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19 février 2012 7 19 /02 /février /2012 15:37

P1050164.jpgkali © anda peleka

 

 

L'Apocalypse a été tournée en live, me dit-il lors de notre dernière rencontre; ce n'est pas une substitution, l'horreur est là, le fleuve qui monte est là, seules les barques perdues le remontent, et seuls les perdus le domptent. C'est comme si l'eau retournait à la jungle, atteignait à Das Ding, seule, fantasque mais pure, vers la grotte, sous emprise, hurlant la limite, nourrie de la douleur des chairs instables depuis le premier jour, sans gloire, plus d'air ici, seules l'eau et la terre. Unique de la vague qui monte et surmonte la halte des mots, la brûlure des peaux, les enfants dépecés de Maldoror  hurlent-courent en avant même de leur cri, porté par le fleuve qui tue, charriés comme la chair des nuits. Enfin, la douleur entière fut piégée juste dans la pause entre les mots qui touchent et qui voient:

l'horreur, l'horreur...

 

 

 

 

 Gratuité, absurdité, opiums, tout ce trajet se revit, mais lui est déjà de l'autre côté, sans plus aucune haine maintenant; le dernier chef d'ici a été offert au Gange, et il n'y a pas de mots pour dire ce « ça ou la mort », ce sans affect, cet au-delà même de la folie privée. J'étais arrivé à ce bout de la rivière que lui, enfant, avait descendue en un vrai paradis; il est ici et maintenant dans l'horreur, dans une liberté réelle... Il est un et  seul dans cette impasse du mal, dans ce sans affect  qui irradie bien l'a-pensée à toute une secte, mais le mal lui n'est pas contagieux.  Il cherche un meurtrier-témoin, nous sommes les hommes creux, il est un homme brisé, délié entre amour et haine, il est dans la déchirure même. Au tout près de ce cloisonnement, plus question de fusions amoureuses, de création du troisième, la féminité est toute en  tête de mort. Mais ici pourtant quelque chose fait centre, un drame se publie, nous sommes en présent, mais l'origine, cette vie de l'instinct, est morte; le spectre rappelle que les noms ont disparu.

 

 

 

 

Dans le trauma l'horreur et la morale ne peuvent être qu'alliées ou ennemies, nous n'avons pas le choix de la zone grise, nous  tuons sans jugement, d'ailleurs ici aucun mot pour juger n'est possible. Les colons sont de trop: immobiles, ventrus, hors du delta, ils ne sont pas le fleuve. Le seul possible est de l'arracher à sa douleur, au risque de la vénération, mais tous posent les armes, dès le centre épidémique abattu de sang froid.

De sang froid. De sang froid...

 

 

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8 juillet 2011 5 08 /07 /juillet /2011 22:03

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Puisqu'ex-ister c'est être instable (marcher, donc),

la mélancolie, cet impossible deuil de soi,

est bien l'impossible départ du fils au désir du père

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25 juin 2011 6 25 /06 /juin /2011 19:11

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Notes de voyages autour de:

Bruce Bégout
Le ParK

Allia, 2010 

 

 

 

 

 Peut-être le déjà-vieux: car ce papier tient de de Certeau, en s'en défendant, mais le moins possible. Un parfum d'usurpation chez Bégout2, donc, en première approche, mais une totale fiction était étrangère au maître de l'entre-deux. Le Park n'est par ailleurs qu'une relecture biopolitique foucaldienne de Malaise dans la culture, mais on ne s'y ennuie pas, oh non, pas du tout, merci !

 

 

 



I. le poète, II. Le pervers (une expression fidèle de ce qu'il a vu4)


Pourrait être le tome II, reliure plein cuir, de Végétal5, pensai-je en premier abord. J'y reviendrai. Je m'égarerai, mais l'auteur m'avait bien rejoint, l'architecte souffre d'un arbre pacifique qu'il n'a plus qu'en lui, et avant de mourir au petit délire de la famille et à l'immobile du social, cette maladie est bien la source, et le débat de ce petit livre devient: où est le sens de circulation du mal dans ces racines internes, bien physiologiques ? Car sur plus de trois mètres de haut se dressait maintenant l'ectoplasme translucide de la tumeur cérébrale: elle se propageait de ville en extrême, jusqu'à ce que l'on sache cet interne de l'architecte, seules les racines du chamane comme celles du jardinier, n'ayez pas peur l'un de l'autre, seules ces racines voyagent de strates en strates22, elles sont  bien cette pensée à développer, cette supra-conscience qui perce-joint le comportement, la pensée,l' affect,le  noir de source: la douleur végétale6 en est le centre7.

 

 

 


Le bordel du monde est dans le terrain vague rescapé entre une cité et un échangeur autoroutier, il renferme toutes les instructions pour survivre à nous-mêmes8, il est ce parc d'attraction et de répulsion9, fréquenté par ceux qui ne peuvent se dire, vrai voyage, les unes en spectacle de leurs seins éclatants, les autres malsains de leur curiosité post-placentaire10. Elles sont belles de leur anatomie délirante,  eux de leur interrogations de puis-nés, et la mère recherchant le risque zéro de sa chair-progéniture, l'offrant en pâture,  et la colonie l'écorchant et la brûlant au toujours plus sensible. Si tous savaient, si tous osaient gagner et vivre cette banlieue sanglante, éclaterait l'émeute de bonté; mais à l'heure les seuls résidents en sont « musulmans », prostrés près d'un mur dans un brouillard d'odeur de cigarettes et de poissons morts, ils se tiennent à l'écart, comme absents au monde et à son agitation fringante, leurs regards trahissent un abandon total à la nécessité, tous les esprits en souffrance viennent ici vérifier l'analogie entre leurs noirceurs internes et les architectures délirantes. CQFD. Hôtesses sexy et déportés vont bras dessus bras dessous dans le ParK: ici, le multicolore de la cathédrale interne n'est plus cantonné au déambulatoire, l'espace sacré explose, flip-flop des murs, le squelette de pierre gagne une nouvelle périphérie, le post-humain meurt dans ce nouvel oeuf, des néons déjà sont fixés à l'extérieur de la coquille nouvelle pour la stabiliser à ce dehors qui n'est plus.

 

 


Il n'y a plus maintenant aucune pause entre les phrases, ni même entre les termes, et c'est cela même qui peut avoir l'air indécent. Accusation, encore, de chaos mal compris, étudiez le chaos s'il vous plait, avant de rire, avant de passer ! Tout coexiste avec tout et nous envahit. Mais quelques rationnels encore tentent une hauteur nouvelle pour observer, représenter, de leurs nouveaux et illusoires faubourgs, car ils ont déserté et interdit tout centre-monde. D'en bas, encore complice, la masse guette l'inscription qui annonce, l'état dans lequel ils se complaisent déjà, qui les masque à leur chair, qui écarte du présent les catastrophes passées et à venir. Ceux-là choisissent la non route, les seuls départs en marées synchrones des sirènes d'écoles, d'usine et de crematorium; ceux-là fuient toute re-création, ceux-là fuient toute nouvelle image qui n'aurait pas déjà été enregistrée au stock. Ceux là préfèrent se briser pour s'articuler au rythme du déjà, prisonniers de l'injonction.

 

 

 

Entrer à jamais dans la ville, parce que la partie sauvage que l'on vient de quitter n'est pas toujours forcément rassurante ? L'attrait des flashes du trauma, qu'il faudrait de temps à autre réactiver, revivifier ? Pleurer sa grand-mère plus de trois jours, et puis se rabattre sur des fringues de marque, mais qui auraient des défauts  ? Car entre marginaux, le cadeau doit être nickel, c'est le fondement du code de la faille. Et une fois libéré, aucun panneau n'indique la moindre direction, c'est le véritable labyrinthe du Même11, parfois l'on rencontre un autel précaire, bâtonnets d'encens et grains de riz multicolores, parfois on s'éclipse en Inde, et, toujours en descendant, alors le ciel nous accompagne12, et les bâtiments se syntonisent en fonction de nos émotions et non plus d'un pauvre programme: syntonisation au noir de source, et non à l'externe: car la matrice est toujours aléatoire, seule Das Ding n'est pas random.

 

   

 

Le bâtiment se modifiait en fonction de ses propres émotions1,  et tout ceci dit écoutant la musique qui élargit et le vin qui y porte, qui y porte nos désirs et déstratifie nos phobies: l'espace ainsi gagné donne sur une espèce de balcon géant encombré de broussailles, ce balcon du rêve qui surplombe tout, mais d'où l 'on entend encore - assourdis mais asservis à l'escalier que l'on pourrait emprunter si quelque chose d'inattendu devait survenir – d'où l'on est encore uni à tous les sens de la maison où s'ébrouent sans nous, mais nous toujours proche, toutes les générations. Nous sommes aussi dans le rêve central, et les  conspirateurs de ce livre, de ce ParK: nous contemplons en nouveau maître ce lieu que nous ne voulons pas tel quel mais qui nous livre les cris du tout du lieu. Nous sommes à l'orée, la nature en élément essentiel du système claustrophilique. Nous vérifions notre existence, puis nous n'avons pas le choix, nous devons quitter ce balcon, nous lever très tôt pour le train que nous sommes interdits de rater, et qui nous attendra même si nous nous y refusons; il faut suivre le chemin qui appelle13
 

 

On fait le pari du déclin des masses au profit de la naissance de nouveaux groupes sociaux plus petits: la situation insulaire serait absolument nécessaire. Loin du tourisme light, la folie est l'unique voie de délivrance.

