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14 avril 2009 2 14 /04 /avril /2009 14:55
Notes et réflexions autour de:
Penser les matières du corps: l'organique dans tous ses états

2 et 3 avril 2009
colloque organisé par l'Université Paris III-Sorbonne Nouvelle
 
et le Centre d'études féminines et de genres



III. Ecritures féminines; marquages et démarquages du corps



1. Corps clivés. Saintes et sorcières dans l'impasse de l'histoire et des discours1



Corps scellé, corps déchiré par des lectures contraires, ouverture de la blessure du Christ par où la mystique, la béate, la sainte est en lien (telle Marie-Madeleine au tombeau); mais partie maudite du corps chez Bataille, dans l'excès, le cosmique: ambiguïté du corps féminin médiéval. Dieu en fruit de souffrance et en source de plaisir. La sorcière ne porte pas de nom, elle reçoit la "pénétration divine" et l'extase diabolique, son corps resterait donc marqué de la parole du père2. Souffrance, orgasme de la fusion, angoisse-descente de dissolution corporelle. Plus tard seulement l'Eglise admettra les transes corporelles non sacrilèges, dans un retournement, autour d'un pôle magie/sexualité, et acceptera une "sexualité avec Dieu".


Un jour je fus pénétrée d'un amour si ardent au Coeur de Jésus que je l'ai senti dans tous mes membres (...) Il me semblait que mon âme aussi entrait dans le coeur divin. En d'autres occasions,
il m'invitait à rapprocher mes lèvres de son flanc et à boire le sang qui en jaillissait.

Angela de Foligno, XIIé siècle


Il n'y a que le corps, et pas de langage: mais la sorcière parle par l'autre, la victime de son désir. Ce corps qui porte des cicatrices et des grains de beauté, autant de manifestations diaboliques...3 Cicatrice de Harry Potter qui s'enflamme à l'approche du danger... Il n'y a que le corps, et pas, ou plus, de langage encore...


1486 - manuel de chasse aux sorcières - 14 éditions - Des milliers de "vulves insatiables" sont conduites au bûcher, "un feu qui ne peut se combattre que par le feu". Voir les tableaux de Signorelli, "ce corps qui nous traverse encore", "déchet à réanimer", et l'iconographie des cathédrales.






Puis il y aura éclipse du corps féminin de la littérature: l'occident se mure alors dans ses sorcières réduites en cendres. Autant de morts sans sépultures, de fantômes qui nous hantent. Sauver ce corps clivé et son démembrement... pour la femme, la route est longue encore vers un corps qui "échappe au pervers" (au Pakistan, la jouissance féminine est encore considérée perverse par les talibans, qui semblent la craindre...). Restaurer un espace de la scène des plaisirs et des passions.

 

 

 

2. Marquages et démarquages du corps dans les sociétés occidentales et non-occidentales du 20è siècle: vases communicants4.


Conquête de territoires et commerce d'objets exotiques, relation occidentale à l'altérité, et le corps en nouage: tatouage, excision6, vers une transnation corporelle5. Interdit des missionnaires, mais exhibition des tatoués polynésiens en Europe: dans cette ambivalence nait le besoin post-industriel d'être remarqué dans sa chair (Orland).


Sexualité: les Bijoux indiscrets de Diderot, au 18è, ont pour toile de fond l'Orient et l'Afrique. Un vagin disant le discours de l'inconscient, au bon gré du pouvoir magique du Sultan... sultans modernes (prêtres, psy., etc...): hystérie, comme frigidité, sont soumises au regard de l'homme en clinique.


Modifications corporelles: "primitive modernes", "néotribaux" (souvent blancs), et tatouages, percings, implants: gain de statut pour une perte corporelle. Renvoie aussi à la douleur en négociation de l'adhésion à un groupe8, car ces pratiques sont douloureuses (à moins qu'il ne s'agisse par là de raviver une zône érogène primitive oubliée, de se constituer un corps propre7).




"La chair", entre peau et squelette, remplace ainsi le corps dans le monde anglo-saxon post-moderne, "métrosexuel", qui se donne une autre matrice9. Un entre-limites marqué à une communauté, avec des espaces de circulation trans-nationaux. Amaigrissement ou silicone, modification de la chair. Sida et rétrécissement "à l'oeil nu" de la chair. Une non-limite, circulation, et qui échappe au marquage uniformisé du discours dominant. Voyages de la chair, transcontinents, transsexuels, greffes médicales: tous ces échanges sont inéquitables, il y a bien projet de l'occident, de la culture qui veut réduire la plasticité de la chair, une emprise biomédicale (chair-objet, liposuccion). Retournements post-modernes: matrice fantasmée du "cyborg" version Stellarc et le courant artistique "post-humain"; avatars informatiques, chair virtuelle, où l'on s'engendre soi-même, pour "jouir sans entrave"11.




Le "flip-flop" (F. Dagognet, La peau invisible) qui a vu au cours de l'évolution l'os gagner le centre de l'animal et sa chair s'exposer en périphérie s'est doublé d'une épidermisation, marquage de la limite. Sous, persiste la chair-matrice, moins accessible au discours. Trois feuillets du corps: l'os, lien inter-règnes, biopierre interne; la chair, androgyne primordial et mère-reproduction; la peau, domaine de l'intersubjectivité, du nom, de la parole: la triade os / moelle / parole de l'Inde traditionnelle...


 

 

Lecture de ce matriciel chez Levinas12: au centre de son oeuvre, la matrice qui précède la différenciation sexuelle,  qui nous lie et nous affecte continuellement les uns aux autres, fond de notre vie psychique. L'hospitalité est une question de chair et de sang, avec sa dimension traumatique. "Nous ne sommes pas clivés": Levinas refuse cette coupure qui se serait opérée lors de la construction psychique du sujet.



Coupure cosmogonique des gnostiques (par exemple),

coupure ontologique des psychanalystes,

connexion des indianistes

 

 

 

 

 

 

3. Méduse n'est pas mortelle: elle est belle et elle rit

 



Dans les années 70, Cixous, Clément et d'autres vont développer la notion d'écriture féminine, la femme doit écrire son corps, enfermé jusque là dans le langage phallocrate. Retrouver une écriture proche des souffles, des pulsions, et de l'"espace verbal non encore colonisé par le père". Au risque parfois de l'enlisement dans le maternel et la "mère éternelle".



