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24 novembre 2017 5 24 /11 /novembre /2017 20:36
Nirriti (force de désagencement): l'Inde quantique ?Nirriti (force de désagencement): l'Inde quantique ?

 

TAO, MAYA, QUANTA

 

Le Tao de la physique, publié par Fritjof Capra en 1975, proposait des correspondances entre les caractéristiques surprenantes du monde quantique, difficiles à appréhender depuis le monde apparent de nos perceptions sensorielles, et certaines conceptions « métaphysiques » des anciennes philosophies orientales, dont celle du Taoïsme et son principe unique à l'origine des interactions parfois paradoxales entre toutes choses. Aujourd'hui, de plus en plus de convergences dans l'entendement de l'univers sont relevées entre la pensée de l'Inde ancienne et les découvertes des physiciens, tant dans le domaine de la physique quantique que de la cosmologie (voir par exemple ici).

 

 

La mécanique quantique décrit par exemple le phénomène à la fois étonnant et fondamental de l'intrication, qui pose que deux objets spatialement distants peuvent ne pas être séparés, s'ils ont préalablement coexisté dans un système intriqué (par exemple la polarisation initiale de deux photons va rester solidaire, même s'ils se sont éloignés considérablement: si l'un des photons change de polarisation, l'autre instantanément et à distance va adopter ce même changement de polarisation). On est en plein, à ce niveau quantique, dans la définition du processus magique sympathique édictée par J. Frazer dans Le Rameau d'Or (1890) selon lequel deux objets ayant été en contact gardent, même séparés, des propriétés communes... La physique quantique, nous rappelle A. Barrau (Des univers multiples, 2017), est bien une théorie fondamentalement non locale.

 

 

Dans ce livre, le physicien fait le point sur les hypothèses actuelles permettant d' « unifier » les propriétés quantiques de l'infiniment petit et celles de la structure du cosmos, et qui aboutissent en particulier à la théorie du multivers. Dans la théorie telle que proposée par H. Everett par exemple, des mondes multiples fleurissent lors des interactions quantiques, des mondes consubstantiels, superposés et probabilistes dont nous n'habitons qu'un seul et somme quasi-aveugles aux autres. Nos processus neuronaux, tels que les cognitivistes les décrivent maintenant en réseaux multiples, seraient également assujettis à des processus quantiques, et nos pensées multiples se déploieraient en autant de processus plus ou moins (in)conscients, tels des univers parallèles mais connectés. Le multivers serait arborescences de mondes aux branches intriquées et replongeant à la source, un « big bounce » ou « rebond », par lequel les univers se succèdent, et non résultant d'un « big bang » unique.

 

 

Autre point qui d'ailleurs rejoint à nouveau la philosophie taoïste, la notion de vide quantique (A. Barrau) : un vide classique est un espace dénué de toute particule, mais en physique quantique des particules et antiparticules émergent spontanément de l'espace "vide", et il existe donc des fluctuations possibles dans le « vide ». La physique quantique préfère parler de "vides métastables", des minima locaux mais d'énergie non nulle, et pouvant être sources de nouvelles « nucléations » de l'univers...

 

« Big bounce » et millénarisme des brahmanes... Mais comme le tempère A. Barrau, même si la mécanique quantique pose des questions essentielles sur le rôle de l'observateur et impose un renoncement complet au « confort » déterministe, continu et localisé de la science d'antan, elle a parfois « bon dos » quand on lui fait supporter des « postures charlatanesques » et délirantes; que de nombreux phénomènes physiques échappent à l'intuition du quotidien n'est pas voie ouverte à toutes les théories farfelues pseudo-scientifiques !

 

Seule pour l'heure, la poésie est assurément multidimensionnelle.

 

 

 

Superposition quantique et décohérence

La théorie d'Everett (cf. ci-dessus) dans laquelle la fonction d'onde quantique (qui traite chaque état quantique comme non seulement équiprobable mais également réel) ne s'effondre pas brutalement sur une seule possibilité, mais préserve toutes les bifurcations qui font ainsi foisonner des univers (ainsi dans un univers le « chat de Schrödinger » est vivant, tandis que dans un autre, et simultanément, il est mort), cette théorie pourrait devenir testable - et donc hypothèse pleinement scientifique - et des physiciens dont A. Barrau s'y emploient. Le concept de décohérence permet de rendre compte de la transition entre niveau quantique (qui échappe à nos sens) et niveau classique de la physique, qui n'en serait qu'un feuillet, qu'un état probabiliste et métastable. Dans cette théorie de la décohérence, quand un état « superposé » - constitué des différentes possibilités quantiques - interagit avec son environnement, la plupart des possibilités deviennent incohérentes; autrement dit, le monde usuel émergerait spontanément dans un environnement donné des différents états ubiquistes possibles de la physique quantique, mais qui sont exclusifs les uns des autres dans le monde classique. Reste à comprendre pourquoi ou plutôt comment le « réel » choisit un état plutôt qu'un autre parmi les superpositions quantiques.

 

 

Superpositions locales et modèle de la décohérence, interactions simultanées à distance dans celui de l'intrication, la théorie quantique persévère dans ses modèles de mondes parallèles et d'interactions déroutantes à distance ! Ces phénomènes quantiques sont pourtant considérés avec intérêt par exemple pour le développement d'ordinateurs quantiques qui, en pouvant se trouver simultanément dans plusieurs états, feraient faire un bond aux capacités de calcul des machines actuelles (S. Haroche), et l'intrication permet d'envisager théoriquement la téléportation...

 

 

DECOHERENCE

OU DESAGENCEMENT DES PLANS DANS LE MONDE VEDIQUE

 

rita, ordre

anrita, non-ordre, chaos, fausseté, irréel

nirriti, désagencement

 

 

La superposition redéploie la notion de structure

Dans son introduction et ses commentaires à sa traduction des Upanisad, Alyette Degrâces (Les Upanisad, 2014) pose la non-contradiction entre la « réalité » (satya) et l' « irréalité ou fausseté » (anrita), cette opposition étant dépassée par une pensée par niveaux, par facettes (F. Zimmermann), et non par limites. L'agencé (rita) et la réalité-vérité (satya) se manifestent ensemble, ont chacun leur espace, mais depuis le chaos des choses il est impossible de reconnaître l'agencement des niveaux comme d'accéder à la réalité ; en effet l'inagencé fait recouvrement, masque la réalité, l'anrita est manifestation de son propre désir, soif des objets extérieurs, connaissance fausse. L'agencé (rita) est objet de connaissance, l'inagencé (anrita) recouvre et semble transformer la réalité. A ce point de sa réflexion, A. Degrâces écrit : « Garder les deux états comme interférant et ne se mêlant pas complique l'approche de la forme. On n'est plus sûr de comprendre. On peut accepter l'un ou l'autre mais pas leur relation qui, en outre, est donnée comme impossible. On pourrait comparer ce processus à ce qu'en physique quantique on nomme la « décohérence » (citant S. Haroche, Physique quantique, 2004) et qui soulève la question suivante : « Pourquoi ces interférences disparaissent-elles au niveau macroscopique ? » Par un état de décohérence, la relation au monde modifie la mesure. Ce qui fait sens n'est plus compris comme tel. La cohérence n'est plus sentie. Le passage que l'upanishad décrit par « chaos » répond à ce passage au monde et à la notion de « décohérence » par le fait que ce « chaos » occulte non seulement un état, mais des états différents (…) L'upanishad, dans sa profonde compréhension des structures, tient à garder les deux dimensions extrêmes et, parfois, restitue les états intermédiaires (…) Cela demande un effort d'abstraction qui marque une mise en mouvement dans nos connaissances, permettant de ne pas rejeter ce qui nous est incompréhensible, sachant qu'au niveau grossier rien ne semble transparaître car tout est recouvert. La superposition redéploie la notion de structure (…) Cet agencé, cet ordre, réorganise les structures. Celles-ci ne sont plus formées par des fragmentations. Elles rassemblent des niveaux d'être (…) Sans oublier le dernier état dans l'ordre de la connaissance – ou le premier selon la vraie nature – qui ne supporte aucune définition, que les autres états ne peuvent percevoir mais à partir desquels le travail de perception doit être mené ».

 

 

ou le « mille-feuilles » de G. Deleuze...

 

 

 

Rite (rita, ordre) et nirriti (désagencement)

Le veda, qui deviendra texte sacré brahmanique, est une récitation : les rishis (voyants) ont vu la parole sacrée, qui est restitution directe, immédiate, de cette vision du réel : la parole védique (vac) à une dimension mystique, une puissance propre, et trois de ses quatre dimensions restent extérieures au langage humain qui n'en est que la composante articulée, logique, mère des rites. Par les rites védiques, dont ce sacré est la formule, il s'agit de préserver l'agencement du monde dans sa totalité, incluant ordre (rita) et désordre. Nirriti, poursuit Ch. Malamoud (Puissance de la parole, in Ligne de risque, Y. Haenel et F. Meyronnis, 2005), est désagencement, risque suprême, force redoutable des écarts et des abîmes, mais aussi force nécessaire à la respiration d'un réseau qui n'est pas figé; le désagencement, comme la décohérence quantique, permet la transition entre les mondes imbriqués et masqués. L'état « unique » du monde macroscopique - ou le fonctionnement « normé » du monde social - n'est pas exclusif des autres états qui lui sont superposés, intriqués, consubstantiels, et peut être « normes » d'autres univers comme d'autres états de vie. L'ordre du monde (dharma) est lui global, et c'est cette vision globale du monde qu'ont eue les rishis, les mots articulés étant – mais n'étant que – les « traces des quatre pas de la vache ». « A cette réalité ordonnée (des mots du veda) dont la récitation donne une actualité partielle et éphémère correspond une réalité sujette au changement et donc au désordre » sous l'action de la nirriti (M. Angot, Histoire des Indes, 2017), et le rite intervient comme « processus anti-entropique » quand l'expansion permettrait une recomposition : la réalité est naturellement sujette à varier et le rite doit donc être répété. Le rite est une interface entre vérité et réalité, entre satya et anrita, et un contrepoint de la métastabilité dont le désagencement nirriti est l'énergie. Le rite, totalité, est aussi l'occasion d'un échange entre phases manifestées et phases non-apparentes du réel. Il s'agit moins par le rite, poursuit M. Angot, « d'éliminer le faux que de lui donner sa place, d'arranger l'ensemble des éléments de l'univers pour que tous concourent à son expansion et à sa rétraction continues »... Nirriti, force du multivers... Le singulier n'y a pas de sens, mais la relation entre les entités: le rite régit un monde de forces et de liens.