 

 

 

Facteur E: le ParK est une économico-hypnose empathico-dirigée. Et nous n'en sommes encore qu'aux balbutiements. Architecture biopolitique, divertissement panoptique. Agir par le biais de constructions sur les réseaux neuronaux. Rendre le chaos déterministe. Agir sur le noyau, syntoniser Das Ding,  les autres systèmes se vassaliseront de surcroit; ne plus se restreindre à un chatouillis romantique de la sensibilité, ne plus se contenter d'imposer à la douleur, car nous sommes bien au XXIè siècle, imposer le ParK ou la mort: l'eugénisme épigénétique. Lamarckisme cognitiviste. Ville-homuncule. Rome par les jeux de l'oligocirque. Continuité des cytomembranes, mais emprise thalamique. Post-bidonville. L'architecture quitte sa tranchée de terre et de roches granuleuses, et rejoint l'eau. L'architecture, santé mentale que l'on te souhaite en haut lieu, lecteur dernier14. Post-thermalisme. Auschwitz s'efface, cette flânerie métaphysique, les cellules souches maintenant s'implantent, le situationnisme est ringard, la ville est cyborg mental, la tranquillité soporifique lecorbusienne elle-même est has been, l'architecture s'érige en redoublement de la séparation entre dedans et dehors, et le citadin ne cherchera plus jamais, maintenant, à savoir15, Homo limes est leurreux en son Autoville, création de la Thalamique qui a adoré le Guru, et sans doute Homo limes ne souffre-t-il même plus, et sans doute est-il donc totalement brownien: libre16 (la Thalamique, bien que perverse17, ne manquait pourtant pas de compassion, mais Homo limes ne se voit même plus en survivant).

 

 

 

Les éléments restants recristalliseraient in situ, déjà les horizons profonds de profil d'altération recouvrent 33 % des continents18. Totalement détourées, nos noix de noir interne perdent toute répulsivité et s'auto-polymérisent. Cette exhibition simple du mal est-elle passage à l'acte ? Ou bien est-elle cet immobile entre folie et perversité19 ?

 

 

 

 

 

 

 

Le parc est devenu camp (…)

Il a élevé son niveau tout en restant cette enceinte spéciale  à laquelle,

depuis toujours, l'humanité20 confie son sort.

 

 

 


 

 

 

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2. B. Bégout, La découverte du quotidien (!), et voir article Esprit

4. Husserl; Bergson et notre réel-image

5. Ce livre sur le seul arbre, celui que l'on cherche partout, les pieds en bas, qui effraie jusqu'au bout de son étrange, et qui finalement, élégamment, s'implante en nous, en notre moelle interne, oligodendrogliome, on accusera les téléphones embarqués à bord, ils n'ont rien à voir, il fallait bien que le rasa se fraie un réseau dans le non-tissu que nous devenions, merci.

6. cf. douleur animale / végétale / minérale

7. Et à l'extrême de la périphérie, notre nom, qui est bien cette terrible corvée de signifier.

8. Instructions pour sauver le monde

9. Désir d'exil et sables mouvants: Choir, de Chevillard.

10. Lien vers billet HHhH

11. cf. Paul dans Voyage

12. Le Mont Analogue

13. Car on est dépendant du voyage lorsque, incapable par la seule pensée de passer de mémoire en mémoire, incapable de retrouver les odeurs de nos états antérieurs, on les recherche compulsivement, ou de réveil en réveil, de par le monde. Puis au jour de la dépendance corporelle, traumatique ou par la dent de ce temps à qui jusque là on s'est déclaré consentant, au jour de la dépendance du corps, ce jour qui s'impose parfois, inaugural, soit l'on touche à l'image par la contenance enfin acquise et acceptée - toucher à toute l'image et à toutes les couches de l'image - , soit l'on s'absente pour reprendre la route.

14. Mais je te prescris la route.

15. cf. libération de Paul dans Voyage

16. Seuls quelques uns peut-être, ayant dérivé vers l'Est, attirés par le gouffre mystique de la dissolution dans l'air chaud et humide, resteraient quelque peu liés...

17. Folie comme perversion ne seraient-elles toutes deux que refus de la zone grise ???

18. Latérite, a-latéralité, attracteurs étranges.

19. Quelque chose comme la non sortie, l'acceptation du trauma per se. La fin de toute tentative de traversée du traumatisme: ni naufragé, ni rescapé.

20. Et le vivant plus globalement, de la cellule au camp. L'instigateur du camp n'est que l'inorganique confronté à l'entropie, et préserver le vivant par des membranes est inutile sans doute si à l'intérieur le noyau profond ne s'y exprime pas... (le mal, alors, est intrinsèque à la nature mais ne s'y exprime que dès lors que des limites, des frontières, sont érigées). Protéger, isoler, divertir, domestiquer, exterminer; la limite est survie mais la limite est corrélative de l'a-pensée de la masse...

1. D'autres architectes passèrent leut vie à bâtir de pierre leur intuition géniale mais pourtant conservatrice (Gaudi exprime la nature à la Sacrada Familia); lui syntonise la ville à l'évolution de ses émpotions.
21. cf. mon interrogation in  notes de "linguistique sanscrite" 

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7 mai 2011 6 07 /05 /mai /2011 00:52


29 avril 2011

acrysang.jpgUne guêpe toute abimée, arrachée de son voyage, cherche par sauts, par bonds mais sans plus de vols bientôt, à ne pas mourir dans ce train. Passe bientôt une étonnante escrimière de Nîmes, obèse, violette, baskets assorties, flétrie, myope, fripée, édentée, claudicante, onomatopesque, bossue, brinqueballante, callipyge, mais grand-mère active. Par les plus petites gares,  le moi sans concession, résistant et déporté en même temps. Et l'orage encore, mais toujours loin, et toujours au-dessus de cette force présence, masse verte du relief, de tous les massifs de pierres, et c'est bien le réel qui projette tout contre elle son noir... le mal: ne serait-il donc que l'organique dans la nature1 ? Et sommes-nous tous donc bien alors des criminels nés ?  

 


 

 

Plaisir ambigu, donc, du récit de violence. Une perversion, passive ou recherchée, au spectacle ou à l'écoute de la douleur de l'autre ? La faculté nous dit que théoriser cette violence, une fois recueillie, est de nature à déculpabiliser le témoin, ou le thérapeute (Nietzsche, lui, n'était pas tendre avec les piliers de bibliothèque). Mais ne s'agit-il pas, plutôt que d'une observation de la souffrance, de cette nécessité organique de nourrir, toujours, ce noyau étrange et douloureux d'altérité, de non-moi, voire de vide, qui est centre de gravité de notre être en mouvement, qui est ce moteur du désir d'exil, et qui n'est pas qu'appel au voyage ? Seul le mal d'autrui, alors, est bien externe, et pas notre douleur, n'en déplaise, cette fois, à la faculté... Quelle est la nature ou la fonction de ces « éblouissements » des choses atroces ? Dire le mal, écouter le mal, n'est certes pas forcément l'instrumenter; exprimer le mal releva même d'une émancipation moderne, d'un échappement aux monothéismes et à leurs enfantements généalogiques douloureux; mais banaliser le mal fit le lit des fascismes... Le refus des institutions ou des programmes va bien d'un côté vers plus de vie, si l'on suit Canguilhem et les autres néo-bergsoniens, mais aussi parfois, paradoxalement, vers plus de mort, si la masse prend en clone et fait table rase à l'hyper-norme du biopolitique... Ainsi, des "théoriciens existentialistes, structuralistes ou sémiologues" du XXè siècle ont-ils banalisé Sade, critiqués à leur tour par d'autres intellectuels - de la mouvance anti-psychiatrique par exemple -, quand le « divin marquis », cet « émancipateur » des surréalistes, devint le chantre de Thanatos et par là du « capitalisme schizophrénique », celui du toujours plus de jouissance, outil de liberté peut-être, mais moteur du modèle consumériste dominant...


 

 

La ré-écriture du meurtre, elle, dans la création d'une vérité pénale, tient refoulés les nombreux fragments vifs et crus du crime... Ces pures hypothèses criminelles3 nous permettent cependant à leur tour, par leurs failles, d'en tirer à chaque fois une autre histoire, de fabriquer à partir de leur matrice  un nombre infini de récits vraisemblables, dans une imbrication d'espaces et/ou de temps dignes d'une  structure en Mille-et-une nuits, autant de répétitions-modifications progressives des indices voyageurs du récit en construction réitérée, et outils du récit fantastique: ces ré-écritures fantasmées, que chacun de nous peut produire à point de départ du fait criminel, judiciaire ou médiatique, sont sans doute les moteurs de cette jouissance ressentie au contact du crime. « Je te tuerai/je te raconte; je te tuerai/je te raconte; etc... » se répondent infiniment le Calife et Shéhérazade, par comblements itératifs de l'espace-mort par le langage, jointures toujours imparfaites, et ces mots introduisant eux-même de nouvelles coupes... Chaque nuit, l'entrée sur scène de nouveaux condamnés potentiels et de nouveaux bourreaux proclamés nous épargne la mort, produire ce nouveau récit de violence est indispensable à chacun de nous pour sauver sa tête face à la violence déjà entendue, face au corps déjà découpé... Le récit remodelé, métabolisé, mais à nouveau incomplet met le meurtre, toujours en puissance, au second plan de la scène, et ce récit qui avance l'être - de découpe en découpe - est celui-là même qui nous ex-iste. Comme une mise à disposition du corps à ces surgissements du langage. Et ces théorisations, ces récits nous permettent d'espérer qu'un jour peut-être la violence (celle qui nous environne en tout cas, et le mal qui nous chaperonne) sera remplacée par de vraies fictions qui évolueront sans plus de vraies victimes5... une douleur post-humaine...6

 

Que se passe-t-il dans une parfaite chambre de malade ? De quoi cette gratuité du mal se réclame-t-elle ?2 Une respiration, un souffle, au-delà de celui des organes et de leurs prothèses d'un jour. Si l'on meurt, ce souffle survivra à la traversée du fleuve, ensemencera l'autre rive, confortera la pensée.

