Vivre le lieu, entre ravissement et aliénation: mais pourquoi cet "impératif" de la guerre ? Les migrations sont naturelles et ne sont pas la guerre. Qu'est-ce donc que cette machine sanguinaire, cette déportation mécanique et brutale du Moi en institution, en bandes sauvages ? La pulsion migratoire est constitutive, commune, publique; la réaction de guerre est secondaire, élitiste, intéressée, s'éteint une fois un lieu épuisé, arasé, et pour reprendre ailleurs. La guerre participe d'un excès incontrôlé de la pulsion migratoire, en des pseudopodes inutiles et sanglants, en une anaphylaxie au désir premier de faire culture, de faire tissu. Issue de la guerre, la violence des frontières ne cicatrise jamais totalement, l'inflammation suit des fascias fractals, seuls l'amour et le sexe colmatent peu à peu la déchirure, pansent la douleur vers l'autre, qui ne cédera qu'avec le grand métissage en marche de l'humanité, ce retour fondateur, cette abolition de la frontière-peau, cette autorisation totale au voyage, qui ne sera plus ni émigration, ni immigration, et tout individu échappera enfin à cette méfiance-fierté d'un quelconque peuple retranché. Car toutes les membranes, physiques comme spirituelles, sont en continuité, même si ces quelques derniers siècles de nations égotiques, de processus despotiques, ont pu nous le masquer; l'être doit pouvoir migrer demain libéré de tout impératif d'exploitation du lieu d'où il choisira de se penser. Marguerite Duras peut sans aucun doute expliquer plus clairement cela, elle qui a aimé et souffert de ce là-bas toujours adolescent; j'ouvre au hasard le Pléiade de ses oeuvres III et y lit: "son héroïsme c'est moi, sa servilité l'argent de son père", à propos de son amant chinois. La guerre est la dette à la migration des pères; l'amour, le sexe, sont l'enfant qui sera libre et fort, sans plus de lieu-lien.