 

 

 

Nirriti, force de désengagement, de transition dans l'ordre du monde, une résonance avec la notion de constante cosmologique,

cette énergie noire, répulsive ?

Einstein ajouta la notion de constante cosmologique comme à contre-coeur à sa théorie, mais cette force anti-gravitationnelle mystérieuse ou énergie noire active dans l'expansion de l'univers semble bien exister, assimilée parfois à la densité d'énergie du vide. Elle est à l'origine peut-être de n big-bangs et d'autant d'univers en développement (A. Barrau) en s'opposant au « trop d'agencement » gravitationnel ; l'énergie noire nous traverse en permanence, et gravitation et anti-gravitation s'exercent probablement aussi aux « extra-dimensions » non en vigueur dans notre univers régi par les trois dimensions les plus familières à nos organes des sens.

 

 

L'Occident - un temps enthousiasmé par les philosophies indiennes - prit ensuite peur du « nihilisme bouddhiste » (R.-P. Droit, L'oubli de l'Inde, 2004), d'un vide existentiel, néant, perte de sens et de but. Mais la nirriti, force de restructuration / déstructuration, ne soutient pas cette idée: elle est processus de multivers à l'échelle de la pensée humaine, quelque part entre quantique et cosmique. Elle est risque, mais action, dans l'idée du « coup foudroyant » des dadaïstes, du « point de bascule » de M. Eliade, du « point irréductible de suspension » de Y. Haenel (Lignes de risque). Elle permet de penser le néant.

 

 

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1 mai 2017 1 01 /05 /mai /2017 11:40
Transe-Prigogine dans le chaos. Un probable au-delà du calculable ?
  • notes et réflexions autour d'
  • ILYA   PRIGOGINE
  • Les lois du chaos
  • 1996

Le chaos est-il déterministe ? Les lois complexes nous sont-elles accessibles, ou ce déterminisme-là nous-est-il, selon le théorème d'incomplétude de Gödel, à jamais repoussé dans nos systèmes trop peu ouverts ?

 

 

 

Les systèmes dynamiques (classiques ou quantiques) sont stables ou instables ; dans les systèmes dynamiques instables dits chaotiques, deux trajectoires voisines à l'instant initial divergent exponentiellement avec le temps, une petite perturbation initiale va s'amplifiant (« effet papillon » des météorologistes). Les « lois classiques de la nature » (newtoniennes) prédisent, une fois les conditions initiales posées, « tout événement passé ou futur », cette prédiction ne serait plus possible, selon Prigogine, dans les systèmes chaotiques. L'évolution temporelle dans les systèmes instables peut cependant être prédite aux niveaux d'ensembles de trajectoires, de façon probabiliste donc, et non de trajectoires isolées, de points dans l'espace-temps. Mais le chaos est « au-delà » de la probabilité pour l'auteur.

 

L'équilibre (ou stabilité) d'un système n'est-il pas une représentation, une construction, une catégorie ?

 

 

L'étude de trajectoires individuelles ne fait qu'illustrer le « désordre », un ensemble de trajectoires (tel la famille ?) a un comportement parfaitement régulier. Mais il y a brisure de la symétrie entre passé et futur sur un « axe temps » (pas d'éternel retour, pas d'origine mythique, pas d' « ordre » initial à niveau très bas d'entropie), et introduction des notions d'évolution, d'événements, de créativité, d'un rôle constructif de l'entropie-temps dans le non-équilibre, état où apparaissent de nouveaux phénomènes, les « structures dissipatives ». Dans l'histoire de la physique des systèmes stables, on conceptualisa des trajectoires (de points), puis des ondes (amplitudes) et enfin des champs (ensembles) ; mais le niveau fondamental des lois du chaos est celui des probabilités, qui ont une signification dynamique intrinsèque.

 

Les sciences humaines s'occuperaient également des phénomènes complexes, non intégrables

 

 

L'Être, et puis le risque du devenir; la vérité, et le danger de l'illusion: la physique classique recherchait un inchangeant (au risque même d'une causalité cyclique, téléologique), un permanent au-delà des apparences de changement, une physique sans événement, qui éliminerait l'effet du temps, dans une dimension théologique où tout serait donné. Il y eut d'autres perspectives pourtant dès le XIXè, la biologie darwinienne (qui insistait sur l'apparition de nouveautés et de modes d'adaptation), la thermodynamique et l'évolution vers la mort thermique (en 1872 Boltzmann, dont l'oeuvre marqua Prigogine, associa l'entropie non pas au temps mais au « désordre »), la crainte de l'épuisement des ressources de la nature. Prigogine lui s'insurge peut-être plus contre la symétrie du temps que contre sa réversibilité; le système chaotique engage dans un temps créatif « multidirectionnel », et du « nuage » entropique s'échapperait une seule flèche. Einstein comme Hawking adoptent l' « illusion de la réversibilité », dans le voyage d'Einstein on peut revenir le même, dans celui de Gödel c'est le temps lui-même qui se complexifie. Dans le voyage de Prigogine on est transformé. Cette « réversibilité » n'est-elle pas pourtant possible statistiquement, pour peu que le temps soit infini et balaye tous les équilibres possibles, l'identique n'étant qu'une création parmi d'autres  ?

 

  • Prigogine ne m'est pas sympathique,
  • je veux rester le même dans un monde qui change

« Il est bien des événements en histoire », dit Prigogine discourant, entre son Est et son Ouest changés, quelques années après la chute du rideau de fer ; il sent la « bifurcation » du temps.

 

 

 

Les bifurcations sont probabilistes et donnent un caractère historique à l'évolution d'un système. La sensibilité forte de ces bifurcations à de petites modifications dans la nature du système entraînent une déviation dans la symétrie de bifurcations observée en conditions aléatoires (ex. : l'agitation d'un mélange de molécules optiquement actives conduit à formation de molécules toutes lévogyres ou toutes dextrogyres, alors que sans agitation de la solution on a une répartition aléatoire des deux formes). L'univers, comme la vie pour Pasteur, est dyssymétrique.

 

Où est le déterminisme ? Dans le mécanisme d'interaction entre l'événement et la bifurcation, ce forçage de l'aléatoire, par un lien structure/fonction, impliquant des ligand/récepteur à découvrir ?

 

(d'après Wikipedia avril 17) «La théorie du chaos est souvent citée comme allant à l'encontre de l'idée de déterminisme, alors qu'elle traite des systèmes dynamiques rigoureusement déterministes. Cette théorie décrit dans quelles conditions un système est ou peut sembler « prédictible » ou non. Le déterminisme est lié au principe de causalité (dans les mêmes conditions, les mêmes causes produisent les mêmes effets) ; la théorie du chaos précise que des causes quasiment identiques peuvent dans le cas général produire des effets totalement divergents et en ce sens, s'écarterait du principe de causalité pour rejoindre un modèle aléatoire. Mais cet écart du principe de causalité n'est qu'apparent : en effet pour reproduire une expérience dans les mêmes conditions, la sensibilité aux conditions initiales d'un système dynamique déterministe impose une précision infinie sur ces conditions afin d'aboutir strictement aux mêmes effets. Ceci est impossible en raison de la précision limitée des mesures expérimentales, d'où l'irreproductibilité et la variabilité apparente des expériences. Prigogine s'attaque au déterminisme, se servant des bifurcations constatées sur certains attracteurs et montrant que, quelle que soit la précision donnée aux variables d'entrée, la solution "saute" d'une branche à une autre. Ces altérités ne seraient donc pas liées à la précision et remettraient en question le concept de déterminisme scientifique. C'est sur ce constat qu'il appuie la notion de "flèche du temps" et d'irréversibilité des équations, mettant ainsi en doute le signe "=" de nos systèmes de physique".

 

 

Prigogine entretient un amalgame entre évolutivité des systèmes complexes (le temps créateur) et leur irréversibilité (qui n'est que peu probable, mais possible dans un temps long, et assurée dans un temps infini). Il y a pour lui « perte de la mémoire de l'état initial» mais celle-ci n'est qu'apparente : la complexité est un équivalent de l'inconscient au niveau des systèmes (psychanalyse), nous produisons n penséees dont certaines seulement émergent spontanément à la conscience (cognitivisme), mais celles qui sont masquées n'en répondent pas moins à une même logique. La vie ne peut être réduite à ce qui est seulement phénoménologique ; et nous ne savons communiquer que dans un temps unique.