Eclats de rire et "passages à travers"13 dans le corps de la femme. Sourires dévorants de la femme fatale: Cixous va vouloir revaloriser le rire féminin, dans sa relation à la beauté. Rire en menace d'intégrité: comique du chaos, décorporation obligée, le rire est perturbateur en occident: censure et refoulement. Mais aussi rire en protection, en défense à la parole de l'autre qui ne trouve à se fixer: le rire est apotropaïque  (il détourne le mauvais sort), il "provoque le même effet sur l'ennemi". Le corps qui rit est désobéissance à une norme morale. Le rire de Sarah, femme d'Abraham apprenant sa maternité, en geste de foi, croyance en l'autre. Isaac son fils annoncé par le rire ! "Sur son seuil la femme rit" (J.-F. Lyotard, Un trait d'union). Le rire féminin en médiation, et résolution de conflit, et mouvement "vers". Retrouvailles des amoureux blessés. Echec du logos, parole divine, et réalité incarnée. Le rire recoud, recompose, corps-esprit.

 


Contagiosité du rire, comme du baillement: rasa d'humour (hasya). Même si Galien disait les femmes peu disposées à l'humour. Apologie de l’humour, ce "gardien du sentiment du sublime et de l’incommensurabilité du fini et de l’infini" (H. Blumenberg, La légitimité des temps modernes, 1974, traduction française Paris, Gallimard, 1999). Ouverture aux humeurs, loisir, ennui; ouverture au mâle:

 

 

Rire et acte sexuel, tentateur et indécent. Sexe et perte de contrôle, humidité et humeurs. Culpabilité (de "colpos"...). Menace, peur de la castration, Méduse, décapiter (dans l'occultisme, l'oeil de la méduse est celui du diable). Mais "il suffit que l'on regarde la Méduse en face pour la voir: et elle n'est pas mortelle. Elle est belle et elle rit (...). Nous nous sommes détournées de nos corps, qu'on nous a honteusement appris à ignorer, à frapper de la bête pudeur" (H. Cixous, Le rire de Méduse).

 

 

 

 

 

 

IV. Buccalité, oralité, érogénéité: vers un en-deça et un au-delà de la psychanalyse


1."...la bouche touche", "scène primitive" du corps chez J.-L. Nancy14



L'archi-première scène, c'est "ses lèvres remuaient", l'ouverture/fermeture de J.-L. Nancy: "le corps n'est que bouche", passage, pore-crible deleuzien, première zone érogène freudienne, oralité du rasa, "le hors au-milieu de moi qui est l'ouvrant", hors-tout, creux, a-loka. Selon l'orifice, il y a un "hors" du souffle, du désir, etc...: "la zone (érogène) est la pré-naissance du corps. Mais s'il s'ouvre, le corps est bien un lieu, c'est-à-dire une capacité de sens: la caverne de Platon ne serait alors que la métaphore de la bouche, cette ouverture sur un corps composé. En cette béance, le sujet s'y dépose. Non-organe, la bouche est hors-topologie, et pourtant le plus essentiel du corps. "Os" est embouchure (ostium); bouche est mouvement des joues gonflées, contractées ("bucca"), la buccalité est plus primitive que l'oralité, action des stoïciens ("premiers pas") plutôt que conflit des psychanalystes ("premier cri"), ego ne fait qu'ouvrir cette cavité, il n'y a pas toujours-déjà parlé. La bouche entre le cri, antre du sein, espacement, sujet: "j'y suis" plutôt que "je suis".



Le baiser est le comble de l'exposition, à même la limite, "mêler sans assimilation, incorporation, mélée de deux qui déjoue tous les pièges de l'un". Enigme du baiser sur l'oeil, scène primitive du baiser sur la main, sur le sein. La bouche est la chose (res) du corps, "infini fuyant de sens": il n'y a pas d'objet partiel pour Nancy, tout le corps se constitue à partir de la bouche, ou du sein, etc...

 


L'enfant Krishna, jouant avec ses camarades, a mangé de l'argile. Ses copains le dénoncent à sa mère qui accourt, affolée. Mais Krishna ouvre toute grande la bouche, et sa mère y voit l'Univers tout entier, les roches et les montagnes, et tous les êtres vivants... et elle s'y voit elle-même ! Elle, la génitrice de son fils, est dans la bouche de celui-ci !!  Affolée, elle consulte son psychanalyste et lui rapporte son hallucination. L'analyste s'endort tandis qu'elle parle, à son habitude,  mais cette fois Maman Krihna s'en aperçoit, se relève du divan, et constate que le thérapeute a même disparu du cabinet. Elle comprend alors  qu'en fait elle a bien vu le réel, la structure en abyme (et non en matrice, reproductible) du monde, selon le Vedanta, ce monde vivant unique, qui contient en lui-même tous les vivants. L'illusion était de se voir clivée de ce grand vivant, et elle-même clivée de son fils, et la bouche de son fils en simple organe de l'enfant. La bouche, qui parle et qui mange (et plus généralement le corps vivant) sont conçus comme des âsraya, littéralement des «points d'appui», supports indispensables à l'action de l'esprit, de la nature naturante, sur le monde19; autant de "Chora" sans doute (cf.  le corps (I): un volume en perpétuel effritement §I,1). Mais cet état de compréhension disparait aussi vite chez la mère qu'il était venu, et les camarades de l'enfant Krishna appellent à nouveau à l'aide, et l'analyste, de retour, s'est réveillé: "nous en resterons là pour aujourd'hui".


 

 

2. La douleur, embrayeur de l'érogénéité ?7


1914 - S. Freud, Pour inventer le narcissisme: le destin de la libido est l'investissement du Moi, Freud effleure avec la pulsion une sortie du dualisme occidental soma / psyché, "l'énergie" de celle-ci du côté des "anciens" et de l'"orient", son objet du côté de l'occident. Le Moi est alors un "chaudron en ébullition" entre le Ca (le Réel, un "chaos", ce contre-quoi  se construit le corps, avec pertes) et l'objet: l'objet se constitue en cessions de la libido15. L'érogénéicité ce sont les stimuli que l'activité sexuelle envoie dans la vie d'Être, et la douleur, ouverture, impérativité de l'excitation, apparaît en "embrayeur de la vie psychique":

 

 

 

Nous vivons sur une grève, entre ciel et mer.
Nous sommes des êtres protoplasmiques, nos parties charnues sont à l'extérieur (...).
A chaque nouvelle blessure on apprend la sensation particulière à la parcelle de corps concernée.
Elle s'éveille.(...)
 Chaque endroit de son corps où l'on se blesse ajoute un pan de plus à la conscience qu'on a des choses.
 On devient plus vivant.
Et au bout du compte, une fois qu'on s'est blessé partout, on meurt.


Annie Dillard
 L'amour des Maytree

 



Mais avant de mourir, le corps ainsi constitué au gré des zônes érogènes / douleur est discret, parcellaire, morcelé. A nouveau un mouvement entre le Moi des psychanalystes, tentative de condensation autarcique, avec des "abandon aux objets", et le Réel entropique, matière anorganique  où il n'y a plus d'objets.


