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20 janvier 2009 2 20 /01 /janvier /2009 00:59
Notes et réflexions autour du colloque

 "Chaos et déterminations dans les sciences de la vie
et les sciences humaines"

 organisé par le Centre d’Etudes du Vivant (Université Paris-Diderot) les 24 et 25 octobre 2008 à la Bibliothèque François Mitterrand (lien)





Les embryologistes embrayent

Le chaos des physiciens (cf. l'avis de Prigogine ci-dessous en annexe) et des biologistes est détermiste, contrairement au chaos deleuzien, qui est métaphore du réel, potentialité pure, "je pense donc je ne suis pas". Pour les héritiers de Galilée et des Lumières que nous sommes, la nature est écrite en termes mathématiques, dans un retour matérialiste du divin, ordonnateur du chaos primordial de la Genèse...

Dans le chaos déterministe, de petites déviations initiales vont entrainer initialement une imprédictibilité du système, puis une réintroduction de régularités interviendra, sous forme des attracteurs étranges. Selon certains mathématiciens, contrairement à une idée prévalente, chaos et complexité seraient indépendants (la complexité du chaos serait même nulle, par définition).

Mais: le chaos n'est-il pas imprévisibilité plutôt que déterminisme ? Marche vers un nouvel état stable, mais non prédictible ?


Mais la biologie, par rapport à la physique, a sa théorie propre: on ne voit que ce que l'on a compris, et l'objet inclut sa théorie propre: la mort. La mort est la spécificité de l'objet de la biologie: pour Bichat, "la vie est l'ensemble des forces qui s'opposent à la mort" (vision Prigoginienne s'il en est, "la vie est un processus anti-entropique local" !) tandis que pour C. Bernard, "la vie c'est la mort". Et cet objet propre disqualifie, sauf pour les tenants du "dessin intelligent", le déterminisme du chaos, en particulier dans le développement cérébral. La biologie est caractérisée par sa part de non-déterminisme; le chaos relève des théories de maîtrise totale. La mort rode: "il va forcément y avoir un accident, sapiens accrochés à votre caillou lancé dans l'univers; la question est: vous vous donnez combien de temps ?"

Retour à la morphogénèse, et pugilat des embryologistes, "chaos" ("magma conceptuel" des réseaux de régulation, des gènes de régulation, etc...) versus déterminisme (une "force essentielle"qui préside à l'écoulement des cellules et à l'archétype...). Pugilat sans débat possible... Même si tout le monde admet la contrainte de l'oeuf, la coquille n'est pas l'alpha et l'oméga du développement... Evidemment, des phrases du designer trop intelligent chantent Deleuze: "Le champ de déformation reste gravé dans la texture"... mais restons donc dans la poétique, alors ! Le déterminime du designer intelligent snobe tous les éliminés (individus), disparus (espèces), mortes (cellules). Sélection naturelle, spéciation, apoptose. La thanatocénose à son mot à dire:
combien ? pourquoi ? dans quelles catacombes ?  Le savoir c'est le manque, l'absence, ce constitutif du réel. Un des deux pôles du tourbillon sur lequel s'enroule notre contrepoint, c'est la mort.


Y-at-il séparation des disciplines quand on change d'échelle (atomique, etc...) ? Le propre de la physique est de tout expliquer. L'objet de la physique est le corps, les choses matérielles, la réalité. La physique est une détermination de la chose (ce "it" qui manque au français). La réalité, ultime, mathématique, est un état où les choses ne sont jamais séparées, elle n'est pas liée à l'existence. La réalité ultime est un point de l'espace, qui n'est plus que représentation euclidienne, et à qui il faut affecter d'autres caractéristiques, assigner une structure, l'individualisation n'est pas réductible à des nombres, l'espace euclidien est relatif (Poincaré) en dehors d'une référence: "Il faut toujours un doigt, un sujet, pour déterminer ce référentiel; tout l'effort de la physique est d'éliminer ce sujet"1. Objectif: objectivité. La chimère du point matériel est à la base de toute la physique classique. Et les points ne meurent pas.


Une loi unificatrice de la physique, une loi structure-fonction générale réconcilierait-elle les physiologistes et les morphologistes ?

 

Le chaos est-il l'informe, alors ? Le réel sans structure ? Cet informe qui apparait dans les rêves, magma, dé-formations ? L'informe est ce contre quoi se défend la raideur de l'archaïque. Le chaos mythologique grec est vide primordial, incréé, antérieur au monde; la mort est antérieure à la vie, et c'est la sexualité, plus tard, qui aménera la reproduction des formes. Mais ce vide primordial est porte empreinte, potentialité de la forme. Il est observable dans les premiers mois de la vie (cf. M. Klein et la confusion des capacités sensorielles). L'enfant, parfois, avant même la pensée infantile, pense cette origine, quand il découvre vers trois ans que la mort le concerne aussi: "où-est-ce que j'étais quand j'étais pas là ?". Ressurgissent parfois chez l'adulte les mots bizarres (créatifs) et angoissants de cette pensée d'origine2,6.