 

 

Sensibilité aux conditions initiales : l'écart entre deux nombres voisins (décalage de Bernoulli) augmente exponentiellement avec le temps en fonction du coefficient λ de Lyapounoff s'il est > 0; les systèmes qui présentent une telle divergence exponentielle sont par définition des systèmes chaotiques ; ils possèdent une échelle de temps intrinsèque ou temps de Lyapounoff = 1/ λ et les trajectoires nous échappent après des temps longs par rapport à 1/ λ. Voilà qui est dit : elles nous échappent, elles ne sont pas incalculables. Le problème mathématique auquel s'attaque donc Prigogine est de décrire l'évolution d'un système dynamique sans faire appel à des trajectoires. Il développe une théorie spectrale complexe, abandonnant trajectoires de la mécanique classique et fonctions d'onde de la mécanique quantique pour passer à un schéma selon lui probabiliste, mais « il existe toujours des trajectoires mais au niveau statistique apparaissent des solutions supplémentaires»... et "indescriptibles"; des représentations statistiques « irréductibles » (on ne peut plus en retourner à la description en trajectoires) portent même sa nouvelle définition du chaos.

 

 

 

moments et interactions

 

Les moments hamiltoniens sont des quantités de mouvement qui font place aux vitesses dynamiques classiques ; un moment inclut des vitesses potentielles, probables. Peut-on décrire un système hamiltonien en fonction des seuls moments, sans faire intervenir des perturbations ou interactions ? Poincaré a répondu par la négative, on ne peut éliminer les interactions ou résonances qui interagissent avec les actions ou moments ; l'univers n'est pas un univers de monades libres, mais un univers d'émergences : les espaces hamiltoniens (à la base de la dynamique quantique) sont non intégrables. De l'eau dans le moulin prigoginien de l'indéterminisme-irréversibilité ; ou une quête à venir du calcul des interactions en système complexe (cf. la syndémique). Les résonances seraient à l'origine des trajectoires irrégulières « imprévisibles »... Les résonances créent de la variabilité, de l'émergence, elles complexifient les systèmes, elles augmentent le réel ! Dans les « grands systèmes de Poincaré » les résonances se manifestent dans presque toutes les trajectoires.

  •  
  • La résonance empathique nous mène à la supraconscience
  • La pensée, l'insight se déposent dans le réel
  • Le groupe est plus que la somme des individus qui le composent (Bion)

 

 

Prigogine trouve absurde l'hypothèse du Multivers, ainsi que les théories qui, impliquant la conscience de l'observateur, penchent du côté du mysticisme. Le problème de l'interface entre l'esprit et la matière, soulevé par les paradoxes d'observation de la théorie quantique, est pour lui liés étroitement au problème des résonances de Poincaré. L'irréversibilité pourrait-elle être un élément introduit par l'observateur dans un monde réversible ? Non, il y a un mécanisme intrinsèque qui conduit aux aspects statistiques observés, tranche-t-il, et c'est précisément l'instabilité, le chaos : l'irréversibilité n'est pas due à notre intervention dans la nature. Dualisme de la science classique, cartésienne, dans laquelle corps (et son extension physique locale, sa géométrie) et pensée (qui évolue dans le registre temps pour Prigogine) sont régis par des lois différentes, celles de l'automate pour le premier, de la créativité pour la seconde. Mais Prigogine, avec Penrose (« c'est le manque de compréhension des lois fondamentales de l'univers qui nous empêche de saisir la notion d'esprit (mind) en termes de physique et de logique ») étend la science aux phénomènes jusque là rejetés dans la « phénoménologie » et qui pourtant appartiennent à la nature

 

bref, il est cognitiviste, et moi néoplatonicien plotinien aurobindien refusant de fonctionner en boucle : mais où « case-t-il » l'émergence ? N'est-elle pas à la fois propriété des systèmes complexes et facteur de leur propre déséquilibre-complexification ? Et si la pensée est émergence comme le proposait Teilhard, répond-elle encore aux lois du système dont-elle est issue ? N'avons-nous pas toujours un système de retard pour analyser la pensée ? Le temps des systèmes, c'est l'incomplétude de Gödel ! Le voyage en incomplétude, cette faille absolue du système de systèmes ! La vie n'est pas illusion, mais contrepoint de l'entropie, du désordre, et dans ses états métastables s'accroît la pensée. La mort est elle une éternité sans plus d'événements ? Ou bien n'est-elle que passage par l'univers le plus voisin du multivers... dans une autre flèche de temps ! From being to becoming, titre d'ailleurs joliment Prigogine.

 

 

Deux particules qui se heurtent dans un système ne sont plus indépendantes, il y a une mémoire de cette collision dans leurs caractéristiques, une « corrélation », tout système formé d'un grand nombre de particules est parcouru de ce flux de corrélations, on peut considérer que c'est la manière dont il vieillit, il y a comme l'apparition d'un temps qui n'est pas lié aux molécules, mais à leurs relations, un « futur » des corrélations plus élevées. Dans les populations humaines, ce sont les relations entre individus, plutôt que les individus, qui ont subi un changement radical du paléolithique à nos jours : notre société vieillit plus vite que la paléolithique parce que les moyens de communication se sont amplifiés, que la dynamique des corrélations sociales a subi une accélération énorme. Le temps des sociétés évolue.

 

Des solutions topologiques, sans doute, dans le chaos, que Prigogine n'aborde pas, fermé sur son hypothèse ; causalité, réversibilité, téléologie apparaissent antinomiques à irréversibilité et perte de mémoire ; mais « pour éliminer les divergences il faut briser le temps », ce que fait Prigogine dans ses calculs. La topologie permet-t-elle d'admettre une téléologie, cette finalité qui mort la queue de l'origine ?

 

 

Le chaos, une instabilité dont la probabilité est « poussée » par les conditions initiales, irréversible mathématiquement, et également imprédictible, conclut Prigogine. L'univers en système dynamique instable, le non-équilibre et l'entropie introduisant une cohérence dans l'émergence d'ordre et de désordre, mais une irréversibilité vers l'état antérieur. La Maya, elle, principe d'obscurcissement, est aussi principe dispersif, dans une sorte de réversibilité à partir de l'illusion de la forme, et qui réorganise les éléments dans la totalité de l'énergie cosmique. Sans entropie, sans instabilité, pas de structures biologiques, nous sommes l'émergence de systèmes qui ont changé. Nous sommes un possible, nous n'avons jamais été une certitude.

 

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13 avril 2015 1 13 /04 /avril /2015 09:53
les psychodysleptiques, l'"oeil didascalos" de H. Michaux

Cahiers critiques de poésie 29, dossier Mescaline 55. Déclenchement lacanien de la psychose : le pirate Jacob Cow fait ranger sur le pont tous les prisonniers, rapporte J. Paulhan, et avant de les jeter à la mer leur fait dire leur nom; à son tour, l'un deux dit : « je m'appelle Cow ». Alors, terrorisé, Cow lui-même regagne en hâte son bateau corsaire, fait larguer les voiles et disparaît. Nous en usons avec les mots, conclut Paulhan, comme si le Pirate à chaque fois devait s'enfuir.

 

 

 

Récits d'expériences :  chacune ressuscite le senti et le vu d'autrefois, et le temps « déplaçant » d'entre les expériences sombre à chaque fois en Lethe inversé. Ce sont les perturbations rejouées de l'esprit qui sont nos enseignants, qui nous découvrent; Michaux réfléchit aux cénesthésies (« sensibilité générale ») induites par les drogues. Mouvement de l'absolu de l'image, qui ne se donne plus uniquement à la mémoire, mais est énergie et non plus trajectoire du temps, amont du souvenir (l'oeil anatomique du télescope des astrophysiciens capte la mémoire de l'univers, le troisième œil capte lui son énergie, toutes deux tiennent pourtant de la même lumière; le psychodysleptique, c'est quand l'oeil subit une folie introjectée, au péril d'une lucidité provisoirement floutée).

 

Mais la mescaline semble pauvre à Michaux, elle a mauvais goût visuel, le sens de l'infini y est curieusement aplati et désenchanté, le grotesque y est monotone, seule la sensation d'un écoulement du réel jusqu'à sa perte, pas de synesthésie dans cette cénesthésie-là... Oeil didascalos. Cette drogue-là ressasse les questions qui divaguent, ne pose pas les questions qui délient ; on ne peut, non plus, diriger le rêve mescalinien, prouesse de direction à laquelle atteignent bien les méditants ; et l'intention affichée de Michaux d'observer semble de plus fatale aux hallucinations. Antipolarité de la drogue et de l'amour, sans doute : richesse de la création libre, mais pas d'orgasme sans l'autre, pauvreté de la masturbation. Chacune, femme, ne ressuscite pas le vécu de celle d'hier, mais le refoule. Edith Boissonnas décrira en poèmes « tsétaïeviens » l'impuissance de ce monde mescalinien: « Les chemins les dires s'entrecroisent / Vastes conversations sans voix ».

 

La mescaline avait pourtant semble-t-il ouvert les portes de la perception pour Huxley, mais il avait longtemps auparavant pratiqué la contemplation : il ne faisait qu'atteindre à un nouveau palier. «J'étais donc observé», dira R. Daumal ; ça vient de derrière les yeux et ça ne regarde que vous. L'hallucination est-elle cette perception « sans objet », c'est-à-dire, de l'autre côté du miroir opaque entre êtres et étants, un univers entier qui vous regarde ? Ce soleil noir est dédié à tous ceux que la fermeture des cercles effraye (B. Colin). Paulhan est plus convaincu que Michaux : « à remonter si haut vers les sources convulsives des couleurs, c'est à croire qu'encore un peu et ce sera Dieu », ici encore les couleurs ne servent plus à peindre les choses mais à tenir leur énergie. En 1955, contexte de fin d'Empire colonial oblige, il ne s'agit plus de refuser l'opium (au nom de la morale ? de l'épuisement transitoire de la source ?), il s'agit d'essayer la mescaline, les laboratoires sont en marche outre-Atlantique, nouveau monde, vieille Europe. Roger Heim, ethnomycologie des psilocybes. D'autres psychodysleptiques (le cannabis) donnent eux à toucher et à saisir les mots-moellons (la drogue de Ponge est le Malherbe...). Pour Michaux, si la poésie doit tout décrire, et dans tous les instants, il doit s'agir d'une réduction phénoménologique de toutes les choses, de toute la chose, et non d'un « flog » ou mosaïque d'images ; la poésie est la ligne directrice du journal, mais certes pas sa chronologie. D'une expérience l'autre, on passe le palier, puis on se perd à nouveau dans un fleuve sans rive encore. Il vient un jour, dit Paulhan, où il faut se dire qu'on ne découvrira plus rien (ici), ou qu'on se rend compte que, tel Galaad, on a déjà découvert et on est passé outre. Qu'on a tout soupçonné, tout pressenti. Qu'on ne s'est pas laissé, en tout cas, et c'est l'essentiel, et ça laisse ouvert, imposer, imprimer, du dehors.