3. Vers la féminité dans un "reste"16 à la beauté ?

 




Pour les psychanalystes, les femmes sont porteuses, mais pas créatrices, de la signification; elles sont objet de représentations. Des féministes, s'opposant à Freud, Lacan et leur non-symbolisation du féminin, se tournent (malgré lui !) vers Levinas, et son refus d'un clivage à l'Autre constitutif du sujet (cf. § III, 2). La créatrice Hannah Wilke, elle, "fait face à la métaphore"17 en forçant jusqu'à la mascarade l'exhibitionnisme "obligé" de la femme, dans des autoposes et des autoreprésentations, sapant par l'ironie le regard patriarchal. Atteinte de lymphome, elle exposera alors sa chair malade18, transgressant le confinement du corps féminin idéalisé:




Retour à la dislocation par le rire... Condensation du corps malade ou vieillissant, expansion du rire-beauté: passer outre le genre ?

 

 

 

 


Références et notes
1. Esther Cohen, Université de Mexico.
2. S. Freud, Une névrose diabolique au XVIIIè siècle.
3. ou hystériques... ces cicatrices du traumatisé, corps écrit par le bourreau, qui se rouvrent chaque nuit, et chaque matin deviennent la seule parole fiable...
4. Chantal Zabus, Université Paris Nord XIII.
5. Cette altérité du punk et des percings, étrange, marginale (homosexualité), voire inquiétante ("faune" des festivals), ressentie comme emprise d'une communauté sur le corps. Marseille fut bien porte du Sud et capitale des détatoueurs...
6. L'excision (par combustion) au Kénya est motivée par la croyance en un transfert orgasmique clitoridien au vagin, qui aménera Marie Bonaparte à proposer la distinction femmes vaginales / femmes clitoridiennes. Elle même se fera faire une plastie pour  rapprocher son clitoris du vagin, et tenter ce "transfert vaginal". Echec.

7. F. Villa, Université Paris VII Diderot.

8. Le corps européen, lui, est inscrit dans une douleur absurde et irrationnelle, celle de La colonie pénitenciaire de Kafka, inspirée peut-être du Jardin des délices de Bosch, et qui préfigure dès 1914 le "biopolitique" et Auschwitz en gestation...: inscription sur le corps de la sentence inconnue du condamné. 

9. Les modifications squelettiques, crâne et vertèbres, ou dentaires, ne sont pas reprises par les "primitive modernes" !

10. La chair est également l'invisible d'un corps, l'inconscient de la psychanalyse, la gorge d'Irma rêvée par Freud.

11. cf. travaux de Catherine Desprats-Pequignot, Paris VII Diderot.

12. Sylvie Duverger, Université Paris X Nanterre.

13. Daniela Carpisasi, Université de Rome La Sapienza: Fentes et éclats: les (sou)rires du corps. Interdictions - passages - dé-formations.

14. Ginette Michaud, Université de Montréal.

15. "L'objet a" de Lacan, ce qui se perd justement dans la construction du sujet, reste la cause du désir; fait écho également au placenta, ce tiers perdu, ce contrepoint du corps.

16. Ce reste de combustion, qui n'est pas, dans l'Inde traditionnelle, déchet, mais germe (Ch. Malamoud, Cuire le monde).

17. Isis Ortiz Reyes, Universitad Autonoma Metropolitana.

18. Dans une sorte de "méditation de l'horrible"...

19. F. Zimmermann, Philosophindia.

 

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14 avril 2009 2 14 /04 /avril /2009 09:45

Sur France-Info, avril 2009: nous sommes dans un univers qui est peut-être infini... infini et peut-être... alors quel retour au corps, cette limite dans le continu de la matière ?

Le corps: surface d'inscription des événements,
lieu de dissociation du Moi,
volume en perpétuel effritement.


M. Foucault, Dits et écrits II

Mais le corps est aussi un centre à trouver, dans l'écriture, la danse, ou l'amour, pour se connecter au monde sans s'y diluer ou se "chosifier":


Notes et réflexions autour de:
Penser les matières du corps: l'organique dans tous ses états

2 et 3 avril 2009
colloque organisé par Melina Balcazar Moreno et Sarah-Anaïs Crevier Goulet
Paris III-Sorbonne Nouvelle / Centre d'études féminines et de genres







I. Un point d'appui au centre des choses
(ECRITURE, THEÂTRE, DANSE)

1. Vivre c'est se défendre de la fusion aux choses



Artaud et Céline contre "les choses"1: dans l'épisode africain de Voyages2, Céline, immergé dans les couleurs et les "choses" de la forêt, prévient: "il faut faire attention aux choses". Artaud, lui, les défie. Mais tous deux ont le même rapport halluciné au corps et au corps de l'écriture. Dans les premiers chapitres de Chemins qui ne mènent nulle part, Heidegger dit: "la chose, lui laisser le champ libre"; Céline au contraire insulte la chose, refuse d''être englouti par elle, quitte la forêt tropicale alors qu'il allait être anéanti par elle. "Sinon les choses se fondent peu-à-peu en nous, dans cette forme progressive de mort": la mort est chosification, ici il craint semble-t-il de mourir par condensation, par forçage interne de sa limite par le matériel, à l'inverse de la mort-folie entropique selon Bergson, Deleuze et Guattari, ou Prigogine, où le sujet s'expand au "chaos".  "Vivre c'est se défendre" de cette fusion aux choses, et le corps est pôle entre ce processus de préservation de son interne (lutte contre les choses) et cette force de dissociation liée à la perception de l'environnement, dont la représentation nous protège.


(schéma)


Il y a, pour Céline, dans Mort à crédit, toujours à l'écoute des choses, un "point à trouver" au fond des choses, par lequel on peut se laisser traverser sans s'effondrer. Une sorte de passage, donc, au sens où l'on est traversé, un noeud à égale distance de l'effondrement winicottien du sujet et de l'expansion chaotique deleuzienne. Pour Derrida le terme grec Chora (qui signifie "espace", "lieu", "pays") contient également une connexion irréductible à la féminité ("mère", "réceptacle", "nourricier"), Chora serait ce point d'appui d'où les choses sont hominisées et les Hommes chosifiés; l'écriture s'y transforme en délire total, on y tend à la sexualisation de l'écriture. Peut-être pourrait-on également  rapprocher ce point de la notion sanscrite d'"artha," qui est à la fois chose et objet, et est connectée (yoga) aux organes des sens - et donc au vivant - par l'esprit, le manas, ce lien (mais instantané) sujet-objet. Cette connexion, cette "puissance magique" du passage des choses en l'homme est l'essence de la violence de Mort à crédit: "je sens monter les choses".



