Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
12 novembre 2008 3 12 /11 /novembre /2008 23:38

 

MAITRÎ




Vedanta


(1) MAITRÎ est le terme sanscrit pour "amitié", "amour d'autrui", équivalent du philia grec, principe cosmologique des stoïciens, qui désigne chez les Anciens tout lien bienveillant envers autrui; MITRA est l'ami. MAITRÎ est lien naturel, support du rapport à autrui, à tous les êtres, à la nature; il se distingue de la philautia, l'amour de soi. MAITRÎ est principe de bienveillance et lien cosmologique. Il est la première des quatre BRAHMA VIHARA, exercices spirituels brahmaniques: cette méditation libère de l'illusion du soi et permet la MAITRÎ SARVABÛTA, l'amitié pour tous les êtres.



Bouddhisme

L'amitié dans le bouddhisme n'est pas une vertu morale, mais une ascèse qui s'astreint à l'extinction des désirs (RAGA): on peut traduire MAITRÎ par non-malévolence (T. Engelhardt, Foundations of Bioethics), non-désir qu'autrui souffre. L'a-passion est en effet une première étape du méditant sur la voie ultime de la non-matière, ÂRÛPYADHÂTU. Ce principe bouddhiste de non-malévolence influe toujours fortement l'Ayurveda, où la nature du malade doit être respectée dans ce principe de non-malévolence (YASAS et le concept bergsono-deleuzien de mort inflammatoire, créative). En effet le bouddhisme supporte une théorie téléologique de l'éthique, mais non-conséquentialiste: la MAITRÎ (disposition à l'amitié, empathie) et la KARUNÂ (compassion ou empathie avec ceux qui souffrent, mais aussi voie d'accès à la connaissance) y tiennent une place centrale; il s'agit avant tout d'une éthique de soi-même dans laquelle "le résultat (social) viendra de surcroît", "effet secondaire" (R.H. Jones, Theravâda Buddhism and Morality); l'acte est plus important que la conséquence; l'intention influe sur le KARMA, l'acte en lui-même se doit d'être neutre, sans anticipation de résultat, mais les "radiations" de l'acte à tout le monde des vivants sont un présupposé cosmogonique. Par l'exercice de la MAITRÎ, le méditant, se libérant de la fiction de sa singularité isolée, élargit progressivement sa capacité d'établir un lien d'amitié aux cercles successifs des êtres, mais "autrui n'en obtient aucun avantage" (L. de La Vallée Poussin, La morale Bouddhique).

 

 

Physique du tao

La Maitrî est le boson de Higgs de la morale;

cette particule, et donc vibration d'une corde, sans qui l'interaction rasique n'aurait pas eu lieu (le boson de Higgs, à l'origine de la masse, a permis l'interaction entre les corps dans l'univers en formation, qui sans lui serait une soupe homogène sans droite et sans gauche, sans gravitation, sans distance mais aussi sans lien)

 

 

Annie Dillard


L'amour au sein du couple participe entre autres de ce principe d'union des vivants, principe restreint dans son champ humain, mais amplifié dans son intensité. (2) L'Inde a une vision végétale et humorale du vivant, la sève de l'arbre est le principe qui ne disparaît pas à la mort. Si l'énorme Annie Dillard, qui sait écrire le sacré surgissant de partout, nous offre L'amour... des Maytree (The Maytrees), on ne se laissera pas dire chez "septième vague" qu'il n'y a là que coïncidence.


Après leur mariage, elle apprit à ressentir leurs deux peaux comme n'en faisant qu'une seule, à double face. Ils marquèrent une pause. Ce qu'ils éprouvaient était trop fort pour qu'ils poussent plus avant dans la fissure menant vers le monde obscur, celui du temps et tout ça. L'univers extérieur avait disparu. Ne restaient, pour eux, en éveil, que les quelques millions de cellules par où chacun était en contact avec l'autre. (...) Elle pensait sérieusement que personne n'avait jamais analysé d'un peu près ce phénomène. Où en était-il question dans la littérature ? quelqu'un avait bien dû un jour écrire queque chose à ce sujet ? Ca avait dû lui échapper. Il était temps de tout relire.