 

Les mots, étant par nature signes de pensée, ne suffisent pas; l'homme qui ne parle pas cherche à garder en l'absence des mots leur seule force de présence. Dans un mouvement indéfini, l'homme passe d'un côté à l'autre du langage et des rêves, c'est le zéro qui permet les mathématiques, nos pensées ont leur zone d'ombre qui courent et cousent le monde, et toute vie, nous montre Paulhan, est la quête d'un impossible équilibre. La puissance du mot, dispositif optique, et projection. Le corps est le nuage interstellaire, le langage l'explorateur des amas planétaires qui y voguent. Le nuage du corps, c'est sa variance topologique après prise en compte du mirage gravitationnel. Le voyageur, de toutes façons, même sans style, est émerveillé.

les psychodysleptiques, l'"oeil didascalos" de H. Michaux
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28 février 2014 5 28 /02 /février /2014 18:22

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Essayer de comprendre ne donne droit ni raison à aucune philosophie personnelle. Acte exploratoire pur, déjà libéré de l'illusion du monde de nos sens, insensible non pas à sa souffrance mais aux conditions de cette souffrance que sont les autres. Comme un médecin dans le seul moment diagnostique, n'écoutant plus le contingent d'une quelconque thérapeutique, cherchant seulement à passer, aidant à passer peut-être, loin l'idée d'une guérison dans cet espace pauvre. Tentant, sentant, détourant la passe du soi. Convaincu d'ailleurs, d'une autre permanence, riant de toutes ces amarres qui voudraient dire un port. Un explorateur n'adhère à aucune conduite: libère sa pensée, dans ce seul possible face à l'angoisse qui oblige aux pare-feux de frontières polymères. Comme une envie de rire de la peur, comme une conviction d'un inutile qu'il faut caboter, pour donner un reste à tenir à ceux: qui restent, qui poussent derrière nous, qui chercheront aussi à rejoindre les pierres d'attente du corps premier qui croît. Croissance du croire par la connaissance. Espoir du rire: en lui chacun a sa musique propre, qui rejoint au jamais-seul.

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26 janvier 2014 7 26 /01 /janvier /2014 15:45

On perd la raison comme on perd la perception sensible

Gödel, Borges

 

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Notes autour de


la conférence de

Michel Bousseyroux
La paranoïa de Gödel
("une psychose angélique")
16 février 2013, Le Puy-en-Velay;

 

  l'ouvrage de P. Cassou-Nogués

Les démons de Gödel, Logique et folie

Seuil 2007/2012;

 

  du roman de Yannick Grannec
La Déesse des petites victoires
Anne Carrière 2012.

 


 
Une topologie de Gödel (1906 Brno - 1979 Princeton avec 31 kg de corps), sa mise en évidence du vrai trou dans la structure, celui de la substance mathématique du corps des anges. Mon théorème d'incomplétude, dira Gödel dans les années 70, est peut-être la première proposition rigoureusement prouvée à propos d'un concept philosophique...



Théorème d'incomplétude : « un langage formel ne peut-être à la fois cohérent (consistant, sans contradiction) et complet (sans rien d'indémontrable) ». La consistance d'un énoncé ne peut se décider dans le système formel lui-même: elle est indécidable, la mathématique même ne détient plus la vérité, alors qu'elle s'était construite sur un principe de certitude, et aucun langage formel ne peut être cohérent et complet.


 

Dans le théorème d'incomplétude, quelque chose comme l'excès de rigueur de la psychose.
La psychose porte quelque chose de fondamentalement génial en psychanalyse, un accès au réel, elle n'est pas que ce « handicap sociétal » que l'on voudrait nous dire.



« Quelqu'un qui  m'est très cher, un des plus grands penseurs », annonce le conférencier qui a cru devoir, en cette ville si imprégnée, rendre secret le titre même de son séminaire. Mais sans doute lui non plus, prudent, ne livre-t-il pas tout le fondement de son admiration.
   

 

 

 

« L'Ange mathématique »


L'Ange est concept fondamental de la Bible. Messagers du dire de Dieu, bons ou mauvais, les noms du père existent comme les Anges. En 1954, dialogue Teilhard-Lacan : « mais ces Anges, comment faites-vous pour les supprimer, dans votre montée de la conscience vers l'Omega ? »; Teilhard, interloqué, aurait manqué d'en pleurer, dit Lacan. Les ailes sont le désir de l'analyste; quelque chose qui malgré l'écriture n'existe pas ; Lacan ne croit pas que la pensée de l'imaginaire soit incluse dans le symbolique, qui permet de boucher le trou du réel ; R , I et S sont autant de plateaux, de feuillets ; les Anges sont les arpenteurs de l'I au-dessus de notre pensée inhibée du Réel de la structure. Pour Lacan, qui s'oppose là à Freud, l'inconscient est non-représentable : « nous sommes empêtrés dans la mentalité (la représentation) et le parlêtre en pâtit ».

 

 

Gödel établit son théorème d'incomplétude peu après la mort de son père, en 1929. Ce théorème est son annonce de paternité: s'installe un délire à bas bruit, alors qu'il enseigne. Son directeur de thèse meurt en trois mois, encore un père à qui il ne pourra dire au revoir. Il se sent sombrer. Il fera appel aux Anges pour suppléer au trou de la théorie des ensembles, cette base mathématique du XXè siècle, et « la rendre cohérente » (c'est-à-dire psychotique), rêve de David Hilbert. Lacan : la psychose est un essai de rigueur, qui tend à annuler tous les non-sens de la logique. Gödel est un pionnier de la science du réel, en tant qu'impossible lacanien.



Théorème d'incomplétude: une limite à la logique des ordinateurs. Du vrai que l'on ne peut démontrer dans le langage que l'on utilise, un échec du langage et non de la logique mathématique. En psychanalyse : « il n'y a pas possibilité de recouvrir le grand Autre ». Gödel établit une forclusion délibérée et contrôlée de la vérité, une science du Réel, ce « pas tout démontrable ». Le logicien est celui pour qui tout n'est pas démontrable, le psychotique celui pour qui tout est lié.

 

 
D'autres mondes et d'autres êtres rationnels: tous les systèmes formels étant incomplets (indécidabilité), il faut avoir recours à l'intuition mathématique. "La question de l'existence objective des objets mathématiques (...) est l'exacte réplique de la question de l'existence objective du monde extérieur". Les objets logiques, les anges et les démons, sont mystérieux, objets d'une expérience de l'oeil sensible interne, accessibles par analogie et non par expression. Crise de 36, lecture de nombreux ouvrages de psychiatrie, communication avec des "êtres bizarres", une réalité non sensible ou incomplètement perçue qui existe indépendamment de la notre. Cette réalité indépendante, ces objets "bizarres", "partiels",  relèvent d'une partie de notre esprit que nous ne contrôlons pas et qui n'est pas "nous". Les concepts que nous saisissons sont l'inorganique du monde des anges (leur thanatosphère). Gödel fait la tentative du système complet, qui nécessiterait de penser sans son cerveau, comme un ange, détaché de son corps.

 

 



La paranoïa de Gödel


Gödel hypersensible se protège de l'oxyde de carbone, du fréon des réfrigérateurs américains de son exil, ne s'alimente plus (« toxicité du Grand Autre »), se dit espionné par la CIA. « Forclusion de son corps », et retour dans le réel par la psychose angélique. Il considère Dieu comme la « fonction G » (la formule non démontrable) « dont il est démontrable que l'existence est nécessaire ». L'inconscient est pour Gödel l'esprit de Dieu, ce qui existe mais ne peut avoir de corps, d'où la nécessité de l'existence de l'Ange, cet autre corps : Gödel pose la thèse qu'il existe d'autres mondes rationnels qui habitent la réalité du monde mathématique (il est platonicien : la réalité des mathématiques ne dépend pas de la nature humaine). Ces anges s'incarnent dans les idées comme les humains dans la matière ; on y a accès par l'oeil mathématique, pinéal, organe récepteur de l'abstraction pure. Oeil pinéal de Gödel, et troisième oeil de l'hindouisme, composant de l'organe sensible interne... "On perd la raison comme on perd la perception sensible", dans un retour à l'originaire, dans un accès plus complet au réel... Il est visiteur temporaire de ce monde, et perçoit la voix des êtres mathématiques quand il travaille. Gödel conceptualise un oeil mathématique, une intuition mathématique, dont la dysfonction ou l'hyperfonctionnement touche à la folie, condensation ou expansion... A un extrême le règne animal, à l'autre celui des anges, entre, l'homme réductionniste à sa corporalité limitée aux sens usuels...  "Une intuition des essences" à laquelle Gödel s'exerça dès son jeune âge pour y devenir hypersensible... les gaz... Borges comme Gödel savent qu'"un être réel nous échappe, nous ne le comprenons pas".


