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Lire c'est tomber dans l'autre. On ne peut pas lire ou avoir lu ("avez-vous lu..."), on ne peut être qu'en train de lire, force de la modification, puissance de la forme progressive britannique, que l'on devrait dire conjonctive, la lecture est ce pas-de-côté qui nous permet de toucher à l'arbre conjonctif, connaissance qui devient transmissible, engobe de notre nature qui se met enfin au contact génétique. Le moment est venu d'ouvrir cette marche, marche et non-plus simple aller-retours et circum-navigations cartographiques, dans lesquelles on laisse un peu de soi là-bas pour revenir chargé d'un peu d'autre, et repartir, confiant, pour un nouveau transit de mémoire, immunologique, heuristique. Non, il s'agit bien ici, et maintenant, de marcher pour se perdre, de marcher pour mourir. De nouer, Cher Lecteur,  ce vrai pacte malin de l'accès à la connaissance, par la souffrance de la porosité à l'Etre. Marcher, mais sur un nouveau relief, marcher en borgne car  un oeil laissé en gage, là-bas, à la mémoire; et donc marchés connectés, mais enfin libres d'avancer toujours. Et c'est Stefan Zweig qui nous a embarqués, avec son Nietzsche, "qui a passé la moitié de sa vie, pour ainsi dire, dans le feu":

Toujours à jeûn comme la flamme

Friedrich Nietzsche


Il est un noeud, il n'est pas de sens: nous naviguerons aux limes, sans espoir d'accoster, sans tentative même, et aucun de nos pilotes ne saura nous dire s'il va vers l'effondrement par ses mots, ou si ses mots sont nés du retournement de sa peau, écorchée à vif; si, en d'autres maux, il existe une créativité du traumatisme, ou si écrire, c'est toujours mourir. Mais laissons leur la parole, laissons leur notre espace, évidement de l'évidence. Rejoignons, dans notre quête de fusion, quête de l'ancêtre que nous nous construisons, celui  qui nous a envoyé, celui qui "bien sûr" gère notre chute, rejoignons cet espace intermédiaire "entre le subjectif et l'objectivement perçu" (D. Winnicott), "entre le corps sensible et le Soi", cet espace des blocs percepts-affects à existence autonome (G. Deleuze et F. Guattari): "là ce qui apparaissait auparavant comme intérieur (une émotion) se donne maintenant à l'extérieur visible dans une forme (F. Pessoa et hétéronymes).


Nous demandons seulement un peu d'ordre pour nous protéger du chaos. Rien n'est plus douloureux, plus angoissant, qu'une pensée qui s'échappe à elle-même, des idées qui fuient, qui disparaissent à peine ébauchées, déjà rongées par l'oubli ou précipitées dans d'autres que nous ne maîtrisons pas davantage

G. Deleuze et F. Guattari
Qu'est-ce que la philosophie ? 1991




Lecteur, ce texte fut fondateur de notre rencontre, écho sans distance de la voix brisée des rescapés du voyage que nous entamons à peine ce jour. Il n'y aura pas de traitement et nous pouvons encore nous arrêter, le pouvons-nous ?


Ce saut en chute libre m'éloignant des restrictions de ma tribu allait néanmoins me laisser avec des structures en peau de chagrin.

Breyten Breytenbach, Métamortphase





Et la douleur, profitant de l'ouvert-fermé de cette peau devenue de chagrin, déjà ne nous tient-elle pas obligés à la marche, phénétiques ?

La douleur est l'entre-deux du langage et de la mort  - l'interdit et l'oublié - , le retour du réel
M.de Certeau, Corps torturés, paroles capturées,
 in L. Giard (sous la direction de), Michel de Certeau, Paris: Cahiers pour un temps, Centre Georges Pompidou, 1987





Devant l'épuisement de cette marche, certains, ne se reconnaissant plus à notre angoisse, nous disent lointains et perdus:


Leurs mécanismes mentaux étaient différents des notres (...). Tous souffraient d'un trouble continuel qui empoisonnait le sommeil et qui ne porte pas de nom. Le définir "névrose" serait réducteur et ridicule. Il serait plus juste, peut-être, d'y reconnaître une angoisse atavique, (...) l'angoisse inscrite en chacun de nous du tohu-bohu,  de l'univers désert et vide, dont l'esprit de l'homme est absent: ou pas encore né ou déjà éteint.  (…)  Comme si des volontaires seuls pouvaient entrer dans ces régions 

Primo Levi,
Les naufragés et les rescapés





Le but inaccessible n'est-il pas devenu,  dans sa polarité apparente effacée par cette  quête,  obligé d'effraction continue, et tiraillement sans halte et sans prudence des sensations, dès lors qu'on s'est engagé vers lui ?

 Nous vivons sur une grève, entre ciel et mer. Nous sommes des êtres protoplasmiques, nos parties charnues sont à l'extérieur (...). A chaque nouvelle blessure on apprend la sensation particulière à la parcelle de corps concernée. Elle s'éveille.(...) Chaque endroit de son corps où l'on se blesse ajoute un pan de plus à la conscience qu'on a des choses. On devient plus vivant. Et au bout du compte, une fois qu'on s'est blessé partout, on meurt

A. Dillard, L'amour des Maytree


Etre écrivain, c'est se laisser contaminer par les substances dangeureuses de son époque. La littérature est de l'ordre du réflexe immuniataire de notre système vital (...). Pour ma part, je participe à toutes sortes de mouvements pathologiques, je connais pratiquement toutes les infections.

Peter Sloterdijk
Le Monde, 21 mai 2010 
 
(une suite antérieure)

je braconne parce que j'ai peur de la mort


La marque singulière du voyage, entre l’idéalisation de ce qui est resté au loin et l’espoir, même improbable, du retour. Un chagrin d'amour mais collectif, en quelque sorte, pensait-il aujourd'hui à l'approche annoncée de la séparation, le manque et l'a-pathie s'installant déjà. L'Empire et l'emprise perdus. Un deuil inachevé, aussi. Tu rencontres, là, maintenant, après la cérémonie des délires partagés, l'abri passager et secret de ta peau de nomade.



La voix "off", et non l'écrit, ouvre une brèche et provoque un ravissement; et alors les "bruits" l'emportent sur le "message", et le chanté sur le parlé. Une brisure du sens et du temps suit la venue d'une "chanterie", celle des sauvages, ou celle de la grande forêt, quand le rossignolement de l'oiseau fait la vocation du chamane; en elle-même la voix crée la faille d'un "oubli" et d'une extase

M. de Certeau, L'écriture de l'histoire

 

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