Pour Arthaud, écrire c'est crier, c'est une ouverture aux choses, son écriture nécessitait oralité, percussions, transe, "oscillation du corps", comme dans les crises hystériques exhibées par Charcot devant Freud. Devant l'intrusion de la puissance des choses, le corps reconnaît sa contingence, dit J.L. Nancy ayant reçu une greffe d'organe: les choses font, après-coup, événement en notre corps. Pour F. Ponge également, c'est d'être "dérangé" par les choses qui fait écrire.  L'écriture de Céline, comme celle d'Artaud, est bien un corps, bouleversé en permanence, et sa hantise du "breakdown"...




2. Le corps vivant est en tension entre matérialité et fantasmatique


 Sur le corps vivant du spectateur à l'épreuve du théâtre3 pèse un code, basé sur l'illusion. La "contrainte" du corps est nécessaire à la "prise" au jeu des acteurs, car un effet de la salle sur la scène pourraît dissiper la magie, la connexion): il y a, même dynamique que précédemment dans l'écriture, une tension, entre le rapport à la matérialité du corps (ancrage à l'inconfort du fauteuil, à l'odeur du voisin) et la levée de matérialité, but des acteurs, ailleurs, illusion, fantasmatique. "La révolte d'un corps peut menacer toute la magie du spectacle": on se maquille, on masque les effluves organiques du corps-machine; et la connexion dans la performance est rasa, oralité, sympathie, celle du corps humoral, tissulaire, cohérent, sans organes, et qui peut être mis en mouvement. On ne se maquille pas devant la télévision, simple face-à-face de représentations, sans interaction, théorie de l'information réduite à son plus petit dénominateur; le rapport scène-salle est lui... "sensal" ! Le théâtre ne permet pas l'errance des sens; il nécessite un "tuning" empathique entre performeurs et assistance, sur un canal humoral précis; le théâtre est du registre "on/off" et on peut donc s'y ennuyer dans son corps, comme à l'église on se balance d'une jambe l'autre.  Dans un concert par contre, l'ouïe est en errance perpétuelle pour explorer le bruit, il n'y a pas de code imposé, et multitude de canaux possibles. Passivité télévisuelle, dirigisme du théâtre, nomadisme du concert; travail vital, entrelacements multiples, de l'écriture-lecture. Le film, lui,  est un livre lu pour vous: moins de canaux certes, mais pas de fréquence unique, synesthésie son-image, le corps y est moins sous contrainte.





3. L'autre est l'invisible qu'on habite, l'autre est le corps qu'on habite4


Cette phrase dit à nouveau, avec force, ce noeud qu'est notre corps à l'interface de l'autre-monde, immanent, et de l'autre-génération, matrice, vertical. Et comme dans une expérience d' extracorporéité, on se pose la question: "qui est moi, qui est l'autre" ? Pour l'Inde, le corps est appropriation du monde sensible, qui s'inscrit dans l'instant, le corps est lieu de découverte de soi: agir sur le corps c'est prendre possession de soi, et l'acte, ou karma, est bien ce yoga qui connecte aux choses (cf. § 1). Les sciences humaines, et les arts, sont sources de nouveaux savoirs sur le corps, sur ce "point à trouver", ce "quelque chose d'universel" à transmettre par la danse, ...Chorée, ancrage  qui permet de ne plus être dépendant de ses conflits constitutifs, d'être à l'espace et d'être au-delà du bien et du mal:


 La danse est l'invitation extatique au centre immobile du vivant

R. Tagore


La danse contemporaine cherche à éliminer le poids de la tradition pour atteindre à cet universel; les vecteurs en sont les rasa, enveloppes humorales des émotions,
"outils" du Natya, la "danse" classique indienne, qui est en fait une forme syncrétique de spectacle alliant danse, mime, musique et chant. "Sam", parmi ces rasa, est le but ultime, l'accord, la totalité, le contact entre l'énergie spirituelle et le spectateur, ancrage dans son imaginaire, un fil à suivre. Il s'exprime, après un enchaînement de mouvements, lors d'un arrêt, "soudain éclat de figement extatique", "Sam" qui permet à la danseuse de se dissocier du temps-espace pour se connecter à l'énergie divine. Ainsi la danse va bien du sacré, dans ses connotations initialement dévotes, au sacré avec la "danse pure", déchargée de la tradition, conjonction d'émotion:


Là où va la main, le regard la suit,
Là où va le regard, l'esprit (manas) s'y met,
Là où va l'esprit, l'émotion (bhâva) s'y accorde,
Là où se trouve l'émotion, le rasa s'y trouve aussi.

Nandikeshwar




II. Ecriture de l'infini: l'anorganique5



Où l'on retrouve Artaud, mais aussi les écritures de l'impensé, de l'infime, mais aussi Deleuze, et le Réel lacanien. Des multiplicités, et une forme corporelle: quelles sont ses limites ? Y-en a-t-il ? Pour Bataille (repris par P. Fedida dans Par où commence le corps humain ?), l'animal commence avec sa bouche, oralité des rasas. Mais l'homme ?  Et dans le temps, quelle limites, vers la naissance, vers la mort ?  Et ces conditions sociales où parfois nous ne pouvons plus être corps ?




Dans le processus anti-entropique, contre les choses, invasion repoussée, risques d'explosion de cette limite incertaine, nous tentons l'émotion en voie médiate et médiane: la perception pure nous désorganicise, la représentation nous clive totalement du flux; le passage des humeurs est seul tenable, et jointure au monde. S'"élever" ensuite de l'animalité par abstraction, mais secondairement. Si l'image nous tue au monde, le "lâcher-prise" total tue à la vie, risque l'angoisse ou l'agressivité de désubjectivation. Lâcher-prise pour sentir, puis sentir pour penser: Dieu, les Autres et Soi; le Réel, un réseau de limites, et l'acte de création.



Dégoût de l'organique d'Artaud, dégoût du sexuel (pour lui le corps est châtré, et donc entiérement sexuel car asexué), corps "barbaque", l'écriture est arrachement au corps, extirpation, et pas accouchement de la pensée. Le corps d'A. Artaud est en puissance, en gravitation, "globules éclatés suspendus dans le vide"6, un corps entre sujet et objet. Le corps est toujours en instance de mort pour Artaud, comme pour Blanchot, qui ont vécu leur mort comme "survivance dans le présent" (la "contingence" chez J.-L. Nancy).