 

 

 

 

Dieu est absent des  champs de bataille (…).
Je trouvais cela stupide d'aller s'occuper des morts des autres
 comme si l'on n'avait pas assez de tintouin avec les siens propres.
Personne n'allait venir jusqu'ici puisque personne n'était venu ramasser les morts.
 Ils étaient oubliés. Nous oubliions la guerre (…)
Moi, j'écris ce livre.

Blaise Cendrars4

 

 

 

 

 

 

1. Le médecin moderne, d'ailleurs, instruit du cadavre, ne connaît de la nature que l'organique et sa contingence; le biologiste lui déjà doit s'attacher de plus près au contrepoint du vivant, d'où, sans doute, son optimisme constitutif; le médecin post-moderne, celui du toujours plus de corps, croisera avec l'a-biochimie et l'a-biophysique. Le médecin holiste à venir devra revenir au géographe, au géologue. L'archéologie, de la culture sous l'humus, des os dans l'argile, est une clinique.

2. Y. Haenel, Le Sens du calme, Mercure de France

3. F. von Schirach, Crimes, Gallimard

4. B. Cendrars, La main coupée, Denoël, 1946

5. Les jeux virtuels sont-ils alors la pire et la meilleure des choses ? Mais le "drone", engin de mort piloté comme une play-station, n'en est-il pas le corollaire "spectréel"?

6. Et à l'inverse (?) demande une malade présentant de nombreuses somatisations: " quand je serai morte, est-ce que j'aurai encore mal ? Si oui, quelle foutaise !"...

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21 février 2011 1 21 /02 /février /2011 10:45


EBM Jane


Autour de la conférence de A. Fagot-Largeot, salle des actes de la faculté de médecine de Montpellier, 17 février 2011, à propos de la publication de son livre Médecine et Philosophie.

Débat modéré par Pascal Nouvel.

 

 

amourgardien

 

 

Philosophe libellule ? Soixante-huitarde persistante ? Non, non, rien de tout ça. Alors ? Qu'est-ce qui fait et détache les couches d'apparence de cette philosophe, « médecin secondaire » selon ses propres termes, et aux allures vestimentaires d'une "Calamity Jane" sympathiquement plantée devant nous dans la salle où, l'instant d'avant, une jeune impétrante prêtait le serment d'Hippocrate ?

 

 


Exercer la médecine impose un certain style de philosophie, nous pose-t-elle d'emblée: vouloir soigner sous-entend que des gens aillent mal, et donc que le monde ne soit pas parfait, qu'il contienne un mal essentiel1, un mal injuste, qui ne vient pas des hommes2. (Job, frappé de tous les malheurs, engueule Dieu... voir que le mal dans le monde vient de l'homme ne serait qu'une façon de croire au péché originel).Vouloir être médecin impose encore une morale du bien, vouloir aider les autres (AFL n'emploiera pas le mot de compassion3). Et puis, au quotidien, dit-elle, on se rend compte que l'on peut faire du mal si l'on ne dispose pas des connaissances nécessaires, et la médecine nécessite donc également une épistémologie, une philosophie de la connaissance4.

 

 

Les biologistes, eux, poursuit AFL, pensent que le monde est merveilleux, tandis que pour les médecins, « il y a beaucoup de chutes, on pourrait faire mieux », "la nature n'est pas toute bonne et on peut l'améliorer", "Dieu a besoin d'aide"5, selon le philosophe anglais ###, et la vocation médicale est de l'aider. Opposition entre biologistes et médecins sur la conception du mal, donc, mais aussi opposition de la philosophie médicale à la philosophie écologiste, la « deep ecology » qui pose qu'il faut suivre la nature qui au fond est bonne...6 Et le médecin en position, dans son jugement, de choisir quand il faut laisser faire la nature, ou quand il doit intervenir pour corriger la nature7, une possibilité de choix à l'opposé encore d'une certaine écologie radicale, qui, suivant I. Illich, considère que le mal est dans la médecine, et qu'il faut laisser agir la nature8...

 


"Pour le médecin, finalement, la nature n'est pas sacrée9..."

 

 


L'éthique médicale, une morale du bien, est celle à laquelle le médecin prête serment. Or, ce « faire le bien » n'est pas dans notre fond de pensée kantien, prégnant en France, qui est plutôt du registre du « quel est mon devoir ? » et non du « quel bien puis-je faire ? ». Notre registre serait de l'intentionnalité10, et non du conséquentialisme aristocélien qui prévaudrait en Grande-Bretagne. La morale médicale actuelle, mise sous influence anglo-saxonne, est donc composite: il s'agit 1) de respecter l'autonomie du sujet moral (principe kantien), 2) de promouvoir le principe de bienfaisance (notion qui englobe plus ou moins implicitement la non-malfaisance, ce « primum non nocere »), et 3) de promouvoir un principe de justice. Autonomie du sujet sous-entend consentement aux soins, et donc annonce du diagnostic, en lieu du paternaliste « je m'occupe de vous »11 (pourtant souvent attendu, espéré, par le patient); bienfaisance (principe aristocélien) implique de faire le plus de bien possible avec le moins d'effets secondaires possibles ; justice implique parfois d'accepter en effet collatéral de « léser » un individu pour préserver des ressources profitables à  la santé de la collectivité12... Cette nouvelle éthique « médicale » est bien non seulement composite, mais intrinsèquement conflictuelle. En ce qui concerne par exemple l'espérance de vie, qui a triplé depuis la fin du XVIIIè siècle - où elle était de 26 ans - jusqu'à aujourd'hui, la priorité de santé publique actuelle  n'est plus de tendre à l'augmenter encore, ce qui serait « contre-performant » si on n'améliorait pas maintenant la qualité de cette vie allongée13. Se pose alors le problème de cette mesure de la qualité de vie, qui relève de l'impossible selon Bergson, alors que les médecins s'arrogent le droit de définir, par exemple des « taux de handicap »14...

 

 


Une épistémologie, une philosophie de la connaissance: l'impulsion à soigner, à faire le bien, qui alla  du « tiers-mondisme » des jeunes médecins des années 70 jusqu'au droit d'ingérence humanitaire, ce « zèle à soigner », peut être corrélatif de l'acharnement thérapeutique en fin de vie et de toute une iatrogénicité, qui doit être maîtrisée par une  validation de l'usage des moyens thérapeutiques, nécessitant une mise à jour perpétuelle des connaissances15. La nécessité de mise à jour constante des connaissances par le médecin est soulignée par  la causalité souvent multifactorielle de la maladie20. De plus, l'urgence ou l'inattendu de certaines situations médicales peuvent tenter le médecin d'aller plus loin, pour soigner, que ce qui est légitimé par la connaissance en vigueur16. Et par extension, « allonger l'ordonnance » pouvait devenir habituel; mais l'Evidence Based Medicine (EBM), issue des essais cliniques et de la "puissance" statistique17, monte maintenant la garde, et permet à tout médecin d' « être conscient de ce qui est prouvé, et de ce qui reste à prouver en thérapeutique »18. Continuons: poser un diagnostic reste préalable à l'adaptation d'un traitement adéquat, et le raisonnement diagnostique relève du « raisonnement inverse » des probabilistes (devant à partir de symptômes aboutir à l'identification d'une maladie, alors que lors de l'enseignement médical, les maladies sont « déroulées »). Le médecin effectue  donc son diagnostic par inférence à partir d'un spectre de symptômes plus ou moins spécifiques, et là réside, nous dit AFL, ce qui ne peut – encore, comme dans un « hélas », semble-t-on entendre – être retiré aux praticiens pour tomber dans le domaines des experts et des systèmes du même nom, car la machine est encore insuffisamment performante en la matière...19

 

 

 

Entre l'expert aux connaissances validées en temps réel par la prothèse informatique et le charlatan qui usera d'un seul pouvoir de persuasion sans se référer aucunement aux données validées, restera-t-il demain un champ de liberté au médecin ? Après tout, comme le souligne AFL, « le médecin de collectivité n'est pas très encouragé par les collectivités », et « les gens n'ont pas envie de se prendre en charge eux-mêmes »: la relation médecin-malade n'est pas encore morte, même si elle est parfois souffrante.

 

 

 



Un exposé extrêmement riche et maîtrisé, livré dans une langue simple et agréable; un concept de base aux résonances très fortes et qui fut pour moi quasiment analytique; mais ensuite, beaucoup d'approximations sur la réalité de l'exercice médical actuel, comme sur la frontière entre non-acharnement thérapeutique (inscrit dans la loi comme dans le serment d'Hippocrate) et l'euthanasie active (illégale mais parfois pratiquée)21. Mais « EBM Jane » nous avait d'emblée prévenus: « je n'ai été médecin que secondairement »... Merci à la philosophe ! Mais je retourne lire Canguilhem...

