notes de lecture, Le vol du Harfang des neiges, R. Poulet 2015, des grottes peintes à la géopoétique. Le postulat de l'ouvrage est dans l'art ou les conditions de réconciliation avec le monde, face au développement de la technique. On est dans l'espace présumé transitionnel de la grotte, au prénéolithique. On serait hors des césures du langage, et hors du confort de non-penser monde du symbolique: pas forcément dans une zone de confort.
L'outil favoriserait la sélection de caractères qui auraient été létaux sans lui, il est une échappée par l'arme à la sélection biologique... Alors, seule la mort maintient le lien direct à l'animalité, à la nature. L'art est protestation contre cette séparation d'Homo qui survient par rapport à la nature dans le règne de l'outil qui s'organicise ; l'art en jeu, en opposition au travail, à la perte du devenir humain. En « gestion » de la mort et de l'amour, aussi, une animalité qui est signe de présence dans l'univers, « force de l'animal qui ne raisonne pas et ne travaille pas » (Bataille), et un dérobement à l'ordre. L'art pariétal serait un utilitaire magique autour de la pratique de la chasse, le chamanisme permettrait le maintien de l'accès aux mondes étagés, à l'intrication des règnes, aux transformations, aux formes spectrales. L'art, le rire, l'érotisme et l'ivresse sont des « brèches vers l'intimité perdue » selon une habile intrication de Georges Bataille et de l'Abbé Breuil !
Car il y aurait une angoisse dans l'accès à la réflexivité, face à la mort, cet irreprésentable - et n'est-ce pas la technique elle-même, plutôt que l'incompréhension et la crainte, qui isole les vivants des morts ? - « Un interdit enveloppe les morts », littéralement... un linceul d'outil. Est alors invoqué l'inaltérable de la forme animale. Quand la destinée personnelle se sent captable par un chaos transcendant, la réflexivité elle-même se renforce face à cette perte du bain animal, mais la création signe la conscience d'un Réel intangible, dans une réponse de l'art, qui « colmate et révèle en même temps». L'art maintien le lien vers une réalité autre que celle que les sens font percevoir, dans la « spiritualité », c'est-à-dire cette activité de l'esprit non dévolue à la technique, dit J. Clottes.
L'auteur fait l'hypothèse d'un processus hallucinatoire négatif dans cet art pariétal. La grotte, refuge du négatif, prolongement du sommeil, régression utérine ; la grotte, réaction de clivage à la souffrance. Où l'on rencontrerait Green et Ferenczi dans un processus primaire de réaction à la souffrance, et non l'océan de dopamine chamanique d'hallucination positive de l'expérience de satisfaction. L'hallucination positive est un "plus que perçu"; l'hallucination négative ouvre au non perçu, l'art serait technique archaïque de l'enstase, fuite dans la matrice, la grotte, en ermite, dans une psychose blanche. Il y a fuite motrice de l'ermite qui soutient son hallucination négative par l'isolement ou l'errance, comme il y a des fuites toxiques du chamane, par investissement latéral de l'hallucination positive. L'abus perceptif peut également nous obliger à l'hallucination négative pour préserver notre continuité: en la grotte, cet espace intermédiaire entre la réalité psychique interne et le monde externe où évolue l'individu, cet espace du jeu créatif, culturel, potentiellement sacré. Un retournement du feuillet sensitif, excitable, vers un intérieur, entre intraperçu et extraperçu, « entre » organe interne et indriya, un intermédiaire qui permet en fait la continuité des perceptions du monde, malgré l'outil qui s'impose, malgré ce post-humain moteur de l'outil qui entrave la perception immédiate ; l'espace intermédiaire offre au Soi une possibilité de développement en continuité dans la Maya des espaces.
L'espace intermédiaire et son hallucination négative sont-il constitutifs, reliquats d'un état antérieur, ou processus de sauvegarde de la continuité psychique et évolutivement secondaires à la mise en place chez Homo de la pensée réflexive ? Comme une sauvegarde dans l'habitat chtonien. Le mythe devient objet transitionnel collectif (Green), sa perte est possible sans deuil, elle surgit même à plusieurs reprises dans le parcours de l'individu, il ne s'agit pas d'une religion, l'art n'est pas rite. L'inquiet ou le scientifique redécouvrent les mythes, vivent les rêves, sondent le négatif, tendant au continu qui étaye.
Invention de l'art, et géopoétique, dit R. Poulet : deux événements pour entrer dans une situation nouvelle, passer à un autre état. Kenneth White fonde ce concept de géopoétique: une epoche, suspension, introspection, protestation d'un ordre. L'epoche, ou la suspension du jugement des phénoménologistes, ou la passe de navigation des psychanalystes. La géopolitique est une textonique de la terre, post-historique, une thixotropie de la réflexivité: elle ouvrirait l'esprit au texte de la terre. Il y eut l'art comme il y a une rivière près des grottes qui sont ornées, puis une histoire, puis la géopoétique, qui ne remonte pas le cours d'une seule fibre refoulée, mais tout un tissu devenu invisible, un revécu d'expériences non déliées. La géopoétique est désanthropisation : « ni le moi, ni le mot, mais le monde » (White). Quelque chose de la théorie Gaïa, dans cette géopoétique !