EBM Jane
Autour de la conférence de A. Fagot-Largeot, salle des actes de la faculté de médecine de Montpellier, 17 février 2011, à propos de la publication de son livre Médecine et Philosophie.
Débat modéré par Pascal Nouvel.
Philosophe libellule ? Soixante-huitarde persistante ? Non, non, rien de tout ça. Alors ? Qu'est-ce qui fait et détache les couches d'apparence de cette philosophe, « médecin secondaire » selon ses propres termes, et aux allures vestimentaires d'une "Calamity Jane" sympathiquement plantée devant nous dans la salle où, l'instant d'avant, une jeune impétrante prêtait le serment d'Hippocrate ?
Exercer la médecine impose un certain style de philosophie, nous pose-t-elle d'emblée: vouloir soigner sous-entend que des gens aillent mal, et donc que le monde ne soit pas parfait, qu'il contienne un mal essentiel1, un mal injuste, qui ne vient pas des hommes2. (Job, frappé de tous les malheurs, engueule Dieu... voir que le mal dans le monde vient de l'homme ne serait qu'une façon de croire au péché originel).Vouloir être médecin impose encore une morale du bien, vouloir aider les autres (AFL n'emploiera pas le mot de compassion3). Et puis, au quotidien, dit-elle, on se rend compte que l'on peut faire du mal si l'on ne dispose pas des connaissances nécessaires, et la médecine nécessite donc également une épistémologie, une philosophie de la connaissance4.
Les biologistes, eux, poursuit AFL, pensent que le monde est merveilleux, tandis que pour les médecins, « il y a beaucoup de chutes, on pourrait faire mieux », "la nature n'est pas toute bonne et on peut l'améliorer", "Dieu a besoin d'aide"5, selon le philosophe anglais ###, et la vocation médicale est de l'aider. Opposition entre biologistes et médecins sur la conception du mal, donc, mais aussi opposition de la philosophie médicale à la philosophie écologiste, la « deep ecology » qui pose qu'il faut suivre la nature qui au fond est bonne...6 Et le médecin en position, dans son jugement, de choisir quand il faut laisser faire la nature, ou quand il doit intervenir pour corriger la nature7, une possibilité de choix à l'opposé encore d'une certaine écologie radicale, qui, suivant I. Illich, considère que le mal est dans la médecine, et qu'il faut laisser agir la nature8...
"Pour le médecin, finalement, la nature n'est pas sacrée9..."
L'éthique médicale, une morale du bien, est celle à laquelle le médecin prête serment. Or, ce « faire le bien » n'est pas dans notre fond de pensée kantien, prégnant en France, qui est plutôt du registre du « quel est mon devoir ? » et non du « quel bien puis-je faire ? ». Notre registre serait de l'intentionnalité10, et non du conséquentialisme aristocélien qui prévaudrait en Grande-Bretagne. La morale médicale actuelle, mise sous influence anglo-saxonne, est donc composite: il s'agit 1) de respecter l'autonomie du sujet moral (principe kantien), 2) de promouvoir le principe de bienfaisance (notion qui englobe plus ou moins implicitement la non-malfaisance, ce « primum non nocere »), et 3) de promouvoir un principe de justice. Autonomie du sujet sous-entend consentement aux soins, et donc annonce du diagnostic, en lieu du paternaliste « je m'occupe de vous »11 (pourtant souvent attendu, espéré, par le patient); bienfaisance (principe aristocélien) implique de faire le plus de bien possible avec le moins d'effets secondaires possibles ; justice implique parfois d'accepter en effet collatéral de « léser » un individu pour préserver des ressources profitables à la santé de la collectivité12... Cette nouvelle éthique « médicale » est bien non seulement composite, mais intrinsèquement conflictuelle. En ce qui concerne par exemple l'espérance de vie, qui a triplé depuis la fin du XVIIIè siècle - où elle était de 26 ans - jusqu'à aujourd'hui, la priorité de santé publique actuelle n'est plus de tendre à l'augmenter encore, ce qui serait « contre-performant » si on n'améliorait pas maintenant la qualité de cette vie allongée13. Se pose alors le problème de cette mesure de la qualité de vie, qui relève de l'impossible selon Bergson, alors que les médecins s'arrogent le droit de définir, par exemple des « taux de handicap »14...