 

 

 


L'hypothèse du continu 

 

Le cerveau est-il une machine de Turing, et notre esprit y-est-il irréductible ? Les objets mathématiques ont-ils une existence irréductible au monde sensible qui est le notre ? « Une forme d'êtres plus haute que nous qui avons un corps », les mathématiques en édifice complet. Gödel a une mission. Il a un problème, aussi, il ne résoudra pas - ou ne se résoudra pas à publier - le théorème du continu, il a des difficultés. Seuls les Anges comptent les infinis dénombrables (ou Aleph) qui balaient les espaces cantoriens.  Il y a toujours un plus grand infini à atteindre, l'aleph n'est que la cardinalité de l'infini, tous les infinis ont la même cardinalité, sauf celui des nombres Réels (qui regroupent les nombres rationnels et les irrationnels, ceux que l'on ne peut mettre sous forme d'une fraction), et il n'y aurait pas d'infini intermédiaire entre celui des entiers et celui des réels, il y aurait une frontière entre N et R, on passerait du dénombrable, du discret, au continu, en faisant un seul bond, c'est l'hypothèse du continu, Gödel avait - au moins - l'intuition qu'elle était fausse, mais il butera a établir  la non-décidabilité de cette hypothèse. Il n'y avait pas pour lui  de solution de continuité vers le réel, mais une sorte de fractalité de l'infini, que des monades emplissent, l'ensemble infini étant un tout consistant que nous pouvons parcourir, balayer par cette autre forme de corps. Une angéïologie hors-corps qui supplée à la forclusion du corps imposée par sa psychose. Les anges empêchent l'envahissement du corps par la jouissance de l'Autre. Les femmes appartiennent au continu, les hommes luttent contre le discret.

 

 

 

Gödel donne les deux théorèmes fondamentaux de la structure, l'incomplétude et la théorie des Anges. Il démontre la limitation interne du symbolique, et donc de la vérité, et le corollaire du symptôme comme 4è dimension du parlêtre (dans son écriture mathématique du sujet, sa théorie des suppléances, Lacan postulait la « nécessité d'une 4è dimension, voire plus »); l'Ange inhibiteur, limitation interne de l'imaginaire, supplée au démon du symptôme quand ce dernier est insuffisant.

 

 



La philosophie de Gödel


Peut-on réellement parler de folie pour celui qui postula l'existence d'univers parallèles, aux dimensions physiques différentes, et que les physiciens aujourd'hui (ceux de la théorie des cordes en particulier) proposent comme obligatoires dans notre "multivers" ? Mais Gödel a sans doute cette ténacité unique du paranoïaque, à vouloir  intégrer sa "folie" dans un système parfait, que l'on pourra dire aussi fantastique, ou mystique, c'est selon... Les lois naturelles sont incomplètes, il existe des lois "surnaturelles", ou une "structure du monde", qui expliquent les coïncidences. C'est en 1940/44 que Gödel se détourne de la logique pour développer une "philosophie bizarre", alors qu'il échoue à démontrer un autre problème mathématique (l'indépendance de l'hypothèse du continu par rapport aux axiomes de la théorie des ensembles). Des gaz qui persistent, une émigration forcée et que les Gödel feront en sens inverse, vers l'est, en transsibérien, tout cela suffit bien à l'exploration obligée d'un autre monde...

 


Gödel s'exerce à l'hypersensibilité. "L'appareil conceptuel que nous acquérons dans les 15 premières années de la vie n'est jamais élargi, mais seulement appliqué d'une façon de plus en plus complexe par la science aujourd'hui": Gödel décrit un "bornage" des phases d'apprentissage, et des ouvertures (expériences sensorielles, art, nature, etc...), développement du 6è sens, champ de l'oeil mathématique, accès à la strate la plus accessible des Anges, aux interfaces de mondes s'autoréférant comme spectraux, monde de la matière et monde des concepts.



La raison est l'unique organe avec lequel l'homme peut percevoir
les choses mêmes, pas seulement en images.

 

Après la mort, Gödel est convaincu que l'ego survit au corps, dans l'univers matériel ou dans un autre univers. Gödel croyait aux fantômes, ces imparfaitement ressentis de Merleau-Ponty (Gödel déchiffre et explore Husserl). Les anges, régis par d'autres dimensions que celles où nous évoluons, relèvent pour lui d'un réductionnisme matérialiste. L'esprit à la capacité d'un développement infini, mais qui ne peut se réaliser dans ce monde; l'intuition absolue est impossible dans le fonctionnement de cette nature, mais l'oeil pinéal survit, s'ouvre en d'autres dimensions. L'incomplétude a un corollaire, la vie éternelle.




L'incomplétude et le mal

 
Ni Dieu ni la langue (incomplète) ne nous trompent; le mal est par ignorance du bien; il est le non-lié encore par la logique.  Mais Dieu ne peut "garantir" les intuitions qui complètent ces systèmes formels, et Gödel croit au Diable, à la possibilité de l'erreur. En 1942-43, il "adhère" aux théories de Leibniz de l'individu-monade isolée dont le risque est l'ignorance. Il stipule une monadologie des êtres vivants comme des choses, avec une monade centrale, Dieu, et un "chaos terrifiant d'êtres autonomes", qui régit également le monde "interne" de l'âme, exposé au même risque de chaos-folie. Dans le monde surdéterminé de la folie, qui s'oppose à la nocivité des monades, la seule place "libre" est celle du non-connu, du mal.


Pour Gödel,  la phénoménologie s'approche d'une monadologie de "coïncidences", le métamonde des coïncidences nous ouvre l'oeil sur celui des Anges. Mais dans l'ensemble monadologique, il n'est plus d'organisation par l'espace ni le temps, mais par des agencements, et Gödel l'obsessionnel craint la prise de pouvoir par ses personnages, les monades, dans un chaos nouveau qu'il pressent et  où il se diluerait. "Un autre moi, le métamathématicien, détermine la vérité des formules sans que moi je m'en rende compte"; et Gödel le paranoïaque craint cet autre. "Notre réalité totale est belle et signifiante", pour lui qui a eu accès à la connaissance absolue du monde des concepts, mais il craint l'évidence illusoire, mauvaise, oeuvre du diable:  "la douleur est dans le mouvement de l'univers qui m'entoure"

 

 



Réflexivité et consistance

 

Considérons l'ensemble des ensembles qui n'appartiennent pas à eux-mêmes, définition logique du contrepoint. On est consistant quand son contrepoint est clairement présent, dans une consistance réciproque; une réduction, au sens archéologique du terme, de l'altérité; un esprit qui ne peut être seulement humain, puisqu'il fait l'expérience de tous les objets, et des êtres rationnels dans toutes les phases de leur existence. "Le cerveau est un ordinateur binaire connecté à un esprit fini capable d'un développement illimité"; le cerveau est un système non libre: les esprits finis sont capables de procédures mentales infinies dans le monde Réel. Soit l'esprit surpasse les machines, soit il existe des problèmes indécidables; dans les deux cas Gödel  appelle un "troisième plan" où existent autonomes les objets mathématiques: la réflexivité de l'esprit, la métamémoire, relèverait de cet autre plan. Une dérive de la philosophie vers la métaphysique, une observation quasi-phénoménologique de l'esprit. Inférence et réflexivité sont plus puissantes qu'une machine de Turing; à la théorie des ensembles Gödel substitue un concept réflexif, capable d'accélérer les découvertes mathématiques, un mode de raisonnement analogique propre aux "mystères", une mathématique qui n'utilise plus les symboles et le formel mais d'autres formes, une supraconscience. "On ne peut transférer la connaissance absolue à quelqu'un d'autre. On ne peut donc pas la publier".  Il préférait le silence à l'erreur.

 

 

 


Une extrapolation de la physique sur le thème de la temporalité

 

Gödel discute avec Einstein sur le possible du voyage dans le temps, concevable pour ce dernier si la vitesse  approche de celle de la lumière, mais exposant à un paradoxe temporel, dans l'espace à quatre dimensions; Gödel a l'intuition d'un temps autre que le notre, où vit l'esprit (cette intuition à laquelle aucun physicien n'ose s'affronter pour l'heure ; faut-il nier l'existence de la dimension temps, ou en explorer le spectre complet ?). Gödel veut prouver la nature du temps par les mathématiques, son existence objective, plutôt que le considérer comme cette dimension unique et secondaire des physiciens et des mystiques. L'espace de Gödel comporte des courbes de temps fermées, possibilités de voyages.  Gödel dans sa paranoïa rétablit un nouage pour la quatrième dimension. « Pour tout ensemble, existe un seul esprit qui peut strictement le survoler » en y prenant son temps, propre. 



Alors que l'existence de plusieurs dimensions de temps, imaginée par les auteurs de SF, abordée en psychanalyse (par Freud, Green, etc...), semble rester actuellement un "tabou" des physiciens, et même des partisans de la théorie des supercordes, où l'on multiplie pourtant sans problème les seules dimensions d'espace, Gödel semble ainsi avoir été un des rares scientifiques à proposer une "multidimensionnalité" de l'objet temps, allant plus loin que le champ de la relativité.  Il n'y a pas d'intuitif que du quantitatif, un ensemble peut se survoler par l'intuition, une maladie aussi, et Gödel entend balayer, parcourir, à une vitesse infinie. Il conceptualise un être dont le temps serait bidimensionnel, plan dans lequel on pourrait circuler. Et donc, également, une mémoire doublement étendue d'unités vécues; "tous mes vécus qui ne se trouvent pas dans le passé se trouvent dans le futur"


(Vivons-nous dans un temps plan, ou même d'exposant supérieur, mais en baignant déjà dans un ou plusieurs Lethe ? Ressent-on dans le reliquat diurne du rêve ces lacunes temporelles uni- ou multidimensionnelles ?  Le trauma retranché du nouveau-né efface-t-il la contradiction temporelle ?  Blanc du délire du trauma des puînés ?  Dissociation du PTSD ?)