Nettoyer le chaos: le bruit est informe, nous dira aussi le sorcier du son. L'informe est tout ce qui n'est pas langage, même s'il est signifiant, tout ce qui n'est pas langage est repoussé vers le chaos. Ce corps sonore, en constante transformation lors de son déplacement, immatériel et décroissant, met en charge l'espace. Et il y a un retour qui nous est fait, empreinte du lieu, correspondance du son avec le lieu. Il n'y a pas d'extériorité au sonore3, comme pour l'image, mais toute écoute est choix, tri, dépendant du désir d'écoute et aussi de l'état de veille du danger; toute écoute est errance.
La musique non composée (John Cage), elle, à l'inverse, est celle de l'indifférence, de l'apathie, de l'informe, de la dépersonnalisation, de suspension du mouvement esthétique, relation quasi-chaotique au son (des déchets de grammaire musicale persistent): où est le plaisir, où est l'affect ? Le sublime peut-il ne pas passer par les sens ?  Ou bien le chaos se perçoit-il par un sens primordial ?


A-t-on une intuition du chaos, ce fossile psychanalytique ? Et puis l'enfant, ensuite, entre en errance, et en partage, tandis que le maître de maison écoute déjà le discours de la bande enregistrée, emmené-même où on le veut par le synchronisme son-image du film; et que pas beaucoup plus loin, le sujet cette fois est écrit par l'injonction du langage totalitaire. Mais dans les marges des pages et les failles de l'écho, le sage parle à l'enfant, procède par ré-écoutes.


 Y-a-t-il un chaos inaccessible (le fond du bruit) et un chaos visitable ? Mais "Il ne peut être ici question que de concepts nomades" (Prigogine et Stengers) nous dit maintenant l'ami de F. Guattari4. Il est des chaos bibliques, d'autres philosophiques. Tous ont une communauté de sens: l'innommable, et l'essai de synthèse entre le vivant et l'inanimé. Pour Guattari, le chaos est richesse infinie, immanence de possibles non vectorisés, et par où chaque être passe à chaque instant. Le Réel est le chaos, et les schizophrènes en auraient une sorte d'intuition: les composantes psychotiques ne sont pas des régressions, mais des strates (du refoulement originaire du chaos chez Freud; d'un inconscient "context-sensitive" chez le psychotique): psychose et chaosmose. Lors de l'entrée dans la psychose, des agencements discursifs (cf. Schreber, Joyce, Kafka, Beckett, etc...) cherchent à contrer le chaos et la souffrance des corps, fantômes sourds: le chaos est appréhension psychotique du monde, l'écrivain chaosmique prévient la menace, par une structure personnelle du discours, et envisage le moment de sa décompensation.



Quels filtres deleuziens ? Le chaos n'est-il, selon Spinoza, que construction ? Est-ce un concept philosophique ? "Le chaos n'est pas car il est inséparable d'un crible", dit Deleuze: "c'est l'envers d'un grand crible": "cette table n'est pas rouge" porte un jugement indéfini5. Le chaos est, pour Leibnitz, un universel étourdissant, un ensemble de toutes les perceptions possibles, une danse de poussière. Un bruissement de vagues superposées, murmure encore Deleuze. Comme dans la réalité physique (cf. ci-dessus), il y a continuité du chaos, et non juxtaposition d'une infinité d'éléments; le morcellement n'intervient que par le crible. Seule notre limitation à connaître le réel nous fait théoriser un chaos. Pour Kant, la sensation, grandeur intensive, est anticipation de la perception, cette conscience empirique de l'objet, composition, grandeur extensive. "La grandeur intensive est le réel, la science renonce à l'infini", dira Deleuze. C'est bien le cerveau qui pense, nous disent Deleuze et Guattari, mais sans réductionnisme synaptologique: un cerveau-sujet où se croisent les trois plans de l'art (qui redonne naissance à des modes de sensation infinis, par des rapports nouveaux), de la philosophie et de la science. Un flirt créatif avec le chaos, concept en lutte contre la phénoménologie (car il n'y a pas de données), en lutte contre l'opinion, et critique de la logique anglo-saxonne. Il n'y a pas de donné réel, mais une vitesse infinie de circulation de toutes les idées et de toutes les particules (la science est raison nécessaire, ralentissement de cette vitesse de circulation). La philosophie est ouverture de la pensée, acte dangereux, proche de la folie: la raison reste contingente, la pensée est système disjonctif...



