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12 décembre 2008 5 12 /12 /décembre /2008 17:45
Ce matin, la rue est devenue prison. Sans raison. Parce que l'autorité a dit.



Nouvel habitant du 18è arrondissement à Paris, je regagnais mon « chez moi » après un rendez-vous quelques rues plus loin. Alors que j'empruntais l'avenue de Saint Ouen, j'entends de la musique et des appels au mégaphone. Intrigué, je rentre dans la rue Jodelle, juste sur ma droite. Le mot « rentrer » est important... Par curiosité, je vais voir ce qui se passe: une quinzaine de manifestants du collectif « Mal logés en colère ! » scande ses slogans. Qu'est-ce-qu'ils demandent ? « Un logement pour tous ». Ca relève du bon sens, pourrait-on dire. Je prends le tract que l'on me distribue. Je le lis, tout en restant un peu à l'écart des manifestants. Quand on connaît le prix du logement locatif en France, on comprend bien le problème d'accès à un toit des personnes à faibles revenus. Je pense ça dans ma tête, ne manifeste aucune opinion d'aucune forme que ce soit, et au bout de quelques minutes je décide de rentrer chez moi, à deux rues de là. Mais là...

Des deux côtés du petit groupe, 10, bientôt 20, puis 50 à 60 policiers et CRS, accourus qui en vélo qui en fourgons, sortis de partout en silence, ont fait barrage ! On m'interdit de passer pour rentrer chez moi, parce que « Rien ne prouve que vous n'êtes pas avec eux ! D'ailleurs vous avez pris leur papier, ça prouve que vous êtes sympathisants! C'est une manifestation interdite ». « Rien ne prouve que vous n'êtes pas avec eux »... ces mots résonnent sinistrement dans ma tête et résonneront longtemps... J'ai lu leur papier, je suis suspect... mais où est passée la liberté d'information ? On a envie de crier ou de rire tellement c'est stupide, c'est stupide, prisonnier dans la rue, interdiction de bouger, parce que j'ai pris un tract!!! Abasourdi, hébété, je ne sais même plus si je suis « sympathisant », là n'est pas le problème, on me menace, c'est tout, on me demande de justifier mon itinéraire, on dit m'avoir déjà vu essayer de passer de l'autre côté de la rue, ce qui est faux, mais je doute, je bafouille, je me sens presque coupable de je ne sais quelle collusion avec je ne sais quoi. Je me vois embarqué au poste quand il vont décider de dissoudre la réunion (on ne peut pas parler de manifestation, ils sont 15 du collectif) non autorisée. Présomption de culpabilité. J'ai peur de prendre un coup de matraque, comme ont peur aussi deux ou trois autres coincés là alors qu'ils faisaient une course ou allaient chercher leur voiture.

On nous intimide. On me demande pourquoi je suis là, on se moque de mes réponses (« J'habite à côté, je viens d'arriver dans le quartier, je m'intéresse à ce qui s'y passe »). Yeux-de-fer moqueurs en certitude de leur force. Kafka. On nous pousse « à ne pas être avec eux », à être avec le bon passant qui n'ouvre pas les yeux, qui se contente du plus court trajet de son travail générateur d'euros à son domicile consommateur d'euros. Une pause autorisée au supermarché un jour sur deux. Rien ne prouve que je ne suis pas avec eux, c'est vrai. Alors on m'oblige à attendre là, entre deux haies de flics, prisonnier de la rue Jodelle pour un délit de non-conformisme à la pensée propre. Même pas, j'ai rien dit, j'ai juste pris le tract. C'était trop. J'essaie encore: « J'habite à côté, je veux rentrer chez moi ». « C'est ça, bien sur », me répond un oeil-de-fer, « pourquoi êtes-vous là ? » Kafkaïen. On se ballade, on s'intéresse à ce qui se passe dans la rue, on s'informe, et ces simples gestes de passant vous transforment en suspects aux yeux du nouveau régime... On ne peut plus être passant, il faut un alibi de vie « normale », il faut une raison pour passer, on m'a demandé... mon justificatif de domicile!! pour me laisser circuler librement, au bout d'une longue négociation avec le « chef » des yeux de fer... justifier de vivre...


La rue est devenue prison. C'est une solution pas chère au problème du sureffectif des détenus classiques, peut-être, dans les dossiers bien calculés de notre nouveau régime... Tous détenus, et pas cher! La suspicion de solidarité a été instaurée en délit ce matin. Matin brun et yeux-de-fer. Il n'a pas eu besoin d'avoir lu Kafka pour recréer à la perfection l'ambiance, bravo. Le Sarkordre est réellement une atteinte grave à nos libertés. Pourtant le Grand Suprême est allé à l'école des  avocats, il devrait savoir que ce n'est pas marqué dans la loi de la République, la présomption de culpabilité. République ? Elle était bien triste, ce matin, rue Jodelle, dans le 18è. Selon Wikipedia, Jodelle (1532-1573, poète et dramaturge parisien) se serait réjoui du massacre de la Saint-Barthélemy.
 
panopteric
passant
Paris


Cette lettre a été partiellement publiée dans la revue S!lence link
Lecture complémentaire conseillée aux incrédules:  link
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