évoluée du brahmanisme et du bouddhisme, une religion composite, les brahmanes qui procèdent par accumulation sont devenus êtres mosaïques. Le mahayana et ses formes tantrisées font perdre au bouddhisme sa spécificité en le rapprochant du shivaïsme. Des praticiens-magiciens bouddhistes-tantriques mènent des vies ni saintes ni sages à nos yeux occidentaux, on est très loin de la « spiritualité indienne » un peu mielleuse répandue via S. Vivekananda, M. Gandhi ou R. Rolland ! Une grande partie des valeurs du bouddhisme devenu religion, dont ses dimensions de yoga, est intégrée dans le brahmanisme. Le brahmanisme intègre, le brahmanisme tantrisé survit dans le sous-continent indien, le bouddhisme tarde à s'y tourner vers les rois, et il y disparaît vers le XIIè (« le Bouddha finit sa carrière indienne comme avatar de Vishnou »), tandis qu'au nord et au sud-est de l'Inde actuelle maîtres bouddhistes promeuvent une religion de puissance et se maintiennent ; une théocratie bouddhiste s'instaure au Népal et au Tibet, le bouddhisme s'impose dans le reste de la cosmopolis, où brahmanisme et bouddhisme avaient cohabité. Hors péninsule indienne, le bouddhisme-religion s'accole à la politique et subsiste. En 1891 A. Dharmapala (Sri Lanka) instaure le prosélytisme bouddhiste, missionnaire, nationaliste. Récemment, à l'instar de l'hindouisme ou de l'islam, des populations bouddhistes développent un fondamentalisme... (Birmanie). Sur le plan philosophique, brahmanisme et bouddhisme s'affaiblissent du fait de l'absence de leurs controverses : le temps de la création, culminant avec Cankara au VIIIè, semble révolu, l'impétrant de rite tibétain apprend souvent par cœur...
Beauté des rites et déclin de la pensée ? Expansion philosophique – et médicale – en occident ?
Des babas des marges vers les bobos ?
CONQUETE MOGHOLE ET VITALITE HINDOUE
Les rajas hindous s'accommodent aux conquérants Moghols (XIIè) alors que fleurissent monuments majestueux. La vitalité de la communauté jaïn se traduit également alors dans la construction de très nombreux temples. Dans le Sud, des rajas construisent des villes-temples où le même gigantisme monumental que dans le Nord s'affirme. De nombreux mouvements hindous socio-religieux, communautés plurielles, se développent et inventent leurs saints hommes, construisant des hagiographies (telle celle dont Cankara se voit alors affublé). Aujourd'hui encore les hindous croient à l'historicité de ces mythes religieux (« les Grecs ont-ils cru à leurs mythes ? Une telle question ne faisait pas sens », dit P. Veyne), même si alors la dimension sociale de ces mouvements sectaires était tout aussi importante, outre leur mouvement de bhakti (dévotion, relation personnelle au dieu). On vit dans certaines sectes dégagé des valeurs des castes et d'autres règles de l'hindouisme tel le Srivaisnava de Ramanuja, vishnouite, mystique, écrivain du XIIè, brahmane de Srirangam qui légitime le culte des idoles et lutte contre le monisme absolu de Cankara. Ramanuja lui place au centre de sa métaphysique (« non-dualisme qualifié ») un dieu transcendant, Vishnou. Depuis le védisme existaient des images linguistiques des dieux, depuis le yoga existaient des images mentales, l'icone ici prend forme concrète, et le monde brahmanique se rallie à l'iconisme. À l'époque de Ramanuja, des musulmans iconoclastes sévissent en Asie du Sud, et la question de l'iconisme est débattue dans les mondes chrétiens et musulmans.
Les porteurs du linga ou virasaivas, « sivaïtes héroïques » de Basava, dans le nord de l'actuel Karnataka, s'opposent eux à la même période au polythéisme comme à la société des castes. Chacun peut rentrer en relation avec Siva dans la bhakti indépendamment de tout rituel. La préférence va à l'inhumation plutôt qu'à la crémation. Les lingayats refusent les temples, le seul temple fiable étant celui de son propre corps, celui d'un errant (les choses dressées tomberont, mais celles qui se meuvent toujours demeureront). Mais cette secte qui rejetait initialement les castes deviendra soucieuse de pureté et d'endogamie...
Ainsi foisonnent à cette période de nombreuses sectes, par tentatives d'affranchissement initial de valeurs et pratiques mondaines. Les sociétés non musulmanes, dominées politiquement, investissent les dimensions religieuses, culturelles mais aussi linguistiques, dans une grande diversité (actuellement il y a toujours quelques 3000 langues maternelles dans l'Inde-nation) : vers 1200, le sanskrit des élites perd de sa créativité et d'autres langues prennent le relai, vernaculaires savants dérivés du sanskrit ou authentiques langues populaires. Dans l'Inde contemporaine, où Rama est devenu un avatar de Vishnou, on lit le Ramayana en hindi, en tamoul, etc... et cette littérature a été diffusée – plus ou moins adaptée - à toute l'Asie du Sud et avec une réception maintenant populaire.
Au XIIIè la cosmopolis sanskrite se disloque, les relations humaines et culturelles via les brahmanes et sramanes y cessent, l'influence du sanskrit s'y atténue. Le pluralisme religieux y est de règle. En un peu plus d'un siècle Angkor passe du vishnouisme (Angkor Vat) au mahayana de type vajrayana (Angkor Thom, Bayon) puis au theravada. En 1431 les Thaïs ruinent définitivement Angkor. Benares sera capitale du renouveau des études sanskrites (fin XVIè-XIXè). Lucknow est la dernière des villes cosmopolites indiennes, florissante entre 1750 et 1857.
Krishna dans le Mahabharata précipite toute l'humanité dans la guerre et la destruction,
le dharma est finalement sauf et restauré, mais tout le monde est mort