Deleuze aussi pense l'impensable matière, opposition au concept de chair, celle du monde comme celle du corps, cette "chair qui précipite dans la phénoménologie". Le corps de l'homme dépend de forces non-humaines du cosmos (cf. Spinoza), et a un devenir non-humain; il est défini par ses affects, ses possibles, son devenir.  Mais ne nous y trompons pas, Deleuze a une approche matérialiste (l'anorganique est de la matière, mouvante, émouvante, "sensorielle") mais il récuse le modèle de corps organique, avec ses organes placés dans un ordre immobile, et phallocentré, cette "série binaire/linéaire", ce corps oedipien, celui de la reproduction.



L'anorganique de Deleuze est le bloc de sensation, oeuvre d'art qui existe par elle-même, comme être de sensation, qui excède le corps sentant. Il y a de la sensation non organique. Alors que le "classicisme kantien" voit un dualisme entre les sensations, externes, et les émotions, internes, pour Deleuze sensations et émotions appartiennent à l'être pré-individuel, et pas à l'artiste; elles ont un vécu objectif, indépendant du subjectif (cf. Qu'est-ce-que la philosophie ?). Les "blocs de percept-affect" sont le langage de la matière anorganique, le percept est plus que la perception, il est au-delà du sujet, il est un être qui excède tout vécu, "le matériau passe tout entier dans la sensation"7. Pour Deleuze, il n'y aurait pas d'auteur de l'oeuvre, pas de spectateur, pas de lecteur: la connexion au Réel rend toute la matière expressive, l'Être est capable de redonner l'infini du chaos via l'artiste.



Il y a, chez Deleuze comme chez Artaud, une même approche mélancolique, via la mort du corps, "nuit mystique", une obligation de passer par le côté déjection, pour aller plus avant peut-être; le corps a des limites, l'Être n'en a pas.



Une "écriture vivante et nue, terrible à surmonter", dit Marguerite Duras dans Ecrire (1993): des voix non identifiées, comme dans Le vice-consul ou India song... car l'affect serait transpersonnel, on éprouverait à l'extérieur de soi8, il y aurait très peu d'intériorité subjective chez Duras, on éprouve ailleurs que dans les corps, l'écriture nue, affect qui "shunte" les humeurs et "snobe" les corps ? "L'Amour est répandu", dit encore Duras. Le bloc de sensation (Le-lilas-a-été-pillé, etc...) est de la matière anorganique qui continue de vibrer, comme dans les rondes enfantines qui font retour dans l'oeuvre, cette "palpitation émotionnelle de la vie" que recherchait Artaud (et qu'on retrouve aussi dans les traits en coups des impressionnistes).






Références et notes
1
. Véronique Lane, Universités de Montréal et Paris VII-Diderot.
2. Lecture frénétique d'il y a quelques années: déjà ce mouvement deleuzien contraction / expansion, qui ne se disait pas encore.
3. David Schwaeger, Université de Montréal et Institut d'Etudes Théâtrales, Paris III.
4. Tapas Bhatt, Université de Paris III et résidence internationale d'artistes Kala Khoj (kalakhoj@auroville.org.in), et Maitryee Mahatma, Université Paris Nord-XIII.
5. Evelyne Grossman, Université paris VII-Diderot.
6.
A l'image du corps du psychotraumatisé, qui par sa dissociation, a échappé  à la condensation totale par la douleur, n'en possédant que des noyaux organiques autour desquels gravite une atmosphère criarde, instable système subjectal tiraillé entre expansion et rétraction.
7.
Voir le "cube de la sensation" de Pessoa, cité par Deleuze, mais dans le sensationnisme pessoen on trouve un degré supplémentaire d'autonomie du sujet à la matière, l'oeuvre d'art contribuant à la création de réel supplémentaire.
8. Mais dans La Douleur, alors...?? Cette compassion ???
Pour les psychanalystes (E. Grossman, F. Villa) "définitivement", (...mais à l'exception de Freud, qui lui continue à s'interroger, se confronte à "Das Ding", ce noyau intime d'altérité et de douleur), la douleur est bien externe au sujet, elle est l'Autre qui entre, qu'on ne peut jeter au dehors (Ferenczi); l'introjection n'est qu'une non-objectivation du Réel. Narcissisme du moi-sac kleinien. Mais l'excitation est bien d'origine centrale; la douleur est dans un pôle perte de libido/ formation d'objet versus tentative des "choses" de refusionner au centre.  Pour les philosophes, la douleur est ambiguïté de la limite, ou déplacement inapproprié des limites du sujet dans un contexte  donné, comme pour les physiologistes, pour qui la douleur-inflammation est processus externe à la cellule, mais en même temps perte de la limite de cette cellule... Eprouver à l'extérieur de soi, dans l'anorganique, au risque de la douleur de désubjectivation, ou se mettre en conjonction à soi-même à l'occasion des Autres, "okeïosis" des stoïciens, au risque de l'individualisme ?


(...)  tous les poètes lyriques et les philosophes incluent simplement toute la douleur d'autrui dans la leur. C'est encore plus simple; ils ne font pas de différence entre leur propre douleur et celle d'autrui.

M. Tsvétaïéva, Le ciel brûle

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13 avril 2009 1 13 /04 /avril /2009 17:46
l'Inde est l'inconscient de l'occident

Sudir Kakar
 Les Indiens, portrait d'un peupl
e





L'Inde est d'une autre échelle aux yeux de l'occident,
démesure et intemporalité,
qui fait rêver

(Autour de la conférence donnée par Catherine Clément et Roger-Pol Droit
 à la BNF, mars 2007)



Sudir Kakar,  Indien de formation psychanalytique occidentale, nous rappelle que  la propreté anale n' est surtout pas en Inde un sujet tabou, il faut savoir inviter.  Démarque freudienne.

 

A la fin du XVIIIè siècle, Friedrich von Schlegel, romantique allemand, vient à Paris apprendre le sanscrit, dans une quête d'antériorité à la Grêce comme à la tradition juive. De nombreux textes indiens sont traduits en anglais puis en allemand. Mythe d'une Inde immobile et préservée du modernisme: sur les ghats, on croiserait des déesses grecques et des gymnastes. Un lieu fusionnel qui permettra une renaissance orientale de l'Europe; 1844: Eugène Burnouf produit une synthèse magistrale, à partir de sources élargies (chinoises, pâlis, etc...) sur le bouddhisme. Une somme qui influencera Nietzsche, Schopenhauer, Wagner. Schopenhauer légitimera cette vision des romantiques en admetant trois sources à sa pensée: Platon, Kant, et les Védas1


Une « deuxième image de l'Inde », aussi, en menace philosophique et religieuse, car le bouddhisme est perçu négativement, Néant (cf. Quinet, Hegel, etc...), ce dont s'accommode bien Schopenhauer. Au XIXè  le bouddhisme est assimilé à une destruction.