Notes
1. Comme le narrateur de La géologie de la morale, dans Mille-Plateaux, finit par parler devant un auditoire absent, et lui même par se désintégrer peu-à-peu... Deleuze, lui, aussi, veut se débarasser de référence par rapport à la pensée.
2. "Ce qui apparaît bizarrerie au sein du rêve", pour Jung ?
3. Et le sujet est bien métonymie du chaos sonore (Qu'est-ce-que la philosophie ?).
4. Le "problème" central de F. Guattari aurait été l'incurable de la psychose et l'impossible de la révolution... avec les fous, faire exploser le capital ? Voir Chaosmose, L'anti-Oedipe.
5. Le jugement indéfini n'implique pas seulement qu'un objet n'est pas contenu mais qu'il se retrouve en dehors de la sphère du prédicat, où on voudra (Kant): limite d'un concept, action positive, mais ce fini n'est pas donné; puissance positive du a- sanscrit.
6. Mais on peut aussi penser cet "antérieur", cet originaire qui ressurgit, cette pensée archaïque, non pas comme celle du vide ou du chaos précédant la vie, mais comme "simple" reviviscence du séjour utérin (un chaos alors... hyperdéterministe !)


Annexe: retranscription de conférences d'I. Prigogine

Le modérateur fait remarquer à Prigogine que Rousseau considérait que toute la Nature est harmonie; à ceci le physicien répond que le terme "chaos" est considéré à tort par beaucoup comme synonyme de "désordre", alors qu'en fait il est un ordre, mais un type d'ordre instable, et dont les séquences temporelles sont très complexes. Alors que l'on considérait par exemple en chimie que seules les lois classiques, linéaires, étaient capables d'expliquer la  production de molécules, on sait maintenant que les modèles de non-équilibre peuvent également produire des structures cohérentes, et ces modèles nous permettent de voir et de comprendre beaucoup mieux les structures de la Nature. "Vous avez besoin de plus d'anarchie, y compris dans votre temps; vous avez besoin d'activités multiples et plus variées", conclut-il à l'intention de son contradicteur !

Le monde est un système déterministe (et déterminable si on connait les conditions initiales); la physique peut aboutir à une réduction de la complexité des modèles, si on étudie la Nature au plus profond, de l'intérieur, plus complétement que par ce que nous en voyons uniquement; et cette compréhension accrue diminuera notre aliénation. Prigogine fait alors référence à J. Monod qui disait que la vie, évolutionniste, est juste "tolérée" par la physique, déterministe, que la vie est dans les marges de la physique, et l'homme lui-même, "en marge de cette marge",  est un "nomade de la Nature", quasi-extérieur à elle. Il s'oppose à cette vision, au contraire, c'est la linéarité qui nous fait perdre notre nature; l'homme est un aspect basique de la Nature, et par sa créativité en est part plus intégrante que tout autre être vivant  ou toute autre objet.


Un climat de nostalgie des univers sans temps était de mode en de nombreux domaines, dans la jeunesse de Prigogine. Il ne pouvait admettre que l'étude du temps soit l'apanage des sciences humaines, tandis que les "sciences dures" s'en désinteressaient au mieux, ou avaient une attitude "défensive", l'éliminant de leurs modèles. Dans la quête de l'élimination du temps, on s'adonnait à remplacer le temps réel par un temps imaginaire, non différent en nature de l'espace, le temps n'aparaissant qu'en brisure de symétries géométriques de l'univers. Cependant ces concepts amenaient à une auto-destruction de l'évolution humaine. Les ouvrages de Prigogine devaient amener à considérer l'irréversibilité en fondement de la nature.

Des connexions très inattendues s'offrent dans l'univers.
Le monde  où nous sommes comprend des lois et des instabilités, des bifurcations. Ainsi, la musique classique, qui répond à des règles très strictes, comprend cependant une composante imprédictible dans sa modulation. La musique, mais aussi la sculpture, sont symboles de temporalité. Funéraire à son origine probablement, pour parler de la vie après la mort, la sculpture est roche et signaux temporels incorporés dans cette roche par l'acte de sculpture. De même, dans la biochimie des états non-à-l'équilibre, c'est bien à une temporalisation de la matière à laquelle on assiste. Les signes doivent mettre l'emphase sur notre enveloppement dans la Nature, les signes ne doivent pas nous conduire à l'aliénation.



Miscellanées
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Le doute du scientifique sur sa théorie, sur ses résultats, fait la frontière avec les sciences sociales, au premier rang desquelles la psychanalyse...

La pensée des plantes serait la synthèse chlorophyllienne (pour l'Inde, la conscience des plantes serait le toucher. Le soleil absorbe nos rasa, la lune les émet)

Artère et veine, mariage forcé

Le placenta est contrepoint de l'individu

Littérature chaosmique, littérature fantastique: peut-être la limite est-elle dans la constance au cours du récit chaosmique de ce qui n'est pas un artifice séparant le normal du fantastique; alors extraire un objet de sa strate ne l'empêche pas de rester actif

Pas un mot de Bergson. Serait-il, comme Jung, exclu du sérail ?
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