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Notes et affects

1. Comme résonnent alors ces « cartes du mal », cartes des maladies, que je m'appliquais, encore-déjà lycéen, à colorier, pays par pays, culpabilisant de souhaiter que la situation ne s'arrange pas trop vite, afin de pouvoir demain exercer mon sauvetage médical de ce monde, nourri de la lecture du Journal du Dr Tom Dooley, cet homme seul s'inspirant jusqu'à la mort de l'action de Schweitzer, celui-la même pour qui les tam-tam chantèrent àl'orée de la forêt vierge « papa pour nous est mort », disait ma légende. Emotion première de cette conférence: car je n'ai vraimentrencontré ce mal que bien longtemps après mon diplôme, soignant des rescapés de situations extrêmes, et je suis seulement alors devenu médecin, après un long détour par la biologie. Et à l'instant même où je pense cela, AFL annonce: « les biologistes, eux, pensent que le monde est merveilleux »... Oui, ce monde merveilleux et de contiguïté totale m'a fasciné, tandis que l'accès au mal m'était alors difficile par défaut d'amour et défaut de langage. Longtemps après, amoureux et enfin admis dans la « communauté de ceux qui sont unis par le sceau de la souffrance », je (re)-devenais médecin. Sans doute y-a-t-il, après « l'appel initial du mal » décrit par AFL dans le parcours du futur médecin, différentes voies pour s'y insensibiliser: le rite initiatique des séances de dissection de cadavres en deuxième année de faculté relève sans doute de la désensibilisation par excès de stimulation, d'une certaine « banalisation du mal » par immersion totale...; puis, stagiaire hospitalier, se focaliser sur l'organe malade face à la prégnance de la plainte, au quotidien du vécu de la maladie dans les services hospitaliers, peut être une voie pour « ne pas porter sur ses épaules tout le mal du monde ». Dès lors, les psychiatres apparaissent le plus souvent à ces jeunes techniciens comme faisant partie d'un autre monde, celui qui a gardé une perception globale de l'individu dans sa souffrance...

2. Comme le fait remarquer un auditeur, les pathologies liées à l'action de l'homme sur son environnement non pas été initialement prises en charge par les médecins mais par des politiques de santé publique (lutte contre le tabagisme), et l'hygiénisme des deux siècles passés est bien la résultante de travaux scientifiques de « non -médecins » (tel L. Pasteur; voir note 13 et la tentative du « premier épidémiologiste », Semmelweis, contre qui s'insurgea le « corps médical ». Epidémiologie et biologie, aujourd'hui, remettent en cause un certain pouvoir individuel du médecin, et des maisons médicales - non pas simples lieu d'exercice classique  - mais structurées en réels réseau de travail pourraient permettre un travail « horizontal » ou chacun trouverait sa place. L'expérience des dispensaires anti-tuberculeux (action de Calmette à Lille) ou s'articulaient prise en charge médicale individuelle, prévention collective et support social mériterait d'être revisitée.

3. AFL décrit-elle là une règle absolue ou seulement l'atmosphère des années de ses études médicales, contemporaines des mouvements des « French doctor » ?

4. Troisième volet du viatique médical, qui avait fait recul avec la toute-puissance affichée de la biomédecine, le primum non nocere se réactive actuellement, mais alors qu'il était constitutif du rôle du médecin selon Hippocrate et Galien, il revient par l'extérieur au corps médical déssaisi, par le monde des « experts », normalisation thérapeutique EBM-guidée qui ne nécessiterait bientôt plus de médecin mais une connexion internet. Lorsque j'étais étudiant en médecine, les « protocoles thérapeutiques », ces ancêtres des « références médicales opposables » de l'EBM, n'étaient utilisés que pour les « très grands mals », ceux qui engageaient à coup sûr le pronostic vital, les cancers (un siècle avant ,la tuberculose; un peu plus tard l'infection par le VIH). Il y avait de « petits maux » par contre où l' « imagination » ou l' « habileté » médicale restait de mise, mais face à la mort inscrite le médecin admettait le réseau thérapeutique. Peut-être aussi, dans ces maladies d'invasion par un germe ou des cellules cancéreuses, le débat entre « laisser faire la nature » ou « intervenir pour l'aider » n'était-il plus de mise, car il fallait curer le mal au sens propre, le détourer, le séparer du patient par les nouvelles associations  de molécules hautement efficaces et hautement toxiques. Et hautement coûteuses:  les tenants économiques de l'EBM, qui vise aussi à éviter des prescriptions inutiles ou trop chères pour la collectivité, ont été saisis en raccourci dans cette phrase d'AFL qui mériterait réflexion: « la sécurité sociale ne fait pas de recherche ». Une réelle politique de santé publique ne devrait-elle pas impliquer en effet cet organisme paritaire actuellement cantonné dans un rôle de percepteur-payeur ? Piste pour une réforme audacieuse !

5. L'homélie de ce prêtre sur ce thème en cette messe de communion; cette immortalité que je sens nous poussant par derrière et à laquelle nous contribuons, créant du réel... tout cela ne serait donc « que » le propre du médecin?

6. Premier bémol, je commence à m'inquiéter de quelque chose qui ne va pas au sein de cette résonance si forte que je viens de ressentir avec la thèse d'AFL: oui, bien sûr, son propos est limité historiquement mais aussi géographiquement, hic and nunc, et ma morale du médecin est ayurvédique, dans une conception ou il n'y a pas d'inter-règnes, et où l'homme est partie prenante, en abyme peut-être du fait de la réflexivité de sa pensée, mais partie prenant dans le réel de cette nature... Et ce débat du mal, premier dans la nature où induit par l'homme, y perd donc toute signification, le mal n'est ni interne ni externe, il est ce qui induit ces limites-cicatrices entre les règnes, entre les vivants, les sujets et les nations... La nature, nous en sommes... le mal ne relève d'aucun originel ni d'aucun pêché sans doute, le mal est bien cette énergie essentielle, « impérative » selon Freud, mais énergie refoulée et contrainte à circuler sur le réseau de limites de la Maya, selon l'expression d' O. Lacombe, limites inter-règnes, limites homme/nature, institutions; ce mal essentiel que l'on impose à la nature par cette relégation est de la même essence que la souffrance quant aux limites du sujet ou que la guerre quant aux frontières des nations: mal, douleur et guerre ne sont que des invariants d'échelle. Autrement dit, la nature est au-delà du bien et du mal, le mal n'est ni interne ni externe à la nature ou à l'homme, il est symptôme  de ces limites que la réflexivité de la pensée humaine impose à la nature. Mais « lorsqu'un homme se rend compte que la nature ne le regarde pas comme important et qu'elle sent qu'elle n'estropiera pas l'univers en disposant de lui, son premier voeu est de jeter des briques au temple, et il déteste profondément le fait qu'il n'y a ni briques ni temple » (Stephen Crane, Le bateau ouvert). Alors peut intervenir le médecin, et l'on peut réconcilier médecine et « hypothèse Gaïa », dans une vision moins intégriste sans doute que celle d'Illich...

7. En d'autres termes, et pour l'ayurveda, établir un pronostic.

8. Claude Bernard d'ailleurs, comme le rappelle Pascal Nouvel, ne considérait-il pas la maladie comme un processus physiologique, et donc en biologiste  ? Mais la médecine « causale » ouverte par la méthode anatomo-pathologique, puis la méthode expérimentale, est justement l'ancêtre de l'EBM, véritable « dissection curatrice » des organes malades, mais n'intervenant pas sur le mal de l'homme malade...

9. La stratégie anglo-saxonne EBM aurait-elle des connotations créationnistes (« tout va bien dans la création ») ?

10. Et donc de la simple empathie plus que de la compassion active .

11. Mais de ce « vous » qui s'adressait au malade, global, et non pas à ses organes malades, ces pièces détachées que l'on soigne aujourd'hui dans les hôpitaux...

12. AFL introduit à ce stade de son exposé une confusion entre l'éthique médicale des origines hippocratiques d'une part ,et la pression sociétale actuelle d'autre part, qui, dans la perspective biopolitique issue du XXè siècle, monopolise justement l'autonomie du sujet dans un mouvement normalisant. Second bémol également, une allusion aux « migrants qui viennent en France se faire soigner du Sida et n'ont pas versé de cotisations à notre système social », alors que ce phénomène de migrations pour soins est minoritaire dans les flux, qui sont essentiellement économiques... Mais nouvelle résonance personnelle à ce stade: I. Semmelweis avait bien lutté âprement déjà contre le corporatisme médical du XIXè pour tenter d'introduire l'hygiénisme sur des bases scientifiques; et son combat fut peut-être initiatique pour L.-F. Céline qui y consacra sa thèse de médecine, avant de nous dérouler l'omniprésence du mal essentiel (que théorise AFL comme primum movens de la vocation médicale) dans ce Voyage, qu'il y a dix ans seulement je dévorai en quelques jours. Un mal essentiel,  mais observable du lit du malade, drame de l'enfant qui meurt malgré les soins dévoués, Céline et une clinique du mal essentiel... Mais pour le Dr Destouches, "il n'y a rien a redire de la nature", et c'est bien, dans la lignée d'un Zola, l'homme, la société, la machine, la ville qui ne font qu'exploiter, blesser, mentir, et "la seule vérité est la mort". L'émotion, approchée au plus près par le style célinien, est la seule apte à circuler dans ce réel de la mort.

13. Vers une approche positive de la longévité et de l'autonomie, une prévention de la dépendance. Y aurait-il également des effets secondaires, en terme de santé publique, de la médecine de prévention ? Et ne risque-t-on pas de rentrer dans un contrat faustien de qualité plutôt que de durée de vie ?

14. Qui devraient effectivement être idéalement évalués par le patient lui-même dans son environnement, ce à quoi tend la loi de 2005 sur la compensation du handicap, dans laquelle un taux d'incapacité n'est plus fixé a priori, mais où l'autonomie et les incapacités du patient à réaliser son « projet de vie » sont évaluées. Vers une échelle analogique de qualité de vie plutôt que de douleur...