Et puis Tagore et Gandhi se feront piéger par Mussolini2. Mais est-ce que ça aussi ne ferait pas partie d'un folklore indien bien occidental ? Aurobindo fustigeait le nazisme, en tout cas. Les nazis ont lu Horizons perdus3 et se sont précipités à Shangri La. Moi aussi. Les contraires qui sommeillent en tous, que l'Inde gère, que nous travaillons en « on-off », faute de mieux. A suivre. Attention au RSS quand-même, en attendant; aux théories fondatrices du concept de racisme bien de chez nous, Gobineau 1853 bien sûr,  mythe d'une communauté culturelle aryenne4. Tagore sombre ET lumineux.


 Années 60: « reviviscence » bouddhiste en Inde, le bouddhisme en « monothéisme égalitaire », comme l'islam et le christianisme. Ambedkar, premier leader des parias, initie les conversions de masse. L' « Intouchable » qui conserve son regard seul s'en sortira, dit Catherine Clément, souvenirs d'ambassade5. Il y a un tout petit million de bouddhistes en Inde aujourd'hui, des conversions se poursuivent.

Années 60: mouvement hippie et contre-culture américaine. Hypothèses Gaïa, Physique du Tao et autres New-Age importent en occident dualiste  l'immanence de la pensée indienne et le lien des vivants à la terre. Utopies mais aussi écologie. Résistances au système capitaliste, mais aussi marché juteux de "manuels de
développement personnel". La compagne d'origine française de Sri Aurobindo crée Auroville.



XXè siècle. L'Inde se réapproprie les savoirs occidentaux sur ses traditions... Lamas incultes, manuscrits enfouis, traduits il y a deux siècles et trop bien vénérés... Aujourd'hui, l'orientalisme indien apparaît en produit occidental...6 Vers une nouvelle approche...



L'Inde, contrairement à la science, plus on en sait plus on en rêve, concluera R. P. Droit. Et de regretter, entre les sagesses occidentales et les spiritualités orientales, l'oubli de l'Inde philosophique7, quelque part en Europe dans le « néant » d'un bouddhisme fascinant. C'est la faute aussi à un Heidegger qui voyait « tout grec ».





Notes
1. En Allemagne, on accusera Bergson d’avoir plagié Schopenhauer et Nietzsche...; en Autriche, un certain Sigmund Freud aurait été influencé par Schopenhauer.
2.
C. Clément, L'Inde et la tentation nazie, en préparation.
3. James Hilton, Horizons perdus, 1943
4.
Tiens, mais pourquoi donc récemment encore notre "Front National" s'en prenait-il aux Tamuls, « envahisseurs » du Sri Lanka ??? D'où lui vient cette anti-culture historique ? Sanscrit "contre" Dravidien...
5.
Les autres, qui perdent le regard vers l'extérieur, ces « musulmans » de J. Semprun dans Le mort qu'il faut, déjà morts pour leurs anciens compagnons de camp...
6.
S. Rushdie, Les enfants de minuit.
7. François Chenet, La philosophie indienne contemporaine, PUF; Francis Zimmermann, Philosophes indiens contemporains.
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12 avril 2009 7 12 /04 /avril /2009 21:50


Il n'est pas tout-à-fait minuit,  Pâques,
et peut-être mort, il est temps, donc, d'ouvrir ce livre dont j'aurais tant voulu le tome II impossible, et à venir. Acheté pour la beauté, encore aurovillienne, beauté en même temps que La douleur, il sent le vieux bois citronné, vieille armoire, temps qui a passé. Un dire (souvent féminin) d'une impossible rencontre au travers d'extases, de grâces et de blessures. Seul ce soir il peut m'attirer en moi, faire corps, un corps où ressurgissent les chants des oiseaux de l'Inde. Combien, oui, ce livre se présente au nom d'une incompétence ! Il ne s'agit pas d'une voix qui fait retour de l'ancêtre - pas uniquement - car l'absent qui parle n'est plus au ciel ni sur terre mais dans la région d'une étrangeté tierce - il est ce voyeur même qui savait et suivait nos coïts -, d'un entre-deux, et il exprime la ...Saudade !!!, cette nostalgie d'un pays qui est maintenant autre que le notre: ce que les mystiques mettent en cause n'est pas réductible à un voyage dans le passé; cet ailleurs n'est pas autre part, ils le produisent et le défendent à la fois.


La boucle ainsi se boucle en Pessoa, d'où elle naquit, en Nocturne Indien, vers 1989... Vingt ans de "piétinement" auprès de la porte, dit-il encore... Cette entrée n'était faite que pour toi. Maintenant je m'en vais et je ferme la porte.


M. de Certeau
La fable mystique, tome I, 1982



Soleil pâle des jardins de Lisbonne
Joueurs de cartes à l'envers
Malle butée
Fados
Théosophie
Infirmes de nuit à venir
Trains sans voix, intraduisibles, féminins
Inde, immanence, poètes de la poussière
Dillard, Teilhard, Aurobindo
Ici se revolte l'initiatique
J'ai grandi toutes les pertes et de toutes ces portes
Qui se ferment sur Elle, Sekina
De retour, au nom d'une incompétence, prêt


Baiser de mort ?



Je le savais inchoatif, je l'apprends ce soir apotropaïque.
Et je sais maintenant la lecture métonymique.
Aller à Madrid, musée du Prado, Jardin des délices.


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12 avril 2009 7 12 /04 /avril /2009 10:23




Le Génipateur poursuivait - immanquablement - en variation continue  sur le thème de la matrice et du livre:

"La mère, bien sûr, on croit un jour l'avoir tuée, et puis il y a ce manque, et toutes ces pilules que l'on prend. Je me suis toujours demandé si dans le bouquin d'Huxley, cette pilule du bonheur distribuée à tous les clones, le fameux soma, ne contenait pas la mère !
Le livre de Casarès, lui, est un des rares qui pouvait être édité en France à l'époque, c'est même étonnant d'ailleurs, dans la pénurie de papier du moment. Casarès l'a sorti fin 40 en Argentine, et je l'ai déniché à Toulouse en 1942. Je l'ai lu et relu par la suite dans mes planques, et je crois qu'avec mon chat c'est une des rares choses qui m'ait aidé à tenir. Seul souvent, sans parler,  et cet attrait de l'image,  comment voulais-tu ensuite que je fasse un autre..."choix", en fac, quand cet autre Morel organisait une chaire d'ophtalmologie, la médecine de ce récepteur de l'image ! Bel exemple de ce manque, derrière nous, qui motive nos... "décisions" !