Une épistémologie, une philosophie de la connaissance: l'impulsion à soigner, à faire le bien, qui alla du « tiers-mondisme » des jeunes médecins des années 70 jusqu'au droit d'ingérence humanitaire, ce « zèle à soigner », peut être corrélatif de l'acharnement thérapeutique en fin de vie et de toute une iatrogénicité, qui doit être maîtrisée par une validation de l'usage des moyens thérapeutiques, nécessitant une mise à jour perpétuelle des connaissances15. La nécessité de mise à jour constante des connaissances par le médecin est soulignée par la causalité souvent multifactorielle de la maladie20. De plus, l'urgence ou l'inattendu de certaines situations médicales peuvent tenter le médecin d'aller plus loin, pour soigner, que ce qui est légitimé par la connaissance en vigueur16. Et par extension, « allonger l'ordonnance » pouvait devenir habituel; mais l'Evidence Based Medicine (EBM), issue des essais cliniques et de la "puissance" statistique17, monte maintenant la garde, et permet à tout médecin d' « être conscient de ce qui est prouvé, et de ce qui reste à prouver en thérapeutique »18. Continuons: poser un diagnostic reste préalable à l'adaptation d'un traitement adéquat, et le raisonnement diagnostique relève du « raisonnement inverse » des probabilistes (devant à partir de symptômes aboutir à l'identification d'une maladie, alors que lors de l'enseignement médical, les maladies sont « déroulées »). Le médecin effectue donc son diagnostic par inférence à partir d'un spectre de symptômes plus ou moins spécifiques, et là réside, nous dit AFL, ce qui ne peut – encore, comme dans un « hélas », semble-t-on entendre – être retiré aux praticiens pour tomber dans le domaines des experts et des systèmes du même nom, car la machine est encore insuffisamment performante en la matière...19
Entre l'expert aux connaissances validées en temps réel par la prothèse informatique et le charlatan qui usera d'un seul pouvoir de persuasion sans se référer aucunement aux données validées, restera-t-il demain un champ de liberté au médecin ? Après tout, comme le souligne AFL, « le médecin de collectivité n'est pas très encouragé par les collectivités », et « les gens n'ont pas envie de se prendre en charge eux-mêmes »: la relation médecin-malade n'est pas encore morte, même si elle est parfois souffrante.
Un exposé extrêmement riche et maîtrisé, livré dans une langue simple et agréable; un concept de base aux résonances très fortes et qui fut pour moi quasiment analytique; mais ensuite, beaucoup d'approximations sur la réalité de l'exercice médical actuel, comme sur la frontière entre non-acharnement thérapeutique (inscrit dans la loi comme dans le serment d'Hippocrate) et l'euthanasie active (illégale mais parfois pratiquée)21. Mais « EBM Jane » nous avait d'emblée prévenus: « je n'ai été médecin que secondairement »... Merci à la philosophe ! Mais je retourne lire Canguilhem...
Notes et affects
1. Comme résonnent alors ces « cartes du mal », cartes des maladies, que je m'appliquais, encore-déjà lycéen, à colorier, pays par pays, culpabilisant de souhaiter que la situation ne s'arrange pas trop vite, afin de pouvoir demain exercer mon sauvetage médical de ce monde, nourri de la lecture du Journal du Dr Tom Dooley, cet homme seul s'inspirant jusqu'à la mort de l'action de Schweitzer, celui-la même pour qui les tam-tam chantèrent àl'orée de la forêt vierge « papa pour nous est mort », disait ma légende. Emotion première de cette conférence: car je n'ai vraimentrencontré ce mal que bien longtemps après mon diplôme, soignant des rescapés de situations extrêmes, et je suis seulement alors devenu médecin, après un long détour par la biologie. Et à l'instant même où je pense cela, AFL annonce: « les biologistes, eux, pensent que le monde est merveilleux »... Oui, ce monde merveilleux et de contiguïté totale m'a fasciné, tandis que l'accès au mal m'était alors difficile par défaut d'amour et défaut de langage. Longtemps après, amoureux et enfin admis dans la « communauté de ceux qui sont unis par le sceau de la souffrance », je (re)-devenais médecin. Sans doute y-a-t-il, après « l'appel initial du mal » décrit par AFL dans le parcours du futur médecin, différentes voies pour s'y insensibiliser: le rite initiatique des séances de dissection de cadavres en deuxième année de faculté relève sans doute de la désensibilisation par excès de stimulation, d'une certaine « banalisation du mal » par immersion totale...; puis, stagiaire hospitalier, se focaliser sur l'organe malade face à la prégnance de la plainte, au quotidien du vécu de la maladie dans les services hospitaliers, peut être une voie pour « ne pas porter sur ses épaules tout le mal du monde ». Dès lors, les psychiatres apparaissent le plus souvent à ces jeunes techniciens comme faisant partie d'un autre monde, celui qui a gardé une perception globale de l'individu dans sa souffrance...