15. Une des toutes premières phrases assénée lors de son cours par un « grand patron » de la faculté de médecine - qui cherchait sans doute à partager sa culpabilité avec ses futurs confrères – était « chaque médecin a son petit cimetière ». L'autorisation d'avoir tué, mais certes pas de tuer, était donnée par la faculté, dans la logique du « double effet » de Thomas d'Aquin, cette thérapeutique dépassée par son but, ou dans celle de l'erreur médicale, inévitable... Reste parfois la culpabilité de l'incompétence, celle là seule qui peut et doit être combattue par la mise à jour non pas seulement des connaissances, mais surtout des pratiques.

16. Face à la pression de l'EBM, seule la psychanalyse s'autoriserait encore le droit, et s'obligerait  même, à évoluer dans ses pratiques, selon la méthode générique suivie par S. Freud: ici le qualitatif s'impose encore au quantitatif, et le contre-transfert issu de l'entretien privilégié médecin-malade peut encore être théorisé sans statistiques ou essais randomisés. Comment la pratique médicale quotidienne pourrait-elle encore, en pratique de ville c'est-à-dire dans ce fondamental de la « première ligne », se nourrir de l'expérience clinique ? Au sein de ces « maisons médicales » présentées comme une panacée, par potentialisation de moyens humains complémentaires ? L'adjectif « libéral » accolé à la médecine de ville n'a pas qu'une connotation économique mais concerne aussi l'autonomie intellectuelle de la profession. Si très peu de jeunes médecins aujourd'hui s' « installent », choisissant les remplacements prolongés ou l'exercice salarié, ce n'est pas - seulement – pour échapper au horaires de travail intensifs de leurs « pères », mais c'est aussi pour, dans un exercice plus collectif certes de la profession, se garantir cette marge de réflexion face à chaque cas. « Exposer » de plus en plus le médecin à la seule EBM serait favoriser l'émergence, d'un côté, d'ingénieurs de santé appliquant des protocoles issus de leur propre activité de « R&D » dans l'industrie pharmaceutique, et de l'autre de « résistants » de la médecine holistique qui seraient assimilés aux charlatans par l'institution. Car la médecine est un art avant que d'être une science, et par là elle « opère par percepts et affects » (G. Deleuze et F. Guattari, Qu'est-ce que la philosophie ?): celui qui se dirige vers la carrière médicale procède bien initialement le plus souvent de cet affect comme le propose AFL, avant que de subir une « réduction » parfois technique (vers la médecine des organes et non plus celle du malade), parfois économique (vers les sirènes du gain). Il faut sauver le soldat holistique.

17. AFL ne dit pas un mot de l'erreur statistiquement admise. Même validée par l'EBM, une thérapeutique reste « autorisée » à ne pas guérir 5% des patients... Le risque est partie intégrante de la pratique médicale, y compris dans cet aspect scientifique.

18. Dans la salle, un jeune médecin récemment installé en secteur libéral nous dira: « la stratégie EBM s'applique à une population mais pas à l'individu qui est en face de moi »... La thérapeutique également est un art, et sa modulation à chaque patient est indispensable, dans le respect évidemment des indications et contre-indications, et en en surveillant les effets secondaires, attendus ou non.

19. Ce « raisonnement inverse » est précisément celui qui s'apprend au lit du malade lors de l'enseignement médical qui n'est pas que théorique... Résistance de la clinique...

20. Incertitude sur le facteur causal, probabilité du diagnostic, difficulté de pondération des effets bénéfiques et des effets secondaires des thérapeutiques, le panorama de l'art médical est brossé dans sa complexité et ses insuffisances... Les experts de l'EBM confisquant au médecin l'aspect thérapeutique permettront-ils de pallier une part de ces insuffisances ? Et ne plus pouvoir soigner « librement » n'est-il pas justement un des facteurs de désaffection pour la carrière médicale, sous-tendue justement par la volonté individuelle de lutte contre le mal ?

21. « Pourquoi pas ? » nous dit AFL quand on évoque les « nounous prénatales » (mères porteuses) ou l'autorisation au cas-par-cas de pratiquer l'euthanasie active. Elle considère toutefois que ces décisions limites ne doivent pas relever pas de la loi, mais d'une décision au niveau des structures concernées. Auxiliaires de grossesse, aidants familiaux, auxiliaires de vie des personnes dépendantes, aidants sexuels, vers des auxiliaires de mort... On est bien dans cette démarche « positiviste » de compensation mais aussi de normalisation. L' homme sans ( cf. le livre de M. Crowley, éditions Lignes, 2009) a pourtant bien une demande, un message, et qui ne trouve pas réponse dans cette stratégie qui veut masquer, justement, le mal essentiel.

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12 novembre 2010 5 12 /11 /novembre /2010 23:25

Une façon de mettre fin au traumatisme retranché1, au poids des cadavres qui nous précèdent et parfois ne nous annoncent pas ? Mais la non-intrusion de la génération dans la chair alors fait retour par l'extérieur... Notes et réflexions autour de:

 

 

 

Nullipare
Jane Sautière
Verticales, 2008

 

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Serai-je nullipare ? Et si on disait: « serai-je impuissant ? » ? Comme il n'y avait déjà pas de mot pour désigner une femme qui a perdu son enfant, il n'y a pas de mot pour désigner un être sans descendance. On peut pourtant être orphelin et nullipare: est-on alors encore femme ? Ou le devient-on alors, inclivée, libérée de la chair de la génération ? Au fil des pages, « nullipare » devient le terme précurseur du mot qui n'existe pas pour dire « femme dont un enfant est mort »: car « le deuil de ce qui n'a pas eu lieu est un processus particulier », comme une mélancolie antérograde, comme une nostalgie si un lieu pouvait ne pas avoir existé avant que nous l'occupions. Non-intrusion. Livre en miroir de celui de J.-L. Nancy (L'intrus). En résulte, en est constitutif plutôt, un vide à peupler, un non-fait, un non-corps. Peut-il faire retour, ce non-mort ? Que reste-t-il d'une vierge dont le fils est mort ? Une possibilité de deuil ? Mais Marie enfanta, et dans cela l'oubli d'une certaine douleur, et dans les marges et les images de cet oubli peut surgir le travail de deuil, peut vivre la représentation, catharsis d'un clivage contemporain du sujet. Ici, le clivage est diachronique , la douleur est antérieure à l'être et n'a pas eu lieu.




Un traumatisme calme et solitaire, en non-distance, en non-colonial, en non-exotique. Un jour on se retrouve dans un non-lieu de logement, un lieu morcelé, à l'histoire horizontale, comme le fleuve qui coule en bas de la fenêtre, car on aura déposé les cartons, croisé les objets raboutés, cette autre magie du lieu, cette généalogie du seul soi-même, et la tente pourra bien bouger, cela n'en rendra pas la maîtresse nomade. On est prié de ne pas laisser place à la chair, cette douleur sans réponse. En bas « les bateaux longs et lents qui passent sur le fleuve, rêvant dans la luisance de l'eau, je les aime. Les bateaux lents me soignent ». Mais alors les angelots limbiques font retour, ces êtres intermédiaires dont le deuil est impossible, ils font retour-exil, ne se dissolvent pas si facilement, restent nécessaires, et ce trop de corps encore de la nullipare... « Aussi vrais que faux, ces enfants limbiques » font toujours retour...

 

 


Retour, celui des sombres entre-dits familiaux. Maladies des parents, cachées mais qui parlent. Qui parlent de l'enfant que l'on est, née après d'autres enfants morts, née avec des torts. « Qui avait-il à fuir à dix ans d'une question qui n'était même pas formulée ? ». L'enfant-centaure caracole devant son assiette qu'elle refuse de toucher, « il fallait que je ne mange pas, il fallait qu'il y  ait du vide, ma mère me soignait tout le temps, il ne fallait pas que je soit malade. Il y a  eu ce désir de me faire morte pour me faire aimer, comme ma soeur morte ».

 

 


Les angelots limbiques recirculent. Car être non-né, être creuse de génération, c'est d'emblée circuler, production hors du corps, délire, circulation du traumatisme dans un après-coup trans-générationnel, dans le fait d'être nommé malgré tout à sa génération ou sa descendance. L'ordre social est-il donc complice de l'ordre biologique ? Stopper la vie de la génération est-il un fait de révolté ? Ou bien y-a-t-il simplement des exténués de l'histoire ? Faut-il un jour « arrêter ça »  ? Tant d'extermination antérieure à nous nous mène-t-il à la fin de l'espèce, non pas par la tentative d'extermination elle-même (débat Bettelheim/Anselme), mais par l'exténuation de la génération, quand « on ne peut plus agiter comme cela le sang et ses absences », composer le trauma et la vie ?

 

 


Il y a une existence des choses qui n'ont pas eu lieu, il est des choses sans lieu, d'emblée..  Tiens... Si les vrais lieux sont de guerre, de mort, d'incendies, nous voici alors dans le retour en vie moyenne. Elle a connu Phnom-Penh, Alger, Téhéran et Beyrouth. Puis une 4L rouge groseille. Puis Barbès, alors « j'étais étrangère chez moi, ce m'était idéal ». Nous sommes bien donc des touristes ridicules, des désorientés de ce monde normé qui se croit. Et se profile la question: femelle: comment s'habiter quand soi-même on n'a pas été un lieu (utérin) ? Mâle: de passage, de passage, et payer toujours un loyer ? Femme-lieu, chair-génération, vers l'amibe, unique être contenant et contenue. Lui cherche toujours une contenance, car sa forme ne peut s'épauler à un lieu de transmission: l'homme conserve toujours un creux. Alors, lui, et la nullipare: « écrire faisait choisir la vie » (lien vers J. Bousquet). Alors, donc, on triche, on dit que sa vraie mère est le lieu où l'on est né, une nourrice de terre: de générationnelle, quand on n'a pas d'enfant, la quête devient celle du lieu que l'on transmet (en écrivant). Pourtant: on ne peut transmettre qu'un chemin.

