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31 décembre 2011 6 31 /12 /décembre /2011 17:37

P1040488.jpg  Autour de
Vaclav Havel, portrait intellectuel d'un penseur du post-totalitarisme
Jacques Rupnik, Le Monde, 23 décembre 2011

 

 

 

Le post-totalitarisme, ce n'est pas encore la rupture avec ce système panoptique et biopolitique, celui-là qui s'osa en plein monstre avec Auschwitz, puis s'affina dans les années 1980 sous mandat d'ultra-libéralisme économique et financier. Le post-totalitarisme, ce n'est pas encore la rupture avec l'a-pensée des masses envoutées de violence ou de profit, aux dépens de toute coopérativité; la pensée post-totalitaire, c'est encore et toujours celle d'un « totalitarisme failli », d'un « totalitarisme aux dents cassées », mais d'un totalitarisme. Du mensonge grossier de la propagande on est certes passé à la suggestion de plus en plus sophistiquée de la publicité puis des médias dans leur quasi-totalité; on est sommés – certes  en morphine - de s'adapter à la menace annoncée (du chômage, de la pauvreté, de la relégation à l'interdit du « sans » papiers, travail, domicile, etc...), on est sommés à la dissipation de la pensée par une théorie non contiguë de toutes petites satisfactions de profit individuel, voire familial: une semaine de vacançage, la maison qui gonfle d'emprunt, le vêtement qui nous solde, l'automobile qui nous chaîne, etc... On ne peut s'interroger sur le global du succès tout relatif de chacune de ces pléonexies égotiques... On ne peut s'interroger car on peine, sans temps pour se retourner, dans cette petite consommation obligée; et cette stratégie de repli de l'individu tient bien lieu de lien social dans cette phase post-totalitaire où le pouvoir ne cherche plus l'adhésion collective à une vision idéologique, mais propose une survie de l'homme-machine de plus en plus exposé au temps partiel, ce temps tout de suite comblé à l'écran du manque à être. Le post-totalitarisme recherche bien en la démobilisation de chacun la perte de tout espoir de changement. Le totalitarisme reposait sur la terreur de masse et/ou l'a-pensée de la secte; le post-totalitarisme des années 70 et 80 vise à la soumission et à la résignation. Mais, nous propose Havel, à la différence des dictatures classiques, la ligne de clivage ne passe plus seulement entre état (ou parti) et société, mais par chaque individu, qui devient à la fois victime et support du système. Victime et support... Victimisation galopante de l'individu en nouvelle règle prégnante du biopolitique, chaque individu-pièce détachée consentante de l'espèce productrice-consommatrice se donnant en contrepartie de ce statut protecteur, lubrifiant à la perfection et régressif, à l'oligarchie-usine délocalisée socialement, et dont il nourrit les profits... Progrès féroce, oui, dans ce post-totalitarisme, adaptation parasitaire sub-parfaite de l'oligarchie du profit à sa proie: le totalitarisme, de par son contrôle brutal des masses, était trop consommateur d'énergie pour le système; le post-totalitarisme repose sur la collaboration docile de la victime hédoniste. Kapos et zône grise, encore une expérimentation d'Auschwitz mise en pratique dans un système « doux » de toujours camp, camp du produire, camp du résignement...

 

 

 

Le système est aujourd'hui bien proche de sa limite cependant, car l'énergie déployée à distraire la masse, et toute la tension sur la bulle d'un plaisir induit et entretenu par le profit individuel (ou tout-au-moins cette parcelle de profit qui nous est tolérée), toute cette énergie ne permet pas une croissance linéaire des profits du système (tout comme, au-dessus d'un certain seuil de développement économique d'une société, une énorme empreinte écologique est associée à tout nouveau petit gain de PIB: au dessus d'un certain niveau de profit pour l'oligarchie, une croissance exponentielle de l'énergie d'emprise du politique sur le corps et la pensée devient nécessaire à la progression ralentie de l'enrichissement). La limite est atteinte et seuls eux n'y croient pas !