2. Comme le fait remarquer un auditeur, les pathologies liées à l'action de l'homme sur son environnement non pas été initialement prises en charge par les médecins mais par des politiques de santé publique (lutte contre le tabagisme), et l'hygiénisme des deux siècles passés est bien la résultante de travaux scientifiques de « non -médecins » (tel L. Pasteur; voir note 13 et la tentative du « premier épidémiologiste », Semmelweis, contre qui s'insurgea le « corps médical ». Epidémiologie et biologie, aujourd'hui, remettent en cause un certain pouvoir individuel du médecin, et des maisons médicales - non pas simples lieu d'exercice classique - mais structurées en réels réseau de travail pourraient permettre un travail « horizontal » ou chacun trouverait sa place. L'expérience des dispensaires anti-tuberculeux (action de Calmette à Lille) ou s'articulaient prise en charge médicale individuelle, prévention collective et support social mériterait d'être revisitée.
3. AFL décrit-elle là une règle absolue ou seulement l'atmosphère des années de ses études médicales, contemporaines des mouvements des « French doctor » ?
4. Troisième volet du viatique médical, qui avait fait recul avec la toute-puissance affichée de la biomédecine, le primum non nocere se réactive actuellement, mais alors qu'il était constitutif du rôle du médecin selon Hippocrate et Galien, il revient par l'extérieur au corps médical déssaisi, par le monde des « experts », normalisation thérapeutique EBM-guidée qui ne nécessiterait bientôt plus de médecin mais une connexion internet. Lorsque j'étais étudiant en médecine, les « protocoles thérapeutiques », ces ancêtres des « références médicales opposables » de l'EBM, n'étaient utilisés que pour les « très grands mals », ceux qui engageaient à coup sûr le pronostic vital, les cancers (un siècle avant ,la tuberculose; un peu plus tard l'infection par le VIH). Il y avait de « petits maux » par contre où l' « imagination » ou l' « habileté » médicale restait de mise, mais face à la mort inscrite le médecin admettait le réseau thérapeutique. Peut-être aussi, dans ces maladies d'invasion par un germe ou des cellules cancéreuses, le débat entre « laisser faire la nature » ou « intervenir pour l'aider » n'était-il plus de mise, car il fallait curer le mal au sens propre, le détourer, le séparer du patient par les nouvelles associations de molécules hautement efficaces et hautement toxiques. Et hautement coûteuses: les tenants économiques de l'EBM, qui vise aussi à éviter des prescriptions inutiles ou trop chères pour la collectivité, ont été saisis en raccourci dans cette phrase d'AFL qui mériterait réflexion: « la sécurité sociale ne fait pas de recherche ». Une réelle politique de santé publique ne devrait-elle pas impliquer en effet cet organisme paritaire actuellement cantonné dans un rôle de percepteur-payeur ? Piste pour une réforme audacieuse !
5. L'homélie de ce prêtre sur ce thème en cette messe de communion; cette immortalité que je sens nous poussant par derrière et à laquelle nous contribuons, créant du réel... tout cela ne serait donc « que » le propre du médecin?