 

 

 

Gödel, propose Yannick Grannel, décéda d'un accident de travail, et pas de malnutrition, interrogeant l'incertitude, le corps rongé par le doute. Passa-t-il d'un bond, maigre génie, squelette fou, où s'égara-t-il dans la lisière infinie entre deux essences ? Il y a nécessairement une chose qui est comme Dieu, démontra-t-il; mais puisque nous sommes à l'intérieur du système, il n'y a aucun moyen de déterminer, si oui ou non, nous sommes dans le réel.

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27 mars 2013 3 27 /03 /mars /2013 18:14

 

 

(notes autour de

Hegel, Phénoménologie de l'esprit, Flammarion 2012, pp. 149-167,

La perception)

 

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L'unicité de la chose est perturbée par d'autres choses, la perception n'a aucun repos, et ce tout particulièrement dans le système médiat et non-réflexif de notre anthropocentrisme. C'est la déterminité (le tissu, l'apparence à nos sens des caractères dits secondaires de l'objet, mais qui supportent son aura, et contribuent à l'immédiateté parfois de la mémoire eidétique de l'objet) qui fait l'essence de la chose, tandis que l'inessentiel est ce qui distingue la chose des autres, par toute cette constitution  multiple et variée, mais qui existe pourtant par ailleurs, voile, Maya, reflet: la chose est le double dans la mesure où, dit Hegel. La variété n'est pas à l'écart de la chose, mais lui est inessentielle.


 

Ce multiple de la chose est conséquence de notre registre des sens, qui varie selon les dimensions d'univers dans lesquelles nous nous mouvons, univers physique et relativité, univers onirique et niveaux de conscience, univers généalogique, historique et construction de l'histoire, publique ou privée. Et si l'on considère non plus le système particulier où nous déployons notre existence, ou les quelques systèmes ou nous déployons nos existences, mais un tout (chaotique par exemple), alors la chose est une et totale.

 


 

 

La chose est une et totale, mais en même temps double, limitée et incomplète. Nous l'appréhendons par une démarche exploratoire, scientifique, de balayage (y compris des niveaux de conscience), ou par une perception de type eidétique, supraconsciente. Mais il y a bien une déterminité de la chose, la chose est bien en opposition à d'autres, le mysticisme de Hegel se décline dans cet oxymore chose Un / chose opposition. La chose Un n'est pas en connexion avec d'autres, mais en rapport de différence, d'opposition: la chose est essentiellement cette relation de rapport dont la chose "périt", et la perception classique relève de ce rapport entre les choses et non de leur essence. Tout ce que découvre la conscience va lui tendre à abolir l'inessentiel, et le rapport entre les choses en tant qu'objet de notre perception est corrolaire de l'impossibilité bergsonienne de la perception pure qui tiendrait à l'objet; le contenu tenu pour vrai de la perception n'appartient en fait qu'à la forme et se dissout dans son unité.

 


 

L'Un, l'être pour soi, n'est posé que comme quelque chose d'aboli, et ces deux extrêmes relèvent eux-même d'une entité unique. La progression entre l'être sensible et l'être universel recourt non pas à un processus cyclique (comme le penserait Eliade) mais à un exploratoire de cette structure en abyme du réel par arrachement-ajouts itératifs et continuels. Une union progressive dans le Un des singularités et de l'universalité, en puissances du "bon sens", du jeu. Mais alors la perception "résiste" à la conscience et à sa contradiction fondamentale, originelle, par la différenciation de perspectives (des "aussi", des "dans la mesure où", etc...), par la différenciation de l'inessentiel: "le vrai qu'on était censé conquérir par la logique de la perception s'avère être le contraire". Et c'est en celà sans doute que Certeau entend qu'il n'est pas d'essence, que l'essence est nulle, mais qu'il est une marche et un jeu, une invention du quotidien, et non une structure ou un cycle. C'est ce déroulement, poursuit Hegel, continuelle alternance entre détermination du vrai et abolition de cette détermination, qui constitue à proprement parler la vie, l'ensemble des faits et gestes quotidiens dans la conscience.

 

 

L'universel inconditionné est l'objet vrai de la conscience. Mais il n'en reste pas moins un objet, défini comme ci-dessus, appréhendé comme Un et comme double à cette nouvelle échelle, et s'ouvre un nouveau cycle ! Dans ce mouvement itératif, la conscience est elle-même intriquée dans son devenir; dans sa quête du vrai, la conscience n'est pas libre (quel est donc le formatage premier de notre conscience, et quels langages premiers la dirigent-elle aux tous premiers temps ?). Il est en effet des moments de cet exploratoire, et une autonomie des matières, qui s'interpénètrent sans se toucher; une pure porosité et une auto-abolition des choses, et une autonomie des différences. Ce qui perçoit et ce qui est perçu sont unis et non-distincts, mais également chaque côté, percevant et perçu, est réfléchi en soi. La force de cette opposition-mouvement (elle-même refoulée en soi, par itérations non-linéaires) est composée d'autant de moments évanescents par pertes de leurs déterminités: force de l'incompréhension, de la fuite des idées, de la perte de l'unité nocturne au juste-réveil, etc... Le mouvement lui-même s'effondre avec les substances, mais la vérité de la force persiste; la réalité de la force est en même temps perte de la réalité, la force est cette universalité. Hegel pose cette force même en concept, qui unit-oppose la force "active" réfléchie du soi et le medium "passif" des matières (dans une association qui fait écho à la phase initiale de la concentration, sur une perception interne ou externe, dans la technique de contemplation méditative). Dans des tissus aux échelles de conscience de plus en plus élevée, par itérations, on gagne "par ce milieu l'entendement du jeu des forces de l'arrière-fond véritable des choses", par une combinatoire de la conscience qui remonte la cascade de la combinatoire génétique du monde, mais dans un milieu qui est toujours un "disparaître", une apparition, un phénomène, c'est-à-dire une apparence de l'être qui est immédiatement non-être (seules les épiphanies néolithiques d'Eliade sont stables). C'est ce tout de l'apparition, cettte eidétique, qui constitue l'intérieur, le tissu, le milieu du jeu des forces, comme réflexion de celui-ci en lui-même.

 

 

L'apparition du phénomène et l'être de la perception n'ont qu'une signification toujours "négative", ou plutôt en contrepoint; les aires du réel qui nous apparaissent ne s'emboîtent pas concentriquement, mais ont une relation de contrepoint, dans une invariance d'échelle, tout au long du processus itératif d'émergence de la conscience. La quête semble illusoire d'infini, mais cette quête est elle-même le réel de ce monde suprasensible où sont déployées toutes les dimensions successives de l'objet, ce monde suprasensible nettoyé de l'opposition de l'universel et du singulier, nettoyé de l'opposition d'un ici-bas évanescent et d'un au-delà durable (mais hors tout chronos).

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24 mars 2013 7 24 /03 /mars /2013 17:02

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Elevation de murs, restitution de leurs fantômes. Sloterdijk (Globes, Sphères II, Pluriel, 2010, p. 240-87). Les murs des civilisations de la haute antiquité, les premières murailles, celles de Mésopotamie, notre berceau du néolithique, sont constitutives de notre immunité de surélévation, externe comme interne. Le castillo intérieur de Thérèse d'Avila reprendra encore, lui aussi, en quête de sa septième chambre, cette technognostique héritée du haut-empire romain. La foi est un effet psychologique secondaire à la construction des paléomurs:


 

Aucun religieux du premier palier ne peut discerner ce qui constitue le fait primitif de toute religion, considérée comme cryptoarchitecture: seul l'emmurement du dieu produit son mystère spécifique.


P. Sloterdijk


 

Edifices paléo-chrétiens, bientôt les cryptes s'armeront de forteresses-églises. Dans cette compétition des chambres successives, c'est la crypte, et son rocher originel, qui lui ne fait plus mur, qui tient de cette restitution suprême du mur-fantôme, quête de l'archéologue de l'antiquité et du monde médiéval. Nous recherchons constamment la crypte, et ce à la verticale aussi bien qu'à l'horizontale, dans une démarche phénoménologique où abscisse et ordonnée ne sont plus que des modes de chiffrement de notre emmurement et de notre désaliénation au grand carroyage. Là où, dira Augustin, notre Dieu est plus proche de nous que de nous-même. Ce vers où se diriger non plus en faisant la queue, en perçant les enfermements concentriques, mais en brisant les codes comme on voudrait briser les murs.

 

 

 

Sloterdijk nous redit Eliade, dans son exploration du sacré au néolithique, quand la foi des hautes-cultures relègue l'"inconscient" paléolithique dans des enceintes de murailles, dans la ville, d'où aucun recul n'est plus possible. Obscurci, isolé, retranché et perdu de l'autre côté du mur, le dieu créateur; dans la ville, un dieu "sauveur" auquel il faut désormais se livrer, sauf à retrouver la crypte: Sloterdijk nous donne ce lien étroit entre archéologie, foi et "psychisme néolithique" qui nous gouverne encore. Nous offre une lecture de cet ésotérisme néolithique, et de son hermétisme, du sadisme du constructeur, du masochisme du contemplatif emmuré. Gilgamesh, roi d'Uruk, cette énorme cité de sans doute plus de 50.000 habitants en l'empire et l'emprise de Babylone en 2700 avant J.C., Gilgamesh fait le premier récit, celui de son échec dans l'immortalité, sur lequel Epicure fera deux mille ans plus tard ce commentaire: "face à la mort, nous vivons tous dans une ville sans murs". Et si aujourd'hui, livrés au monde globalisant, les murailles physiques des cités ne sont plus aussi épaisses qu'en Babylone, si les parois sont fines, notre immunologie en est-elle pour autant modifiée, avons-nous quitté le néolithique ? Car si les limites de notre être ne sont plus en murailles concentriques mais en emboîtements décentrés et chevauchants, "réseaux", "entreprises", "classes sociales", etc..., ne sommes nous pas masqués au réel de manière encore plus complexe, distante et opaque dans cette "modernité" ? 