 

 


Mères et filles, la chair crée en clivant. L'institution, elle, est  tentative de l'androgynie, de l'inclivé originaire. Célibataire nullipare et sans congrégation, on s'accroche à la grand-tante ou à la marraine. Qu'est-ce que c'est reposant, d'avoir des enfants ! Ca n'incite pas à écrire, les enfants ! La littérature peut-elle faire famille à son auteur ? Doit-elle forcément s'émanciper de la famille ? L'autobiographie ne peut être une gestation: seuls, le roman, l'essai, le poème, poussent. Mais, se reprend-elle, « j'écris le berceau », celui que le grand-oncle avait bu de dépit et de guerre. J'écris cette chair, qui alors donnera; on devrait tous écrire son autobiographie très précocement. Dans ce non-enfant est la fin extrême des  traumatismes retranchés, ceux des frères, des pères; mais elle-même alors, nullipare, nait de la peine, de la peine coupable: « suivie d'aucun après, pour que cela se termine enfin »... Fin de la danse macabre, fin de la génération. Le dos aux vagues, face au Finistère. Comme si un livre pouvait dissoudre les morts. « Je n'aime pas mes enfants » est une construction de nullipare.

 

 

 

 

1. F. Davoine et J.-M. Gaudillière, Histoire et trauma. La folie des guerres, Stock, 2004.

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21 mars 2010 7 21 /03 /mars /2010 21:56

 

Vers la douleur lisible
Le Jardin des Délices: la parole à venir des corps lisses

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Des mois durant, errer dans cet espace clos nommé le Jardin des délices.
S'y perdre. Les rencontres se multiplient, jouissances aveugles. Que s'y passe-t-il ?
Le tableau s'opacifie, il se cache en se montrant, il organise une perte de sens.
Il n'y a pas de guide, il n'y a pas d'entrée dans cette vue panoramique et totalisante,
il est hors-sens1.

 

 

 

 

 

1. La fable mystique: le beau se substitue au vrai

 

 

 

 

Certeau ne nous offre pas d'entrée dans le jardin des délices, et le triptyque reste sans sens caché, sans point de fuite possible, en seule image, pénible, belle et complexe. Entrer demande le détail, celui du corps nu sexuellement attrayant, de la coquille translucide de retrait à ce monde inconnu, si magistralement rendue par l'artiste, dans ce pointillé argenté de la limite des sphères qui détache du monde et qui transporte le signe d'un espace à un autre, qui laisse penser le plaisir sans le dire. Tous les visages restent fermés, ni cri, ni douleur, ni joie. Seuls les yeux en sont ouverts, et c'est bien le tableau qui nous regarde, ironiquement, quête à retour ce sens inutile que nous voulons donner, alors que tout est dit dans les corps meurtris mais sans blessures restés en dehors des sphères semi-protectrices, que tout est dit dans ces corps offerts au plaisir mais sans jouissance à l'intérieur des sphères. Tous, nous oublions que le triptyque ne se livre qu'une fois refermé, alors l'intérieur et l'extérieur de ce monde non-dit  se confondent en une extase ou une douleur qui permettra la reprise d'une parole. A volets fermés, à l'autonomie de Dark-City2, tout est dit; à l'ouverture foisonnent les questions et les représentations.

 

 

La forme s'ouvre sur son autre par une transparence, une brisure ou un trou.
Déjà la grisaille peinte sur sur les volets fermés du triptyque indique ce mouvement:
dans la nuit du temps,  le globe transparent du cosmos est verticalement coupé par l'entre-deux
 de ces volets qui vont s'ouvrir et l'ouvrir sur la profusion colorée et dansante du Jardin.
Le dehors est l'autre du dedans3.

 

 

 

Une fiction onirique qui se joue de la représentation, un trop-plein de signifiants qui y multiplie les trous, une fonction poétique et non plus référencée des événements, une palpabilité directe du signifiant lui-même: un son devient musical quand il cesse d'indiquer un sens ou une action. Et Certeau relève  cette métamorphose fréquente chez les mystiques, la substitution du critère du beau au vrai: on n'est plus dans le champ du savoir mais dans celui des Délices. Chaque trajectoire interprétative provoquée sera déçue: être chassé de ce paradis serait-ce donc la condition du discours ? nous interroge-t-il. Une piste pourtant: la production vient du spectateur, au risque d'un délire interprétatif « schreberien » de celui qui cherche à entrer. C'est le tableau qui nous regarde; lecteur, on te regarde, sans que tu saches qui te voit et ce qui est montré. La ligne de fuite est inversée, vers l'observateur, et chaque panneau possède son oeil, unique, l'autre étant laissé en gage à la mémoire.

 

 

 

 

 

La coupure entre les deux mondes n'est que pointillée, poreuse, filtre, si l'on y regarde de près: elle est insécurité, coupure de l'objectivité, inquiétude. L'instabilisation voulue par Bosch est une critique du signe, du logos concepteur, elle est en elle-même production et non décryptage, elle est de l'ordre du bloc de percept-affect deleuzien, indépendante et autonome de la représentation, et donc du temps de la mémoire. Elle n'est pas structure mythique, ésotérique, d'ailleurs l'herméneutique du moyen-âge n'est plus invitée par Bosch, peintre de la renaissance, qui écarte de son tableau nombre de « clichés » chrétiens ou de la tradition alchimique. Comme dans le rêve, le lien entre signifiant et signifié se liquéfie, le chemin est vers nulle part, il est errance, il invite à se perdre. Quant à la calligraphie des corps, ces corps sans attributs, sans âge, sans travail, et presque sans volume, vides d'expression, sans contenance, ces corps non-écrits (sauf ceux, torturés, de l'enfer), qui se meurent en silence dans la combinatoire de ce parcours chaotique, ces corps qui passent, qui flottent, non organiques, corps déjà morts ? Qui évoquent chacun individuellement la nostalgie de l'androgyne primitif, « nous étions d'une seule pièce », peut-être aussi par cette floraison goulue de tentatives sexuelles ? La cohésion de ces corps est contingente, comme en témoignent les ouvertures des sphères, les organes manquants ou échangés, etc... La perte de consistance des corps, elle aussi, partage de la décomposition du sens. Peaux calmes et lisses. C'est l'usage du corps qui semble avoir disparu.

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2. Cristallographies: l'hypothèse traumatique

 

 

 

 

Malgré/à cause de cette analyse de  Certeau, brutalement confronté à nouveau à l'image, j'errai également de longs mois, et naissait en moi une tentative d'abandon: ne pouvait-on voguer dans ce Jardin qu'en état d'extase, fallait-il abandonner toute prétention à l'utiliser en outil des simples ? Relecteur de Certeau, Christian Indermuhle4 propose, à propos du Jardin des délices,  l'hypothèse de l'emprise du sujet par l'acédie, cette forme de mélancolie qui touchait les clercs médiévaux à l'heure de midi, état dans lequel ils restaient capables d'entrevoir la création divine, mais étaient dans l'incapacité désespérante de se frayer une voie vers elle: le désir est toujours présent mais l'objet du désir recule à l'infini, inatteignable5. Cette hyperlecture de Certeau va cependant me mettre sur la piste d'une autre faille possible de lecture du tableau de Bosch, outre  celle de la mystique  ou de l'épuisement monastique (et d'une certaine hérésie dans laquelle on a positionné Bosch): celle du traumatisme. Ces corps qui ne disent plus, ou qui s'isolent dans une a-représentation de la douleur comme du plaisir, au risque de la porosité entre les mondes du symbole et du chaos des affects libres, ne sont-ils pas ceux, clivés, des traumatisés exposés à la violence démesurée et répétée des bourreaux, tenus pour une part d'eux-mêmes « à distance » dans une attitude antalgique mais muette au monde6 ? Et quelle est cette étrange similitude qui m'apparaît entre ces corps nus mais qui semblent plats, fermés, sans expression dans le tableau de Bosch, et ces quelques clichés  des camps nazis où ces mêmes corps creux nous regardent à travers les barbelés, sans exprimer ni joie ni douleur, semblant eux aussi retenir tout affect...?

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Ce manque de signification du tableau, ce plan unique qui se dérobe au tout mais qui appelle le désir, faut-il vouloir lui rendre la douleur ? Cette douleur pourtant qui semble prête à sourdre dans les mille détails du tableau, mais à qui manque, bouclier des sphères, ce « forçage » vers la souffrance et/ou la jouissance mystique du monde. Pornographie sans possession. Chez le  patient traumatisé, la douleur est prégnante, dans la posture et les cicatrices du corps comme dans les trous du discours. Dans le tableau de Bosch, ni douleur, ni jouissance, présence pure des corps sans contenance: on est à l'étape initiale de sidération, celle qui oblige au clivage, face à la trop forte quantité d'énergie douloureuse brutalement et/ou répétitivement reçue, le corps sensitif se protège en se retournant en dedans – symbolisé par les bulles argentées, limites protectrices et poreuses – la remarque de Certeau sur la technique du peintre en pointillé, en tireté de ces sphères prend ici toute sa force - , on est avant la formation de la cicatrice, et on est dans l'absence totale de parole, confisquée par le bourreau: la torture vise bien à réduire au silence-norme de l'institution, et pas, contrairement à une idée reçue, à faire parler. Comme dans le clivage traumatique du sujet, qui sépare le corps percevant du corps représentant dans une stratégie de survie, le tableau organise esthétiquement une perte de sens; l'observateur n'a aucun point de fuite car déjà le sujet à fui(t). Mais à distance du trauma, chez les survivants, ceux qui n'auront pas disparu dans l'étrangeté douloureuse et délirante du réel des sphères, ou dans le retour à l'organique des corps, la douleur redeviendra lisible, le corps reprendra la parole et le cri  au travers d'organes refuges, jointures ou plaies, qui progressivement se dé-condenseront lors de la thérapie. Par catharsis, les cicatrices et la douleur deviennent les possibles noeuds de ré-écriture d'un sujet présent au monde, la coquille de la sphère qui désignait l' « autre du monde » des mystiques se superpose à la cicatrice, le sujet revient ici et maintenant, dans cette intersection retrouvée de l'horizontalité du temps et de la verticalité du sens8.