Mais si ce livre a été édité si vite en France, il y a aussi sans doute un bas-fond idéologique, je n'ai pas de certitude, mais l'Argentine n'a jamais été franchement hostile à l'idéologie nazie, tu le sais bien, dans l'introduction de Borges comme dans le texte, il n'y a aucune allusion à la guerre, ce qui est très fort fin 40, même en Amérique du Sud ! Non, je pense qu'il y avait une volonté délibérée de pouvoir être publié en Europe occupée, d'échapper à la censure, et pas seulement pour des motifs commerciaux. Et puis sans doute y-a-t-il eu un engouement quasi-mystique chez un gratte-papier de Vichy, qui s'est démerdé pour fournir les bons de papier nécessaires. Mais peut-être aussi est-ce venu de plus "haut", d'un dignitaire nazi qui voyait déjà dans l'invention de Morel une possibilité scientifique, un outil politique,  et de conquête des âmes, dans l'esprit de leur mission des années trente à Shangri-La, en quête d'un Graal de longue vie. Et sans doute y-a-t-il bien eu ... un peu de tous ces projets là..."



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10 avril 2009 5 10 /04 /avril /2009 23:26


Dans
La Ruée vers l’or, une tempête de neige déporte jusqu’au bord d’un précipice voisin la cabane où Charlot passe la nuit. A son réveil, il traverse la pièce pour sortir: son geste fait dangereusement pencher le chalet, car déjà la porte donne sur le vide; s’en approcher, c’est se perdre. Mais, par son recul, qui rétablit l’équilibre un moment compromis, il s’enferme dans une situation désespérée. Tour à tour son pied avance et se retire, tâtant le plancher qui pivote sur un axe invisible... A cette image d’une vie qu’il est également impossible d’habiter et de quitter, on peut comparer la situation créée en mai dernier. Il se pourrait que nous soyons enfermés dans un langage désormais perçu comme inacceptable et pourtant privé d’issue: il n’y aurait de sortie que vers le nihilisme, et de retraite que le conformisme. Un déplacement s’est produit. A notre insu peut-être, une ligne partage en dessous, entre son sol et le vide, notre « plancher » culturel; quoique encore intact, déjà pourtant il a vacillé tout entier.


Deux mouvements opposés, en mai et juin, trahissent ce partage du sol. Ce ne sont plus la gauche et la droite, puisque leur jeu obéit aux mêmes règles, les événements l’ont montré. Ces deux réactions rappellent plutôt le geste qui ramenait Charlot vers le fond de son chalet ou qui le conduisait du côté du vide. Mais il y a aujourd’hui beaucoup plus de gens qui obéissent à un réflexe de sécurité : leur nombre assure provisoirement la stabilité de la cabane, et ils ont même le luxe de jeter à la porte, comme « aventuristes », quelques-uns qui ne le souhaitaient pas du tout. D’autres préfèrent l’exil, mental ou effectif, à un ordre fermé.


M. de Certeau, La prise de parole, juin 68, Etudes
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7 avril 2009 2 07 /04 /avril /2009 19:31
Le "père" ne meurt pas.
Sa "mort" n'est qu'une autre légende et une rémanence de sa loi.
Tout se passe comme si jamais on ne pouvait tuer ce mort (...), qu'il s'est déplacé une fois de plus, et qu'il est là précisément où nous ne le soupçonnons pas encore, dans ce savoir même et dans le "profit" que ce savoir semble assurer.

M. de Certeau, L'écriture de l'histoire (1974)
à propose de S. Freud, Une névrose diabolique au XVIIè siècle (1922)





Un texte où mon père de Certeau - le lacanien !?tue mon originaire structuraliste éliadien, cette érudition "scientiste" plus que scientifique, et proche de ce bazar oriental auquel une "philosophie des religions" s'est longtemps fait un honneur de ressembler: on y range ensemble, selon leur forme, les pots de toute provenance, et tous les diables à mamelles s'y trouvent sur le même rayon
(...). Mais je me déplace, donc: n
aissance certeaulienne à l'interdisciplinaire1, mon originaire n'était pas structurel, mais bien cette immortalité qui nous pousse par derrière, vers un inconnu à construire, à s'ouvrir: cet Orient, ce Réel.



L'histoire serait cette progressive initiation à des structures asilaires, chaque "discours" social effaçant à son tour les symptômes de ce qui l'a fait naître. La culture interviendrait en déplaçant les représentations (par exemple, on ne croit plus au diable). Mais, en effaçant un imaginaire (devenu archaïque à cause de ces déplacements eux-même), elle (...) se contente de camoufler autrement et mieux.



Vous ne croyez donc plus au diable, c'est vrai.
Mais vous croyez maintenant au terrorisme international que les médias vous assènent.
Vous mettez donc, cher lecteur, l'étranger en Centre de Rétention Administrative (CRA): cacher reste un moyen de se croire "guéri". Vous déplacez.
Les camps, eux, cachaient leur mal absolu.
Vous ne croyez plus au diable et le pape est ridicule.
Vous ne croyez plus non plus aux guerres entre états européens.
Mais vous croyez au "danger terroriste" exercé sur l'hypernation capitaliste.
Et Nicolf en deviendra ridicule.
Les possédés étaient mis à l'asile par la religion,
Les ennemis au stalag par la nation.
Les étrangers sont mis en camps par le commerce:
A mi-chemin, les Konzentrationlager du racisme.


Religion et commerce se réfèrent également  à un "pacte", que les deux mots portent inscrits dans leur étymologie. (...) On devra se demander ce que le commerçant "achète" véritablement de la clientèle qui le nourrit.


Silence du commerçant, silence du système; mais ...crise économique et tous les "sans" (-papiers, -domicile, -soins, - travail, etc...) s'expriment, ils sont le symptôme, le cri de la maladie du système. Il y a une liturgie commerciale, norme, "santé", "profit"; et il y a un écart au "normal", cette décroissance obligée ou volontaire, symptôme, "manque".




Après tout... peut-être Benoît XIII devrait-il nous obliger à croire à nouveau, chaque nuit, au diable... et à réouvrir les murs de nos camps terrestres... ?







1. Cette science dure, qui par concertation entre sciences affines, provoque un nouveau découpage de leurs objets, et un nouveau statut de leurs procédures.
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6 avril 2009 1 06 /04 /avril /2009 20:44
Tous ceux qui regardent par la fenêtre
vers le quai improbable
quand juste le train démarre
(beauté)

Tous ceux qui calculent
le plus faible
n'osant la solitude de leur ennui 
(superficie)


Tous ceux qui s'éventrent
de pieux
du vent   
(atteindre)

Le but du voyage: vient de surcroît



Ca tire par la chair
Ca se ruse au jeu du sérieux
A l'apparence, à faire, pour tenir 
(la maison)


Ca lie à l'instant du balcon clair
L'instant qui prend
le monde empire 
(affection)


Ca pleure au rire des jeunes
installés
enviés de confort
morts d'ici, du maintenant

On ferme. On reçoit: l'appel imago
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6 avril 2009 1 06 /04 /avril /2009 16:00
A l'heure où tout enfin est presqu' à basculer vers l'autonomie d'être,
et d'être ensemble,
une famille subitement germée
en laissant chacun et chacune en liberté,
un peu obligée par la pierre-qui-pousse;
mais  aussi  le trou noir encore hier soir qui a rogné
tentant de tout lapper à son envie bloquée;
à cette heure polaire d'entre-peur
il est temps de dire



Je crois que nous perdons l'immortalité
parce que la résistance à la mort n'a pas évolué;
nous insistons sur l'idée première, rudimentaire,
qui est de retenir vivant le corps tout entier.
 Il suffirait de chercher à conserver seulement ce qui intéresse la conscience.