 

Si la Grande vérité l'emporte, alors la terre sera la propriété de tous. Alors les hommes n'aimeront plus seulement leurs proches, ils ne se soucieront plus seulement de leurs propres enfants. C'est celà, la grande communauté.

 

(vision de Confucius, face à la claustrophilie et la xénophobie de ses compatriotes)

 

 

 

Sloterdijk rejoint aussi la démarche mystique d'un de Certeau, dans cette description oxymorique du mur, car "les murs, porteurs de miracles, quoi qu'ils montrent déjà d'eux-mêmes, dissimulent en même temps quelque chose d'essentiel, même s'il ne s'agissait à première vue que du mur suivant". Quête de la crypte, de l'argile, du rocher originel qui est celle de l'archéologue sur son champ de fouilles, ou quête d'une cité utopique sans plus de murs, à l'image de la Tchevengour de Platonov, ingénieur es-argile qui s'emploie à faire déplacer chaque fin de semaine les quelques maisons encore debout dans une ronde de désespoir communiste, ou encore "graal" du mandala kalachakra tibétain où l'initié devra parvenir à franchir nombre de constructions avant de retrouver la semence pleine du centre emmuré. Car de la cellule primordiale à la cathédrale occidentale, la membrane, le mur, le rempart sont autant d'épiphanies.

 

 


 

Visions prophétiques d'îles plutôt que dissection du panoptique des tours-murs. Oasis en désert: d'où l'on sent plus que l'on ne voit, comme si l'on était en mer. Attrait pour l'immunologie,  mais en déconstruction, recherche de l'atteinte du fantôme archéologique du mur, du mur spectre total, métamatériau.

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23 janvier 2012 1 23 /01 /janvier /2012 16:38

Existe-t-il une pensée Badiou, ou un Heideggerisme remétabolisé, un préplatonisme redécouvert ? La modélisation vers le Mathème est-elle hyperlecture lacanienne1 ou apport ?

 

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La voie du mathème1 plutôt que celle du poème ? Le sujet en entrecroisement de l'être, que l'on voudrait accessible de par ce mathème, et de l'événement indiscernable. A la question philosophique sur l'être, une réponse: « les mathématiques tiennent le discours ontologique2 », et Badiou s'érigerait en anti-Russell ? Mais la "diagonale de Badiou" est un enchevêtrement, une circulation, et non un choix, entre 1/la question ontologique, cette déconstruction de la métaphysique, cette recherche du savoir plutôt que de la vérité comme l'a argumenté Heidegger, le « dernier philosophe »; 2/la révolution mathématique, logique, qui cherche un transmissible, une rationalité scientifique; 3/ des processus pratiques, des opérations, une doctrine post-cartésienne politique, analytique, marxiste et freudienne, une vérité à l'épreuve d'une subjectivité, car toute effectuation ontologique (sur un savoir) est désubjectivante (le sujet en royaume des représentations). Y-a-t-il une ontologie poétique selon Heidegger, dans une hantise de la perte de l'origine, et une ontologie mathématique, déductive, vers cette énigme, cantorienne ? Il y a en tout cas, en base de la philosophie, un noeud être / non-être / pensée.


 


 La Nature est l'offrande de ce qui est voilé, l'Idée est le côté évident de ce qui est offert; le virage platonicien sera la restriction à l'idée, cette découpe de l'apparaître; quand l'idée est prise pour l'être de l'apparaissant, commence le « déclin », cette trajectoire d'oubli de la Nature « objective »8, cette substitution du manque à la présence. Eriger la soustraction: l'éclosion du réel devient le défaut d'être. L'idée mathématique, plus particulièrement, relèvera de cette découpe; le « mathème platonicien »9 est une disposition séparée et oublieuse du poème préplatonicien. Heidegger propose de différencier la voie originaire poético-naturelle du non-voilement (« initiatique ») et la voie mathématico-idéelle, clôture métaphysique, pas premier de l'oubli (« transmissible »); Badiou proposerait une autre disposition de ces deux voies, apparues dans une multiplicité de site (Chine, Inde, Egypte,...), tandis que l'ontologie (occidentale) n'est qu'historicité des enchaînements mathématiques, et labeur du texte10, corrélative d'une nostalgie de la présence et du repos... L'être (Nature) en stable du se-tenir là, du tenir-ensemble, de la con-sistance; l'existence en instabilité, marche, ontologie, corrélation, inférence.



 

 

Les procédures génériques
Mathématiques. Paul Cohen3 1963, mise en miettes de la théorie des ensembles , une révolution intellectuelle à vecteur mathématique, base de L'être et l'événement, nous dit Badiou. Elaboration de la théorie de la généricité. Il existe quatre procédures génériques, amour, art, science et politique, pour une instance finie qu'est un sujet; une procédure générique est la venue au jour d'un indiscernable du temps, d'une vérité de son être. Il y a un mystère de ces procédures, renvoyé soit au domaine du représentable (le savoir), soit  dans un au-delà transcendant de leur Un (l'espérance révolutionnaire, la fusion amoureuse, l'ek-stase poétique,...). Les procédures génériques sont indéterminées (indiscernables, innommables) et complètes5, et un sujet ne se supporte que d'une procédure générique6; il est un moment fini de cet avéré. Badiou en matheux mystique, en ontologique extatique; les mathématiques en... technique archaïque de l'extase !! Une vérité, artistique, politique, scientifique et amoureuse, et une torsion de l'être dans le tissu des savoirs, torsion enclenchée en un point déterminable par les mathématiques, plus accessible, et plus univoque, que par la poésie.


 

Les failles nécessitent des lieux. L'extase et l'effet de bord du générique peuvent-ils résister à la fermeture physique du livre papier, au reflux des mots? En tout cas persiste la circulation, entravée pourtant de toutes les encyclopédies disponibles. Divers indices empiriques attestent que l'amour existe, l'amour fou existe  pour les mathématiciens, faut-il arrêter la suite (géométrique) ? Virus castrateur, inflammation et déprime du sujet, dilution au tout d'un amour en sens unique, archétype de séparation fébrile, il nous reste à établir l'intégrale-retour du processus générique d'amour, de l'alpha du social à l'omega de l'expérience. Nous n'avons aucune structure, nous la recréons chaque jour, Dieu est processus.

 


Le générique, donc, est l'indiscernable qui nous fonde. Il est soustrait au savoir, à la nomination exacte (une vérité est toujours ce qui fait trou dans un savoir). La procédure générique est fidèle, fidélité post-événementielle, militante; le savoir lui, ce langage, ignore l'événement, développe une encyclopédie de la situation. La vérité n'échappe au classement du savoir (qui dit le vrai mais pas le véridique) que si elle est infinie: une vérité est une partie infinie de la situation. Structure en abyme, donc, de la vérité et du savoir, et le processus générique à l'émergence du sujet. L'événement rencontre (« l'amour fou ») ne modifie pas la procédure fidèle générique amour; les épisodes existentiels ne sont que des conséquences, ou des conquêtes, des procédures génériques7. Un réseau de procédures fidèles, des événements en grandes mutations conceptuelles, en césures historiques, mais la génération de vérités est soustraite au savoir; toutes les autres pratiques (le « service des biens »), plus ou moins intriquées au savoir, ne génèrent aucune vérité. Une procédure générique fidèle (PFG) va à l'infini, ce qui implique un remaniement de chaque situation: l'art, la science et la politique changent le monde, mais par ce qu'ils y indiscernent.

 

 

alors, cette voie générique vers l'inaccessible mathème: simple outil, ou substrat d'une pensée ? (à suivre)

 

 

 


Notes

1. Ecole de la Cause freudienne: le mathème est l'idéal de l'enseignement de la psychanalyse, il serait cette écriture, trouvée par Lacan, qui répondrait le mieux au discours analytique. Le mathème est " fixion " de ce qui du réel échappe toujours au dire. Avec le signifiant, ce n'est jamais ça ! Ce dernier ouvre à d'autres signifiants, à l'infini. L'analysant, en fin de cure, en fait l'épreuve : il a à lâcher cet amour pour le signifiant où s'éternise son amour de transfert; le terme d'une analyse, la passe, supposerait d'arriver à savoir ce que veulent dire ces mathèmes pour soi, dans la singularité de son propre cas; de rendre compte de la façon particulière dont le réel en jeu s'est fait présent pour soi, la façon dont le sujet a cerné, de manière singulière, le savoir vidé de sens et de jouissance, pour atteindre un point de réel.
Pourquoi miser sur cet idéal du mathème, sur cette intégralité, alors que par ailleurs on sait qu'il n'y a pas de métalangage et que la vérité ne peut que se mi-dire ? L'objet a, l'invention de Lacan, qui entre dans nombre de ses mathèmes est l'objet qu'une science analytique peut se donner. (Le concept de mathème  renvoie au) bilinguisme foncier de la psychanalyse, entre poésie et mathématique... (Ce même bilinguisme réel/sujet, entrelac dont Badiou propose une "nouvelle" formalisation de l'approche )

2. Ontologie: science de l'être-en-tant-qu'être

3. Démontre, utilisant la méthode du forcing,  que l'hypothèse du continu est indépendante des axiomes de la théorie des ensembles (Wikipédia)

5. …des procédures sociales certeauliennes aux procédures génériques « ineffables » de Badiou... L'oeuvre de Certeau matérialise dans la poussière des jours sociaux, effet Tyndall, la torsion de nos procédures génériques constitutives.