6. Premier bémol, je commence à m'inquiéter de quelque chose qui ne va pas au sein de cette résonance si forte que je viens de ressentir avec la thèse d'AFL: oui, bien sûr, son propos est limité historiquement mais aussi géographiquement, hic and nunc, et ma morale du médecin est ayurvédique, dans une conception ou il n'y a pas d'inter-règnes, et où l'homme est partie prenante, en abyme peut-être du fait de la réflexivité de sa pensée, mais partie prenant dans le réel de cette nature... Et ce débat du mal, premier dans la nature où induit par l'homme, y perd donc toute signification, le mal n'est ni interne ni externe, il est ce qui induit ces limites-cicatrices entre les règnes, entre les vivants, les sujets et les nations... La nature, nous en sommes... le mal ne relève d'aucun originel ni d'aucun pêché sans doute, le mal est bien cette énergie essentielle, « impérative » selon Freud, mais énergie refoulée et contrainte à circuler sur le réseau de limites de la Maya, selon l'expression d' O. Lacombe, limites inter-règnes, limites homme/nature, institutions; ce mal essentiel que l'on impose à la nature par cette relégation est de la même essence que la souffrance quant aux limites du sujet ou que la guerre quant aux frontières des nations: mal, douleur et guerre ne sont que des invariants d'échelle. Autrement dit, la nature est au-delà du bien et du mal, le mal n'est ni interne ni externe à la nature ou à l'homme, il est symptôme de ces limites que la réflexivité de la pensée humaine impose à la nature. Mais « lorsqu'un homme se rend compte que la nature ne le regarde pas comme important et qu'elle sent qu'elle n'estropiera pas l'univers en disposant de lui, son premier voeu est de jeter des briques au temple, et il déteste profondément le fait qu'il n'y a ni briques ni temple » (Stephen Crane, Le bateau ouvert). Alors peut intervenir le médecin, et l'on peut réconcilier médecine et « hypothèse Gaïa », dans une vision moins intégriste sans doute que celle d'Illich...
7. En d'autres termes, et pour l'ayurveda, établir un pronostic.
8. Claude Bernard d'ailleurs, comme le rappelle Pascal Nouvel, ne considérait-il pas la maladie comme un processus physiologique, et donc en biologiste ? Mais la médecine « causale » ouverte par la méthode anatomo-pathologique, puis la méthode expérimentale, est justement l'ancêtre de l'EBM, véritable « dissection curatrice » des organes malades, mais n'intervenant pas sur le mal de l'homme malade...
9. La stratégie anglo-saxonne EBM aurait-elle des connotations créationnistes (« tout va bien dans la création ») ?
10. Et donc de la simple empathie plus que de la compassion active .
11. Mais de ce « vous » qui s'adressait au malade, global, et non pas à ses organes malades, ces pièces détachées que l'on soigne aujourd'hui dans les hôpitaux...
12. AFL introduit à ce stade de son exposé une confusion entre l'éthique médicale des origines hippocratiques d'une part ,et la pression sociétale actuelle d'autre part, qui, dans la perspective biopolitique issue du XXè siècle, monopolise justement l'autonomie du sujet dans un mouvement normalisant. Second bémol également, une allusion aux « migrants qui viennent en France se faire soigner du Sida et n'ont pas versé de cotisations à notre système social », alors que ce phénomène de migrations pour soins est minoritaire dans les flux, qui sont essentiellement économiques... Mais nouvelle résonance personnelle à ce stade: I. Semmelweis avait bien lutté âprement déjà contre le corporatisme médical du XIXè pour tenter d'introduire l'hygiénisme sur des bases scientifiques; et son combat fut peut-être initiatique pour L.-F. Céline qui y consacra sa thèse de médecine, avant de nous dérouler l'omniprésence du mal essentiel (que théorise AFL comme primum movens de la vocation médicale) dans ce Voyage, qu'il y a dix ans seulement je dévorai en quelques jours. Un mal essentiel, mais observable du lit du malade, drame de l'enfant qui meurt malgré les soins dévoués, Céline et une clinique du mal essentiel... Mais pour le Dr Destouches, "il n'y a rien a redire de la nature", et c'est bien, dans la lignée d'un Zola, l'homme, la société, la machine, la ville qui ne font qu'exploiter, blesser, mentir, et "la seule vérité est la mort". L'émotion, approchée au plus près par le style célinien, est la seule apte à circuler dans ce réel de la mort.
13. Vers une approche positive de la longévité et de l'autonomie, une prévention de la dépendance. Y aurait-il également des effets secondaires, en terme de santé publique, de la médecine de prévention ? Et ne risque-t-on pas de rentrer dans un contrat faustien de qualité plutôt que de durée de vie ?
14. Qui devraient effectivement être idéalement évalués par le patient lui-même dans son environnement, ce à quoi tend la loi de 2005 sur la compensation du handicap, dans laquelle un taux d'incapacité n'est plus fixé a priori, mais où l'autonomie et les incapacités du patient à réaliser son « projet de vie » sont évaluées. Vers une échelle analogique de qualité de vie plutôt que de douleur...