Cette peau qui nous fait forme, quelle barrière est-elle ? Quels passages ? Sommes-nous réellement imperméables ou communiquons nous avec l'eau du bain ? Les organes de nos sens ne sont pas limités, d'ailleurs, à la mouvante enveloppe, mais à la globalité du corps, organe mental inclus. La peau n'est que limite facultative. Dans la nuit noire, Maytree se dirige dans les dunes à l'aide de la peau de ses plantes de pieds. Dans la mort, c'est de l'intérieur qu'il se repère.


Boston ou New-York sont l'image de notre humaine condition sous un aspect: nous sommes tous des étrangers, vivants au milieu de millions d'inconnus (...). Provincetown, au contraire, montre que nous vivons sur une grève, entre ciel et mer. Ici, nous sommes des êtres protoplasmiques, desquamés par le vent sur fond de ciels cristallins. Nos parties charnues sont à l'extérieur (...).


Comment opère cette dispersion, dissolution, entre l'eau de la mer, des nuages, quelle retenue au sable et au livre de la roche ?


L'individuation, au bout du compte, n'était-elle que peine perdue ?


Obscurité de la personnalité qui disparait et en même temps s'éclaire dans la fusion amoureuse. Il y a quelque chose de l'imprévu, qui réveille la personnalité, dans l'amour, imprévu qui remplit le sac, et fusion qui avale le sac de l'autre. Et réciproquement.


L'énigme n'était pas la mort, tout ce qui vit meurt, mais l'amour.


L'amour, une personne sur des milliards. La mort, reste-t-on une personne dans les milliards ? Combien de temps l'amour, sentiment sauvage ? Pourquoi devient-il plus intense entre deux amants séparés ? Alors quel pourcentage de faux dans l'amour ?


A ce retour de l'amour, on pouvait donner trois explications. Peut-être chacun, dans sa vie, cueille-t-il ou fait-il pousser de quoi remplir un énorme sac d'amour, qu'il offre ensuite, en totalité, à un amour, puis à un autre: l'être bien-aimé est, dans ce cas, une sorte de patère où suspendre l'amour comme un chapeau. Ou bien, second hypothèse, l'amour n'est qu'une, rien d'autre qu'une vaste illusion (...).


Ou, troisième hypothèse, apprenant en aimant, d'un amour l'autre, ce qu'était l'amour, on trouve enfin, un jour, l'âme soeur. Il devait y en avoir une quatrième, qui lui avait échappé.



Rues de Paris


La MAITRÎ, c'est sans doute chercher à faire l'amour à la beauté.

Toutes, dans la rue, si belles.

On pourrait dire voyeurisme ? Impuissance ? Non, radiation: la perception pure de la surface du corps d'un genre - peau, cheveux - est différente de celle de l'autre genre. Pour les corps jeunes en tout cas, et non teintés d'artifices. Perception d'un autre sexe ou d'un autre corps, inconnu: peu importe, mais cette perception visuelle de cet autre est spécifique. La femme en altérité fondamentale. Perception neutre des mâles, peaux rêches; agréable des femelles, fines.

Faire l'amour à la beauté, ça n'est pas du sexe, mais ça n'est pas non plus platonique.


 




- M. Biziou, Recommandation et sympathie chez Hume ou le retournement du stoïcisme contre lui-même, revue Lumières, N°1, 1er septembre 2003, pp 105-121

- F. Zimmermann, site philosophindia, http://ehess.philosophindia.fr/inde/

- A. Dillard, L'amour des Maytree, 2008



Partager cet article
Repost0

commentaires

Présentation

  • : septième vague
  • : promenade créative d'un mot l'autre, d'un auteur l'autre, d'une sensation l'autre, en route vers le Réel
  • Contact

Recherche

Liens