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Si la non-représentation de la douleur est le mécanisme fondamental du clivage antalgique lors des traumas extrêmes, les perceptions du corps souffrant n'étant plus connectées à la part du sujet qui tente de se retirer de la scène9, le sujet court cependant le risque de l'égarement dans ce chaos des affects maintenant libres, non représentés, non structurés. Face au tableau de Bosch, Certeau nous déclare bien: « je m'y égare »... et aussi « il me fixe », ce leitmotiv du patient libéré de ses bourreaux mais qui ressent partout leur présence... Il lui faut maintenant réapprendre à reconnecter les affects lourds et inquiétants, évocateurs du trauma passé mais restés non-représentés, qui hantent son esprit,  chaque détail de l'environnement familier retrouvé pouvant par « court-circuit » s'accoupler illégalement à ces affects: on est bien dans Le Jardin, où les plaisirs et douleurs évoqués restent muets, provisoirement isolés de leurs représentations, mais prêt à se mettre en mouvement dans une combinatoire qui peut basculer à l'extase et/ou à la douleur, au langage articulé et/ou au délire10, et à la panique de l'innommable, de ce qui n'est plus  circonscrit par la découpe de la parole. On est exposé à ce chaos des percepts libres, et face auquel G. Deleuze implore « nous demandons seulement un peu d'ordre... »11. Des corps sans contenance, en proie à la panique entropique de la dé-subjectivation, mais dont les singularités sont préservées, dans leurs condensations obligées, des corps prêts à la jouissance, à la douleur, à la liberté:  une femme du tableau, à la bouche scellée (par ses bourreaux), tient toujours sur elle le fruit qu'elle ne peut intérioriser, mais sauvegarde de sa parole.
 

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Pierre philosophale peut-être des mystiques, clef de l'au-delà du bien et du mal, de l'au-delà du plaisir et de la douleur, le triptyque cependant peut se fermer et se dire au passant, l'interrogeant dans la condensation douloureuse de son corps, lui proposant une  reprise de la parole en étape nouvelle dans sa subjectivation. Au risque du délire d'exposition à un chaos non maîtrisé, et de l'égarement dans un silence imposé, il est ré-écriture d'un ici et d'un maintenant, production nouvelle mais production publique d'un sujet recomposé.



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à suivre: la forme en position d'attente


1 et 3. M. de Certeau, La fable mystique, I, Gallimard 1982
2. Dark City, film réalisé par Alex Proyas, 1998
4. C. Indermuhle, Cristallographies (Montesquieu, Certeau, Deleuze, Foucault, Valéry), Van Dieren, Paris, 2007
5. Dans la mélancolie, l'objet est perdu, et avec lui le désir; ici l'objet est toujours « devant être atteint », mais hors de portée: épiphanie de l'insaisissable, l'acédie peut aussi, paradoxalement, conduire à l'extase mystique, elle est plus une « saudade » avec son désir et sa potentiellement possible satisfaction, qu'une nostalgie de l'à jamais perdu.
6.
E. Ledru, La douleur sur le ruban de Moebius du Moi, 2008
7. E. Chevillard, Choir, Paris, Editions de minuit, 2010
8. « horizontalité verticale » des intersectionnistes
9. Voir S. Ferenczi
10.  Le syndrome post-traumatique peut être  une voie d'entrée dans la psychose
11. G. Deleuze et F. Guattari, Qu'est-ce que la philosophie ? Paris, Les éditions de minuit, 1991

 

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19 mars 2010 5 19 /03 /mars /2010 11:42


Pléonexie, ce désir d'avoir toujours plus que les autres, de prendre toujours plus que ce qui nous revient (ou moins, lorsque l'objet s'avère ingrat)


 

 Les gens d'une station veillent jalousement à ce que nul ne possède plus que les autres ;

quand le cas se produit, le surplus, fixé arbitrairement, retourne à ceux qui ont moins.

Cette horreur de la pléonexie est aussi très développée dans les régions centrales.


Marcel Mauss, Essai sur les variations saisonnières des sociétés eskimos

 


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Quand je tue, je suis dans la voie de la pléonexie, nous dit ce matin Aristote  évoqué par Anne Merker. Dans ce désir d'avoir toujours plus, le meurtre de l'autre pour  le déposséder et acquérir ses biens ou sa puissance prend logiquement sa place, ainsi que la guerre: notre société n'a plus en horreur la pléonexie mais l'élève au rang de valeur et d'éthique... Mais la violence gratuite n'est pas pléonexique: la violence-concurrence se "comprend", la violence passive de l'individu sans pensée "banal bourreau" pris dans la trame  totalitaire s'"explique", mais faut-il se résoudre à une pulsion "animale" de violence pour comprendre l'acte gratuit qui culpabilise tant ses victimes, en l'absence de tout mobile rationnel ? Qui me dira la pulsion de la violence gratuite, qui me dira les forces libérées par l'expérience de Milgram ? Qui me dira cette possession du thérapeute accédant au noyau intime du patient violenté ? La psychanalyste Régine Weintrater précise bien que l'engloutissement, la fascination pour les événements traumatiques extrêmes - qui est dans la presse rapportée comme facteur d'actes violents "gratuits"- ne sont pas de la jouissance, ils sont un voyeurisme ressenti, une addiction aux récits traumatiques et aux saga violentes,  associés parfois à une impression de fadeur de la vie, à un sentiment de manque... Nous condamnons la violence et sommes en même temps fascinés par elle. Une  loi animale ? Reprise dans la boîte noire du Tao ? Les hommes, du point de vue de la sensibilité, sont ainsi faits qu'ils se sentent heureux dès qu'il ne souffrent plus et malheureux dès qu'on les prive de ce qui faisait leur bonheur. Aussi ne peuvent-ils, vivants, éprouver le bonheur qu'en ayant la conscience malheureuse de la mort6.


Certaines sectes croient à une âme collective des espèces animales (...)
 Cette âme ne perçoit pas la douleur des individus de son groupe
 et les transformations de la mort sont plutôt pour elle une jouissance.
Elle n'a pas la conscience de l'homme.


Maurice Magre, Inde, Magie, 1936
 


Le plaisir est perception du bien par nos organes des sens

Dans la quête organisée autour du manque et du désir, nous dit maintenant A. Merker, le plaisir est le bien devenu apparent à nos organes des sens1. Mais la douleur ? Est-elle le mal devenu apparent ? Y-a-t-il ainsi sous-jacent un désir de douleur ? Un désir d'exil2 ? Faut-il réfléchir dans un dualisme bien/mal de deux entités distinctes, faut-il considérer avec Augustin que seul le bien existe et que le mal n'est que corruption secondaire de ce bien, ou faut-il avec Freud, dans sa théorisation la plus accomplie des pulsions, voir le mal et le bien en torsion unique, entremélement intime agissant de concert dans une seule et même force3 ? S'il existait bien une douleur "positive" de perception du mal en miroir du plaisir de perception du bien, existerait-il aussi une douleur-absence, perception de l'absence de bien, et moteur d'exil4 ?


Pour la première fois il vient de sentir son absence dans ses bras

(saudade platonicienne)



Pourquoi y-a-t-il du "trop" dans le plaisir sexuel
, nous demande enfin Anne Merker ?


Ce que j'appelle jouissance, au sens où le corps s'éprouve,
est toujours de l'ordre de la tension, du forçage, de la dépense, voire de l'exploit.
 Il y a incontestablement jouissance au niveau où commence à apparaître la douleur,
et c'est seulement à ce niveau de la douleur que peut s'éprouver
toute une dimension de l'organisme qui autrement reste voilée.

Jacques Lacan


Ainsi, suivant les psychanalystes, le plaisir est-il bien perception de quelque chose jusque là voilé aux sens, mais perception qui nécessiterait simultanément la douleur. Le "forçage" va-t-il du plaisir vers la douleur, ou de la douleur vers le bien, "bien" qui est alors synonyme de jouissance du corps dans  l'acception juridique du terme5? Le principe de plaisir porte intrinséquement son insatisfaction1
, le plaisir sexuel est noeud qui rassemble-oppose les deux pôles topologiques de la douleur et du plaisir, et on jouit bien en payant douloureusement de son corps, dans le rapport à l'objet désiré (dans la toxicomanie, l'anorexie) comme dans le rapport à l'autre (dans  la sexualité). Mais la jouissance n'est pas restreinte à celle du corps et la réalisation du plaisir s'étend de cercle en cercle aux autres, au monde, et, dans une tangente infinie, au Réel, dans la cosmogonie psychanalytico-hindouiste du monde-bouche, monde du plaisir primordial.