15. Une des toutes premières phrases assénée lors de son cours par un « grand patron » de la faculté de médecine - qui cherchait sans doute à partager sa culpabilité avec ses futurs confrères – était « chaque médecin a son petit cimetière ». L'autorisation d'avoir tué, mais certes pas de tuer, était donnée par la faculté, dans la logique du « double effet » de Thomas d'Aquin, cette thérapeutique dépassée par son but, ou dans celle de l'erreur médicale, inévitable... Reste parfois la culpabilité de l'incompétence, celle là seule qui peut et doit être combattue par la mise à jour non pas seulement des connaissances, mais surtout des pratiques.
16. Face à la pression de l'EBM, seule la psychanalyse s'autoriserait encore le droit, et s'obligerait même, à évoluer dans ses pratiques, selon la méthode générique suivie par S. Freud: ici le qualitatif s'impose encore au quantitatif, et le contre-transfert issu de l'entretien privilégié médecin-malade peut encore être théorisé sans statistiques ou essais randomisés. Comment la pratique médicale quotidienne pourrait-elle encore, en pratique de ville c'est-à-dire dans ce fondamental de la « première ligne », se nourrir de l'expérience clinique ? Au sein de ces « maisons médicales » présentées comme une panacée, par potentialisation de moyens humains complémentaires ? L'adjectif « libéral » accolé à la médecine de ville n'a pas qu'une connotation économique mais concerne aussi l'autonomie intellectuelle de la profession. Si très peu de jeunes médecins aujourd'hui s' « installent », choisissant les remplacements prolongés ou l'exercice salarié, ce n'est pas - seulement – pour échapper au horaires de travail intensifs de leurs « pères », mais c'est aussi pour, dans un exercice plus collectif certes de la profession, se garantir cette marge de réflexion face à chaque cas. « Exposer » de plus en plus le médecin à la seule EBM serait favoriser l'émergence, d'un côté, d'ingénieurs de santé appliquant des protocoles issus de leur propre activité de « R&D » dans l'industrie pharmaceutique, et de l'autre de « résistants » de la médecine holistique qui seraient assimilés aux charlatans par l'institution. Car la médecine est un art avant que d'être une science, et par là elle « opère par percepts et affects » (G. Deleuze et F. Guattari, Qu'est-ce que la philosophie ?): celui qui se dirige vers la carrière médicale procède bien initialement le plus souvent de cet affect comme le propose AFL, avant que de subir une « réduction » parfois technique (vers la médecine des organes et non plus celle du malade), parfois économique (vers les sirènes du gain). Il faut sauver le soldat holistique.
17. AFL ne dit pas un mot de l'erreur statistiquement admise. Même validée par l'EBM, une thérapeutique reste « autorisée » à ne pas guérir 5% des patients... Le risque est partie intégrante de la pratique médicale, y compris dans cet aspect scientifique.
18. Dans la salle, un jeune médecin récemment installé en secteur libéral nous dira: « la stratégie EBM s'applique à une population mais pas à l'individu qui est en face de moi »... La thérapeutique également est un art, et sa modulation à chaque patient est indispensable, dans le respect évidemment des indications et contre-indications, et en en surveillant les effets secondaires, attendus ou non.
19. Ce « raisonnement inverse » est précisément celui qui s'apprend au lit du malade lors de l'enseignement médical qui n'est pas que théorique... Résistance de la clinique...
20. Incertitude sur le facteur causal, probabilité du diagnostic, difficulté de pondération des effets bénéfiques et des effets secondaires des thérapeutiques, le panorama de l'art médical est brossé dans sa complexité et ses insuffisances... Les experts de l'EBM confisquant au médecin l'aspect thérapeutique permettront-ils de pallier une part de ces insuffisances ? Et ne plus pouvoir soigner « librement » n'est-il pas justement un des facteurs de désaffection pour la carrière médicale, sous-tendue justement par la volonté individuelle de lutte contre le mal ?
21. « Pourquoi pas ? » nous dit AFL quand on évoque les « nounous prénatales » (mères porteuses) ou l'autorisation au cas-par-cas de pratiquer l'euthanasie active. Elle considère toutefois que ces décisions limites ne doivent pas relever pas de la loi, mais d'une décision au niveau des structures concernées. Auxiliaires de grossesse, aidants familiaux, auxiliaires de vie des personnes dépendantes, aidants sexuels, vers des auxiliaires de mort... On est bien dans cette démarche « positiviste » de compensation mais aussi de normalisation. L' homme sans ( cf. le livre de M. Crowley, éditions Lignes, 2009) a pourtant bien une demande, un message, et qui ne trouve pas réponse dans cette stratégie qui veut masquer, justement, le mal essentiel.