M.de Certeau, Corps torturés, paroles capturées,
in L. Giard (sous la direction
de), Michel de Certeau, Paris: Cahiers pour un temps, Centre Georges Pompidou, 1987
Devant l'épuisement de cette marche, certains, ne se reconnaissant plus à notre angoisse, nous disent lointains et perdus:
Leurs mécanismes mentaux étaient différents des notres (...). Tous
souffraient d'un trouble continuel qui empoisonnait le sommeil et qui ne porte pas de nom. Le définir "névrose" serait réducteur et ridicule. Il serait plus juste, peut-être, d'y
reconnaître une angoisse atavique, (...) l'angoisse inscrite en chacun de nous du tohu-bohu, de l'univers désert et vide, dont l'esprit de l'homme est absent: ou pas encore né ou
déjà éteint. (…) Comme si des volontaires seuls pouvaient entrer dans ces régions
Primo Levi, Les naufragés et les
rescapés
Le but inaccessible n'est-il pas devenu, dans sa polarité apparente effacée par cette quête, obligé d'effraction continue, et tiraillement sans halte et sans prudence
des sensations, dès lors qu'on s'est engagé vers lui ?
Nous vivons sur une grève,
entre ciel et mer. Nous sommes des êtres protoplasmiques, nos parties charnues sont à l'extérieur (...). A chaque nouvelle blessure on apprend la sensation particulière à la parcelle
de corps concernée. Elle s'éveille.(...) Chaque endroit de son corps où l'on se blesse ajoute un pan de plus à la conscience qu'on a des choses. On devient plus vivant. Et au bout du
compte, une fois qu'on s'est blessé partout, on meurt
A.
Dillard, L'amour des
Maytree
Etre
écrivain, c'est se laisser contaminer par les substances dangeureuses de son époque. La littérature est de l'ordre du réflexe immuniataire de notre système vital (...). Pour ma part,
je participe à toutes sortes de mouvements pathologiques, je connais pratiquement toutes les infections.
Peter Sloterdijk
Le Monde, 21 mai 2010
(une suite antérieure)
La marque singulière du voyage, entre
l’idéalisation de ce qui est resté au loin et l’espoir, même improbable, du retour. Un chagrin d'amour mais collectif, en quelque sorte, pensait-il aujourd'hui à l'approche annoncée
de la séparation, le manque et l'a-pathie s'installant déjà. L'Empire et l'emprise perdus. Un deuil inachevé, aussi. Tu rencontres, là, maintenant, après la cérémonie des délires
partagés, l'abri passager et secret de ta peau de nomade.
La voix "off", et non l'écrit, ouvre une
brèche et provoque un ravissement; et alors les "bruits" l'emportent sur le "message", et le chanté sur
le parlé. Une brisure du sens et du temps suit la venue d'une "chanterie", celle des sauvages, ou celle de la grande forêt, quand le rossignolement de l'oiseau fait la vocation du
chamane; en elle-même la voix crée la faille d'un "oubli" et d'une extase
M. de Certeau, L'écriture de
l'histoire