                           A. B. Casares
 L'invention de Morel
 1940













Le Génipateur:

(supposé ayant été lecteur)


"Ta conférencière n'a  pas dit, ou tu n'as pas entendu, l'essentiel: c'est un justiciable en fuite qui découvre l'invention de Morel, suivant à l'amour un fantôme comme on suit à l'estime un coq et pas du tout comme on suit une carrière. Tu n'aimes pas l'expression faire carrière et tu as raison: on ne fait pas une carrière, on poursuit quelque chose, tout comme le narrateur de Morel qui se dit condamné injustement, ce qu'il a perdu va le conduire à une découverte".

(à suivre)
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4 avril 2009 6 04 /04 /avril /2009 12:21
Il me chantait à la veillée de mes huit ans et je ne savais pas, je recevais.
Chemins croisés, perdus, vagués; nocturnes indiens, longtemps.
Et puis un soir un retour sur moi-même: Allwright chantait Aurobindo... !

Graeme Allwright, Jeanne d'Arc

La Lumière est partout dans l'oeuvre de Graeme Allwright: Le Jour de Clarté, Ombre, Transformation Blues, Lumière, etc... Cette lumière intérieure qui l'habite et qu'il tente de nous faire partager, "still touring", doit beaucoup à la rencontre spirituelle entre le chanteur et "un grand penseur hindou", comme il le convoque sur scène, Sri Aurobindo. Rien de fortuit, rien d'un accident de parcours, mais depuis longtemps un chemin en compagnie de philosophes - certains diront de mystiques - (Teilhard de Chardin, Maître Eckhart, François d'Assise, Le Bouddha, etc...) qui tous refusent la vision de notre existence réduite à ses aspects matérialistes  et nous incitent à nous préparer à recevoir cette Lumière dont nous sommes séparés.

Poems by Sri Aurobindo
 recited by Graeme Allwright
the legendary French folksinger born in New Zealand


Aurobindo (1872-1950) s'oppose à la colonisation anglaise du monde indien, mais considère aussi que la non-violence pronée par Gandhi ne peut être efficace. Il fait le constat de l'échec du mode de développement économique occidental, vide de sens et source de conflits guerriers (une époque qui s'est résolue à vider la vie de son sens en transformant la terre en une espèce de fourmillière ou de ruche magnifiée), et il prône des actions de développement durable (Il est louable de couper des branches dans l'arbre de douleur d'un homme, mais elles repoussent; prêter main-forte à cet homme pour retirer les racines de cet arbre est une façon d'aider encore plus divine). Après un séjour dans les geôles anglaises, où il fait une expérience spirituelle, il fonde à Pondichery l'ashram où, retiré de la vie publique, il développe sa doctrine: l'homme n'est qu'à un stade bien imparfait de son évolution, et le développement de ses capacités spirituelles doit aboutir à l'éveil d'une supraconscience, mental de lumière, connaissance directe du divin. Il élabore un Yoga intégral qui doit permettre à chacun, par un travail sur soi-même, la progression vers ce nouvel état, de faire descendre en nous par l'union avec la mère divine toute la lumière. L'originalité de son enseignement est qu'il ne s'agit pas uniquement d'aller vers le divin dans un but de libération du corps, de la matière, mais aussi d'assurer le mouvement inverse, l'accueil en soi de l'énergie divine, divinisation de la matière, réalisation. Le mysticisme d'Aurobindo est "actif", cherchant à modifier le monde d'ici-bas, sans fuite dans une immatérialité impalpable.



La Mère, compagne d'origine française de Sri Aurobindo, créera après le départ de ce dernier, près de Pondichery, la cité d'Auroville, qui doit allier modernité et philosophie de Sri Aurobindo. Le projet est soutenu par l'UNESCO. Graeme Allwright a fait de nombreux séjours en Inde et contribué pratiquement au reboisement d'Auroville, zone aride qui fut transformée par ses pionniers en forêt tropicale. Cette cité utopique est une des rares expériences communautaires des années 1970 - sinon la seule - à survivre quarante ans après sa fondation. Expériences écologiques, architecturales et spirituelles s'y cotoient dans un climat de non-dirigisme et de liberté individuelle. Graeme Allwright, qui croit fortement en la philosophie d'Aurobindo, critique cependant certaines dérives élitistes ou sectaires de la cité, et considère que "si l'homme nouveau doit venir, pourquoi serait-ce en un lieu spécifique et non partout ?" Cependant, comme Aurobindo, Allwright a évolué d'un engagement plus politique (engagement antimilitariste lors du "Larzac", contenu révolutionnaire de ses premiers protest-songs) vers une recherche plus spirituelle, un combat plus intérieur: "le système capitaliste, basé sur le seul profit, n'a pas d'état d'âme. L'homme n'arrivera jamais à une justice sociale pour tous par les moyens matériels (...). On ne peut s'en sortir que sur le plan spirituel".


Certaines des chansons de Graeme Allwright reprennent des textes d'Aurobindo ou en sont directement inspirés. Lumière, réguliérement chantée en concert, est ressentie comme une véritable profession de foi du chanteur:


The children coming through the haze, coming to the final phase of evolution...


La chanson My cells are changing est elle directement inspirée du yoga cellulaire de Mère. Parmi les autres textes "aurobindiens", on a par exemple Le monde se prépare a un grand changement, Nirvana, Sun song, Transformation blues:

Dans la matière s'allumera la radiance de l'esprit,
en chaque corps brûlera la naissance sacrée
.



Graeme est conscient que ces textes très chargés spirituellement peuvent parfois "mal passer" en concert, mais, dit-il, "si je touche une seule personne, c'est positif". Et, c'est sûr, nous sommes bien nombreux au fil de ses concerts à être touchés de la façon que décrivait si bien la Mère: ces minutes de contact avec l'âme sont souvent celles qui marquent un tournant décisif dans une vie, un pas en avant, un progrès de conscience.

Un des derniers darshan de La Mère à l'Ashram
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