1. Le plaisir tendrait pour Aristote, en ceci relai de Platon le primordial dans la perte de l'immanence, vers un fini, un atteignable, où s'arrêterait la quête: le monde sensible qui pour les préplatoniques et la tradition hindoue est un vivant ayant à l'intérieur de lui tout les vivants, structure en abyme,  contenu entier dans la bouche de l'enfant Krishna, est accessible progressivement aux sens, mais ce monde sensible est plus petit cependant que le monde intelligible, et la quête du plaisir dans le domaine de la pensée, et non plus simplement de la perception, reste sans doute bien ouverte à l'infini.
2. Comme le propose le psychanaliste F. Benslama

3. Il nous apparaît que la compassion, joignant nos "noyaux primordiaux sensibles à la douleur", pourrait-être parmi les liens les plus intenses entre les vivants, alors que l'agressivité, elle, reste inter-individuelle, au cas-par-cas, et exclut les agresseurs du reste du monde. On s'éloignerait donc ainsi - et de façon optimiste - du postulat freudien qui voit pulsions d'amour et de mort constamment entrelacées, sinon équilibrées, puisqu'il faudrait discerner au sein de la "pulsion de mort" un composant empathique, universel, et un autre agressif, non contagieux.
4. Pour les démographes, un individu donné prend la décision de migrer s'il fait le calcul (que ne fait pas son contemporain qui restera sur place) que le coût attendu M de la migration (en terme de succès reproductif, de distance à parcourir, du risque de décès du fait de prédateurs) va laisser persister un avantage du nouvel habitat H2 (ressources alimentaires et succès reproductif potentiel) sur l'habitat actuel H1 (J.-P. Bocquet-Apple,
La paléodémographie : 99,99 % de l'histoire démographique des hommes, Errance, 2008):
migration si H2>H1M
Avec la migration, l'intelligence entre dans l'histoire, la migration calculée prend le pas sur la dispersion locale. Alors, calcul intelligent et/ou désir d'exil ?
5. Que d'hérésies dans la sexualité pour l'Eglise catholique ! Du bien qui se pervertit en s'amplifiant au contact du mal, un corps dont on affirme jouir fonciérement plutôt que de communier au corps divin...
6.
Ch. Le Blanc & R. Mathieu (sous la direction de), Philosophes taoïstes, tome II, Huainan zi, Paris: Gallimard, Bibliothèque de la pléïade, 2003

 

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24 février 2010 3 24 /02 /février /2010 22:31

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... prenons un terme de votre sophistique: ex: saignements: ruisseau rouge, incube, caillots, sillons veineux, artères avec néons, lampadaires, becs de gaz, lampions, falots, lampes, lustres, torches, bougies, allumettes, feux et feux tricolores: sillons (Marseillaise et religion des morts nationaux !), artères (route, chemin, croisement, avenue, rue, rond-point, place, boulevard)...


(De notre envoyé en Grande Frange du Sud)
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4 décembre 2009 5 04 /12 /décembre /2009 12:41

Que sommes-nous prêts à risquer pour un monde nouveau, une vie mailleure (meilleure de l'ailleurs) ? Qu'est-ce-qui nous pousse, inlassablement, à désirer le nouveau, tout en en refusant la possibilité même ? Comment comprendre cette "pulsion de test" qui nous anime et nous pousse à nous mettre à l'épreuve, à soumettre à la question, nos croyances les plus enracinées ? Est-ce une pulsion de mort, de destruction, ou cherchons-nous plutôt à découvrir la part indemne de ces croyances ? Pour A. Ronell1, le témoignage est ainsi de plus en plus lié à l'expérience de la torture, et on rejoint ici le cheminement mystique sur les braises, le chemin vers un ailleurs inconnu encore mais senti, ressenti, pressenti toujours, pressenti qui découpe, exonère, eviscère, énuclée, défigure, mais chemin impératif, tel celui de l'écriture qui blesse, jour après jour2.



Une marche jusqu'aux situations extrêmes, celles devant lesquelles l'observateur se posera - malgré lui - d'autres théoriseront l'eugénisme - la question éthique unique: est-il encore de l'espèce ?3 Est-il encore de l'espèce, celui-là même, cet être-là même mon voisin hier encore, qui n'a plus de visage, qui n'a plus de parole, qui est devenu lisse à mon accroche, ce "musulman" du camp dont la douleur s'est solidifiée, imperméable, au bout de l'expérimentation du camp; cet artiste perdu, Artaud au bout de sa logique divine; cet enfant autiste, artiste de ses tréfonds qui se heurtent à tenter de se connecter; cette sorcière-moine que l'on brûle, et dont le coeur persistera à briller ? De l'inhumain (un « au-delà de l'espèce » dans la psychose et le saut de conscience, un « en-deça de l'espèce » dans l'autisme ou le « musulman » des camps) ? Il faut travailler, réfléchir, à partir non pas de son corps mais d'un fond commun de l'humanité. Mais ce fond commun n'est pas fini; il n'est pas fini et c'est à nous de le créer, de l'alimenter, par notre accès même. Regardant l'autre, cellulle (est-elle morte se dit-on parfois ?), nous contemplons notre limite, nous ne savons pas ce que cet autre « au delà » contient, or c'est là que le fond commun s'enrichit. Et la question devient: comment communiquer ? Quels médias ? Quel « cannibalisme » entre Homo sapiens même ? Et quel Karma de l'Etre ?


Comment promouvoir l'impératif éthique de l'exposition risquée ?
Comment articuler les deux modes de la pulsion de test, le vérifier et le détruire ? L'Etat, lui, ne cesse de faire des expériences sur le corps des minorités, et les systèmes pénitenciaires fonctionnent comme de très nombreux lieux de la science: cette expérimentation est-elle à potentialité productive, et serait-elle finalement bénéfique, créant avec escient des refoulements aux marges, marges indispensables à l'expansion de l'espèce ? La normalisation est elle expérimentation nécessaire ? Avons-nous donc besoin d'Auschwitz, du panoptique et du biopolotique ? La voie du nirvana et du lâcher-prise est-elle stérile, celle-là même qui ne blesse personne ? Ou bien l'Eveil est-il bien une marge de manoeuvre avec le risque absolu, l'Orient peut-il nous sauver de l'Accident, transformant la douleur en torsion4, le tortionnaire en thérapeute ? Comment déclarer son a-dépendance ? Comment expérimenter, s'offrir à l'aventure sans se détruire, s'autodétruire et tout détruire ? L'indépendance, elle, en effet, ne peut jamais être stabilisée, mais doit toujours se soumettre à l'épreuve du traumatisme.



Il s'agit bien du corps historique, dissimulé, secrètement sacrifié, sur lequel le système occidental de l'épreuve s'est reposé, dans l'urgence qu'il y a à arracher la réponse au sujet et à le conduire à dire ce qu'il sait, ce véritable atelier pénitentiaire de production d'inscriptions. L'épreuve a un rapport avec l'exploitation d'un corps d'esclave, qui peut être intériorisé - à chacun le sien - ; pour exhumer une vérité essentielle, quelque chose doit être sacrifié; le témoignage, dans la lutte contre l'impossibilité d'assurer un langage librement posé, repose sur des formes extrêmes d'épreuve. Recroquevillé, le corps esclave continue d'être transmis et transmuté.

A. Ronell


Dans l'écriture sur le corps une partie du sujet est habitée par l'autre, le bourreau, et devient non nommée, transparente, ouverte; cette écriture crée une même chaîne signifiante entre le bourreau et la victime, et il y a confusion des places de temps de vie et de mort.  On retrouve cette dimension persécutive de la jouissance, qui est marque sur le corps, assujettissement aux signifiants. Le sujet torturé est ainsi placé devant une faille intime, on ne lui demande pas de déclarer vrai ce qu'il tient pour faux, mais d'être ce qu'il doit être pour que l'institution soit. La victoire de la torture, c'est d'effacer la mémoire, dire sa non-identité, cette nomination qui rend possible la vérité de tout le reste. Le "dehors", l'exclus, l'étranger entre dans l'espace maîtrisable du "dedans", de l'identité, du lieu organisé, converti à  l'étrangeté de son propre, et une réalité sans racine s'impose: la douleur. Peut-être touche-t-on là une limite dans la clinique du trauma, dans l'analyse de l'exceptionnel ? Selon Ferenczi, la fragmentation traumatique, mécanisme de défense et d'adaptation lié aux forces d'auto-conservation, pourrait parfois faire place à un abandon total de la maîtrise extérieure et à l'instauration d'un état au cours duquel devient concevable de se réconcilier même avec la destruction du moi, c'est-à-dire avec la mort, en tant que forme d'adaptation, délivrance, libération, pour trouver place dans un état d'équilibre supérieur, peut-être universel.  Le traumatisme conduit à la fois au "musulman" des camps et à sa rétraction douloureuse sur le corps-condensation, et au mystique qui s'enfle à l'océan-folie par l'inflammation psychique; le problème du traumatisé c'est qu'il se souvient confusément et impérieusement d'avoir été ces deux sujets-douleur en même temps. Refaire du lien entre le corps organique obligé de vivre et les restes de l'être humain, masse affective séparée, inconsciente: l'objectif n'est ni plus ni moins qu'une réincarnation, dont la douleur sera l'outil obligé. Un fil ténu et invisible, mais pas de rupture avec l'espèce.

Certeau-Freud-Ferenczi



1. A. Ronell, Test Drive. La passion de l'épreuve, Paris, 2009
Trad. C. Jaquet
Analyse F. Neyrat, Revue Internationale des Livres et des Idées, sep.-oct. 2009
2. M. de Certeau, 
Corps torturés, paroles capturées , in Michel de Certeau, sous la direction de Luces Giard, Cahiers pour un temps, Centre Georges Pompidou, Paris, 1987, p.61-70
3. G. Saulus, Ethique et handicap, in Des jeunes filles originelles, Association Française du Syndrome de Rett, 2008 (DVD)
4. Réflexion contemporaine de la publication du Tao de la physique, La vie est une torsion du néant à cheval sur une onde de probabilité (P. Ledru).


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