 

 

 

Alors, quelle dissidence aujourd'hui ? Non pas la conquête de l'illusoire d' un pouvoir politique qui n'est plus qu'apparence, et asservissement à l'oligarchie du profit, mais bien l'auto-organisation de la société civile, la conquête progressive et non-violente d'un espace public libre, nous dit Havel. Réponse interne, consciente, rusée, au système panoptique qui déploie tous ses moyens pour anesthésier - à la limite toujours de la productivité, limite de plus en plus franchie, non plus seulement au niveau de l'usure des corps des travailleurs pauvres, mais aussi des esprits, ouvrant des champs de plus en plus vaste à la pathologie psychiatrique induite par le travail-à-survivre de l'individu-force-à-enrichir-les-actionnaires - ; Havel nous appelle à la reprise du processus de conquête de la liberté qui fut et doit redevenir le fil politique de l'Europe; l'Europe, cette déclaration d'une possible et nécessaire liberté individuelle, mais sur une base d'égalité. Sur une base d'égalité. Vers des collectivités raisonnablement décroissantes à seuil démographique de fraternité, à seuil géographique d'échanges non marchands dans le secteur primaire: ces dimensions-là rendent impossible la terreur de la masse, comme son anesthésie; la coopérative est anti-corrélative de la secte agnotologique.

 




Ou, exprimé en termes proches – mais encore empruntés d'idéologie de lutte de classes, alors que Havel nous fait comprendre que nous sommes tous sur une ligne de fracture poussée à sa limite - par Attac (Le développement a-t-il un avenir ? Pour une société économe et solidaire, Mille et une nuits, 2004):

 

 

 

La maîtrise par l'homme de son temps, donc de sa vie elle-même, n'est réelle que si son temps libre est du temps gratuit. Le développement et l'accumulation capitalistes n'ont été possibles que par le découpage du temps de vie en tranches, dont une était transformée en quasi-marchandise – le temps de travail – pour produire de véritables marchandises, une autre était transformée en consommation de marchandises, la tranche libre réduite à la portion congrue. L'aliénation du temps de vie, qui est à la base de tout rapport social d'exploitation et de domination, empêche la libre disposition de l'existence que chaque être humain reçoit gratuitement. L'obligation d'aliéner son temps, équivaut à un interdit, dans les têtes et les conscience, de sa libre jouissance. Temps libre et temps gratuit: là se trouve l'enjeu de la réduction du temps de travail car le capitalisme ne peut se permettre de ne plus contrôler une part du temps de vie qui ne serait consacrée ni à travailler, ni à consommer, ni à se reposer du travail, ni à se reposer du travail en consommant. Telle est la raison de l'hostilité farouche de la bourgeoisie devant toute réduction du temps de travail par les salariés: où irions-nous si nous nous mettions à penser ? Or, calculer et fabriquer prennent de moins en moins de temps et penser en prend toujours autant. Mais, réjouissons-nous: penser est gratuit.

 


 

 

Ou, encore, au travers de la dernière livraison de la Revue des Livres (RdL N°3, 2012), le post-totalitarisme peut-il se lire dans les premières expériences initiées par les survivants de ce monde ultra-libéral et pléonexique qui s'effondre ?

 

 

 

La peau, les murs de la maison, et les frontières de tous ces états qui ne sont que concepts, illusoires frontières par delà lesquelles s'abîme autant d'intérieur que d'extérieur; peut-on être malade de son environnement, alors que nous sommes partie prenante de toute pathocénose ? Notre force géologique nous est intrinsèque, et seuls les sociologues réfutent Gaïa. Millénarisme: un monde s'est écroulé, quel taille prendre pour survivre, quel espace de souveraineté maintenant pour le peuple, la nation disparue ? Malthusianisme de la coopérative régionale ? Littérature en seul espace des langues dans une gouvernance domestique mondiale ? Scepticisme hédonique russellien, à chacun son plaisir propre en libre définition ? Les signes de la catastrophe sont là, le renouveau aussi, les justes et les zombies se retirent de la grande Babylone qui s'effondre, et l'humanité ne s'expérimente plus maintenant uniquement par la douleur, cette exposition à la communauté, qui, débordant l'éthique de conviction weberienne, imposa autrefois l'éthique de responsabilité.

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