6. Voici donc une formulation mathématique de la consistance, cet influx de réel qui gagne la sous-enveloppe, cette rencontre Purusha/Prakitri...

7. Vibration primordiale de l'être, cet éon clivé du tout et en perpétuel retour; route des « noeuds-coïncidences » et Maya de leurs représentations. Et la mystique ne serait que l'intégrale de la procédure générique, du sujet vers l'être: voilà bien comment de Certeau pressentait sans doute l'élaboration de la mystique en science expérimentale...

8. Heidegger, Certeau, Green, hindouisme, etc...

9. Et Badiou ne semble pas « passer outre la condamnation lacanienne du platonisme »

10. L'idée en quelque chose du péché originel qui soustrait au règne de la Nature et condamne au mille langages sur le tout, Babel vers l'origine... Le sujet dans une vision topologique du labeur nostalgique, vers l'originaire, et du labeur évolutif, vers la supraconscience...

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21 décembre 2011 3 21 /12 /décembre /2011 17:20

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 Langue du filtre maternel, bien sûr, filtre générationnel, qui vient pourtant par cette même génération d’une origine, et nous en sépare en même temps… Et si le conscient était structuré comme une langue, et co-évoluait avec elle ? La langue, ce sont d’abord les failles de l’entre-signifiants du langage; la langue c’est une absence de logique, aussi, alors que les associations de signifiants sont régies par ces règles logiques de l'exclusion; la langue est un crible qui nous perd et nous sépare du réel dans un processus quasi-aléatoire de méïose culturelle; elle est une contagion par ce que nous avons tété, et qui nous rend immun à l’objet, dans notre aire linguistique, qui n'est plus tactile que par les quelques facettes culturellement survivantes.


 

... des mots qu'on avait oublié d'inventer à cause de notre enfance (malheureuse)...

H. - F. Thiéfaine



Cette séparation au réel nous pousse, en retour, dans l’espace du poème (ou dans les paradis psychodysleptiques), en ouvrant les « portes de la perception », rendant chaque objet accessible en continu et non plus sous les angles partiels de cette déconstruction par la langue – étrangeté et beauté de l’objet « plein », retour au direct de l’objet, au toucher primordial – car langue, vision, audition de par leur construction ne permettent que des images médiates et discrètes, partielles. Le poème est bien ce magnifique "pas-de-porte" dedans/dehors, cette  véritable absence de porte vers l’objet, et présence à lui pourtant mais enserré dans  la langue qui engrange, range, réserve, sépare germes des pailles.

 
On devrait pouvoir - de quels exercices s'agit-il là ? -, de la naissance à la mort, évoluer dans sa langue, s’autoriser à changer de langue, pour « échapper » au filtre généalogique et atteindre au réel ; poésie, manie, peut-être aussi ; construction progressive, comme le fit J. Bousquet, d’un langage entier du contrécrire, langage du noir de source du corps, de cette chair libérée de la génération, d’où se dégagera, l'œuvre avançant, l'inutilité de la plupart des paroles; on devait chacun tenter de faire évoluer notre langue maternelle vers cette méta-poésie qui devient alors mode de lecture, et non plus d'écriture, vers cette 3D d'une encre que la représentation ne contrôlerait plus. Le réel nous offre un certain délire, vers le paléo-language inclivé de l’objet, la mère nous donne une langue qui nous clive mais nous préserve d’un certain délire... Jeu entre le délire du réel et le clivage du mot: comment remonter au sens plein sans s’effondrer dans le non-moi, cette question princeps de la quête mystique, gnostique, poétique, psychanalytique peut-être aussi…


 
Trouver son langage-ruban de Moebius,  capable de dire le dedans, et de revenir au dehors, sans solution de continuité, sans distance ; poésie, chamanisme… Dire les pôles de chaque mot, ces pôles qui se donnent par la logique des interdits du signifiant-découpe; alors chaque mot peut redevenir cette flexion-torsion moebusienne qui donne au réel... Chaque mot, ce multi-pôle  maquillé de logique, par qui la mère nous préserve du délire mais nous clive, doit redevenir moment dynamique d’un ruban de Moebius d’une langue pleine du toucher de l’objet, ainsi progressivement détouré.


 

La mixite à venir de ce monde migratoire, et le métissage linguistique par-delà les océans de dispersion, est sans doute espoir de retour. Si l'on préserve et associe les plus grandes différences. L'intégration, l'assimilation, sont les outils de la pauvreté, de l'isolement et de l'oubli.





 
 

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30 octobre 2011 7 30 /10 /octobre /2011 21:18

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L'humain est au-delà du vivant dans les possibles comme dans les contraints de son approche de la dimension temps. Le temps, disait Kant, est un horizon à travers lequel nous autres humains faisons l'expérience du monde, une expérience que toujours je sentis incomplète: ne sachant alors dire ce sentir, n'osant le vivre, je le rêvai, aujourd'hui je le détoure, et vous l'offre peu-à-peu, terrain d'épreuve, preuve du jeu.

 

En cette ère de l'instantanéité nous sacrifions sans doute quelque chose de notre mémoire, cette mémoire dont sont pourtant façonnées les briques du présent, ce présent auquel notre temps public et commun affleure ainsi de plus en plus furtivement. Car la mémoire est la profondeur de l'instant, et sa complice représentation elle-même, cet agent double, travaille à la fondation d'un réel dont l'abord n'est plus restreint à la seule facette du chronos, ce temps-ligne. La mémoire est ce curseur que l'art, cette roue de la révolte, permet de travailler. L'abord unique du bios par le temps est lui le fondement de l'agnotologie, cette science à créer des instants sans mémoire1, et c'en est à se demander, dit Enki Bilal, si cette temporalité actuelle, accélérée et constamment zappante (plus que kaléidoscopique comme dans l'abord oriental de toute chose, car les images qui nous percutent sans relâche dans cette modernité ultralibérale ne sont pas facettes d'objets existants, ne sont pas portions d'un de nos états antérieurs, mais appeaux à consommation, brisures d'un objet forcément incomplet et impossible et dont il nous faudrait toujours jouir mais sans possibilité de l'incorporer: un objet maniaque), si cette temporalité accélérée n'a pas à voir avec le développement de la maladie d'Alzheimer: nous sacrifions sans doute quelque chose de notre mémoire... 

 

 

L'abord du réel, de plus, n'est pas réductible à cette seule "facette" si facilement manipulable ; car il existe des moments, ces pièces de temps, ces nœuds d'instants, sans commune mesure avec la linéarité ou autre boucle, ces correspondances dirait l'oriental, et par lesquels la politique n'est pas qu'adaptation passive, illusoire contrainte ou creux discours, mais jeu de mémoire pour le choix délibéré de l'instant; le chronos-ligne n'est plus qu'un "entre-moments". Il y a bien ainsi du choix délibéré de réel dans le bios, et aucun effondrement n'y peut mais, car il y a une dimension minimale de notre rétraction au cœur de la plus grave mélancolie, il y a un nadir de notre entropie, il y a un toujours du compost des corps même, sur lequel rebondit le trajet singulier que chacun de nous mène vers le réel, et ce noyau-là est l'instant enfin abordé, et par delà le mûrissement de nos sensations, et il n'y a ici et aujourd'hui aucune accélération qui vaille.

 

 

L'Orient de nous-mêmes, donc, aborde la nature en termes de corrélats et de polarités, le temps cinétique n'est plus qu'un vague « entre », pierre d'attente entre ces moments, « temps mort » qui n'est en rien le temps concret des morts. Dans cet « entre » qui file, parfois les lignes pourtant se courbent, tendent vers, et c'est alors que nous ressentons ce merveilleux confus de l'art, cet immense certain de l'autre, ce beau toujours dont nous sommes: cette enroulement court, tendu et omniprésent de la dimension temps de notre enfance, qui avait bien une énergie et une fréquence, et qui nous sont toujours propres. De ce rythme propre de l'artiste que nous sommes tous, nous pénétrons le flux, forcément en diachronie des autres baigneurs, en même temps nous plongeons dans le réel et l'incrémentons de notre propre rythme; le film qui s'y déroule ne peut être développé instantanément, et seule l'illusion se projette aux plasmas géants et toujours identiques2.

 

 

La redécouverte de ce rythme à soi, qui hante maintenant toute notre post-enfance, exige ces plongeons, ces accommodations aux corps autres, ces interférences, et ne peut survivre en clôture3. L'ethnologue du rythme observe la famille, le solitaire blessé est en pleurs dans son temps blanc. Barthes cherche le rythme qui s'accorde à sa demande intérieure, théorise le mont Athos, cette idiorythmie, ce deuxième étage sans bornes de temps qui est aussi ma quête, et d'où l'on peut rejoindre l'immédiateté des autres, un collectif, l'institution. La danse y est enfin rendue possible par ses appuis propres autorisés4.

 

 

 

Il est bien une vibration primordiale, un individu-corde5; mais quand un certain social imposé synchronise les individus - qui eux tendent à la coopérative et non au biopolitique -, alors enfle patiemment la révolte ; l'interférence des rythmes augmente la vie, leur résonance obligée effondre les vains empires. Désynchronisation, révolution, vivons le pas-de-côté du temps.

 

 

 

 

1 Quelle notion de mémoire dans le bouddhisme ?

2 J'ai préféré plus tard la diapositive, cet instant agrandi, au film : contagion d'une sensation plutôt que boucle généalogique. Le millénarisme, c'est la famille. Et je n'avais pas la carrure Super 8.

3 M. Macé, Rythme des autres, rythme à soi, Le Monde, 28 octobre 2011

4 Sociothérapie en psychiatrie institutionnelle : découvrir le rythme du fou et le rendre licite, lui adapter le cadre

5 Et des psychoenthéogènes

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