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7 mars 2009 6 07 /03 /mars /2009 22:16

BLOG DE CRISE




Vous êtes bien ici face à une crise de blog, profonde. Après avoir démonté au cours de ces quatre mois écoulés, billet après billet, l'illusoire de la représentation, ce processus cérébral facultatif et élaboré qui nous éloigne du Réel, après avoir vanté la recherche de l'humeur, du rasa, de la sensation poétique pure qui nous connecte au monde, l'auteur de ce blog se retourne en doigt de gant... et s'effondre: cette humeur retrouvée, ce bain océanique ne puisent-ils pas en pleine animalité, et uniquement en pleine espèce, ouvrant la voie à la désubjectivation que nous mettions sur le compte d'un système politico-économique ? Sommes-nous les lambda de l'espèce ou les esclaves du système ? Et c'est encore lui qui a déclenché ça:



1. Y-a-t-il une autonomie du lecteur ?



L'histoire des marches de l'homme a travers ses propres textes

 demeure en grande partie inconnue.

M. de Certeau
Lire, un braconnage
in L'invention du quotidien, Paris, Gallimard, 1990


L'autonomie du lecteur dépend-elle d'une transformation des rapports sociaux qui surdéterminent sa relation au texte (révolte) ou bien existe-t-il déjà, quoique réprimée, une autre expérience que celle de la passivité (révélation) qui donne le voyage à tout lecteur, nomade braconnant parmi les champs d'autrui, antidote à l'atrophie de la mémoire qui se produit quand il y a autonomisation de lieux propres ?
Il nous faut créer plus qu'une carte mais moins qu'un itinéraire tout tracé: une façon de cheminer. Nous avons la même mémoire-savoir; mais chacun de nous a sa façon propre de créer des occasions, des connexions.


D'où nait donc la muraille de Chine qui circonscrit un "propre" du texte ? Cette muraille érigée par des lettrés face aux nomades encore  sans livres ? La consommation artistique de masse de l'espèce citadine et transhumante en formation, vorace parmi les pâturages des médias, reviendrait-elle au nomadisme d'antan, mais en des steppes artificielles ? Le consommateur est-il dupe, ou rusé ? Est-il auto-nomade, ou parqué en réserve ? Y-a-t-il réellement une transgressivité du lecteur ou du spectateur à l'"insu" des maîtres, ou sommes nous connectés par la performance et l'esthésie du rasa à notre viscéralité de nomades, survie, autre stéréotype, animalité  ?



Thérèse d'Avila tenait la lecture pour une prière,
 la découverte dun autre espace où articuler le désir.
Mille autres auteurs spirituels pensent de même,
et l'enfant le sait déjà.


M. de Certeau



"L'enfant le sait déjà", si l'entre-deux reste admis dans les hauts-murs familiaux, si soleil et ombre co-existent dans le jardin, si l'on repasse une fois l'an à l'étape d'habitude comme au bivouac de peur.


La poésie n'est qu'entre-deux quand grand est l'écart, et le retour au lieu alors vain, difficile ou étranger; la dépression n'est qu'entre-deux qui ne fait plus fonctionner aucun lieu.





2. Angoisse de dilution


Retrouver les noeuds, les connexions instantanées au monde, permet-il de dégager une trajectoire ? Ou finalement cette analyse de la diachronie du sujet n'est-elle que voyage accéléré vers la mort, précipitation vers l'ouverture à tous les flux ? Je croyais pouvoir me dispenser du sujet, du bien et du mal, mais soudain j'ai peur de la dispersion...


Ceci est un blog de détresse: j'ai toujours peur de la mort
(mais y-aura-t-il enfin, donc, un jour ?! un item "mort" dans le DSM absolu à venir ?? Et quel Prozac-Soma-Amour ??)



Retrouver les coups de rasa successifs, répertorier nos instantanéités au monde, tous nos darshans, tous nos "hypertilts" au-delà de la compréhension-représentation, tous les soulévements de voile: ne conduirait que plus vite au chaos originaire ?

Sauf que... non, bien sûr: toutes ces rencontres ne se font pas dans le même plan, elles nous font naviguer de bas en haut et de droite à gauche dans ce réseau de braconnier, ce chemin d'errance dans la ville (de Certeau); ces connexions au réel ne sont pas neutres: chaque noeud est bien stéréotype, animal, humoral, mais leur itinéraire, leur juxtaposition est progression dans le connaissance-conscience, est lien entre ces niveaux variés de conscience expérimentés: il nous faut vivre (sinon nous approprier) autant d'expériences connectives que possible...


Avoir peur de la mort était d'une normalité affligeante; maintenant... à demain, si on ne m'a pas mis en garde à vue au quartier des grands déli-linquants-lirants

Ecrire la bouillie verbale permet au moins, enfin, de poser la problème:
l'angoisse n'est pas crainte d'une animalité par rapport à une humanité, mais crainte d'une perte d'individualité par rapport à une communauté de conscience

(eh! les gars ! et les meufs surtout ! je viens de vous expliquer "The fear of breakdown" de Winnicott !)


Mais... et si la mort en dilution répondait au principe conjonctif ? Alors aucun Tout ne serait indépendant d'aucun maillon... (Consolante intermédiaire entre sujet et noosphère)...


et aussi: il doit y avoir quelque nulle-part un pôle topologique entre représentation et perception pure...

... et ne pourrait-on pas dire l'intelligence, soeur de la représentation,  en troisième humeur ?


(... et lire Contrepoint d'Aldous Huxley: littérature, art et philosophie sont-ils comédie de l'intellect ? La racine de l'homme est-elle au coeur de ses tripes ? Cette racine que l'on recherche si intensément, jusqu'au jour où elle fait peur...)


... en attendant, on me vire de mon garde-meubles, et l'intellect est fermé par crainte de dégradations...



3. Retour en Inde: Jouissance, voie de la délivrance


La jouissance (BHOGA) est la réalisation1 de la forme propre des choses sensibles désirables ou indésirables, obtenue par confusion (entre l'Etre et les choses du monde d'ici-bas). La délivrance est la réalisation de la forme propre du jouisseur.

(Vyâsa, Yogabhâsya ad YS II, 18, trad. F. Zimmermann)


(la jouissance est voie vers l'Être; l'action du corps vivant est outil de la jouissance)



une subversion presque complète de l'ordre essentiel entre les moyens et la fin, un «passage de l'esprit au service de la vie» au terme duquel n'est plus laissée à celui-ci comme dernière marque de sa royauté qu'une jouissance (bhoga) égoïste et inférieure, d'ailleurs amplement compensée de toujours renaissantes douleurs (O. Lacombe, L'Absolu selon le Vedânta, 1937): la jouissance en expansion au chaos entropique désubjectivant; la douleur en nouage du sujet à une limite...



1. "réalisation" est avadhârana: "dhāraṇa" signifie qui tient, qui porte, qui garde, qui protège . Dan le Yoga, c'est l'étape de la concentration de l'esprit avec arrêt du souffle, ou fixation de la pensée en un seul point; le préfixe "ava" signifie vers le bas: "qui tient les choses d'ici-bas", les lie à l'Etre ? Etre connecté garantit-il l'individualité ou l'océanité ? Quel lien à la sadhana, qui est aussi réalisation ?
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