Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
6 février 2011 7 06 /02 /février /2011 10:06



Le  chant de Fegalor

Un hypertexte libre de
Jeu et théorie du Duende
Federico Garcia Lorca
traduction L. Amselem
Allia, paris, 2010

 

 

maguelone.JPG

 


Le duende m'a été offert et je n'y peux mais car je vous en suis redevable, de ce traumatisme là. Ce tiers, interdit et indicible, noeud de la poésie Garcialorquienne, et donc fissure lumineuse de Leonard Cohen, et de G. Bataille, et donc mon troisième de l'amour, cette réalité tangible des instants où plus rien n'est tangible d'avoir tant touché. Jeu et théorie, et une théorie de troisièmes pour un poète toujours seul, douloureux, éternel sortant d'exil, pléonasme. Autour d'un verre de vin de la carte d'ici, la poésie est bien – et ce serait intéressant de faire là hic and nunc un AVC massif en cette seconde même, et de garder mon secret avec le seul ami Broca – la poésie c'est bien mettre le corps sur la carte d'ici, et non plus muse ou autres anges marcheurs, terriblement marcheurs: la poésie c'est le troisième qui se pose.



Une seule version donc pour deux brouillons, une seule version pour mille traducteurs, la traduction de la poésie ne peut être que neutre, elle est contrainte à l'exactitude, le traducteur lui s'y tord, et s'y tord, mais n'y peut rien d'autre-dire de cet outre-dire. Le traducteur n'y peut rien d'autre-dire dès lors que le troisième s'est posé sur les pages d'hyper-dire, le traducteur qui se tord en lien hyper-texte et c'est tout , Tout: le traduire est rasa de l'auteur au lecteur, le traduire est la performance qui ne fait plus ni auteur ni lecteurs, pourvu que tous soient poètes, et être poète n'implique surtout pas d'écrire: juste d'habiter, d'habiller le duende.



Esprit follet, ce rasa de toi à moi, unique de nous et pourtant universel. Tu liras en moi tout ce que tu y voudras, mourir en moi de m'y tromper, mais tu es gagnée au rasa, tu as traduit notre duende, et me trompant autant que toi je gagnerai le même troisième de nous. Alors nous détrônons l'amour-fusion, cette autre illusion du non-limite, pour glisser vers nous sans plus de sens à porter, alors nous jouons l'autre sans plus de distance et sans nous enivrer du vent, sauf la première tempête, celle qui avait tout donné, première pierre d'inutile, inaugurée non plus au premier sang mais au premier dans, première pierre qui se meut toujours de nous à venir à venir et encore.



Maître de la maison, le duende a fendu ton toi.



Buvons. Tu es enfant, tu es vieillard, tu es ce chardon qui flotte dans les lunettes de jamais du père1, et tu résistes encore au flamenco de la non-mère, tu ne peux que dé-tourer toujours, tu dois curer à mort le duende sous le sol de toutes les cathédrales premières, sous l'auvent de pierre de toutes les sépultures collectives: curer, curer, le duende retranché. Et Thérèse la danseuse, et le gitan qui sculpte le violon, tous nous chantent et nous les chantons tous, brochette de nos inguérissables. Barbare de l'ermite, subtil du mystique: était-il beau, donc, le poète... Tour, chemin. Eux aussi s'appuient sur la douleur sans consolation, mais le duende permet lui toutes les émotions, et tue tout l'échafaudage du déjà. Déchire la voix, déchire les étreintes, nous déchire, nous, réseau de fissures2.

 



Une légère couche de cendres, l'ennui: jamais tu ne connaîtras le triomphe si tu n'as pas ta petite folie, follet, tourbillon qui explore l'au-delà de ta forme, si tu ne sens pas ce vent. Le duende ouvre à ces sonorités noires, et substance, et contenance: emplis du noir de source3. Aucun philosophe n'expliquerait donc le poète ? Le duende est dans ce que l'on perd, ma traduction n'est pas autorisée, elle est incompétente et pourtant totale, aucun d'entre-nous, aucun d'entre-nus n'a été autorisé, tous jetés à bas, ébahis, devenir de notre retour, en première instance pardonner à l'amour, lutte et non pensée, contagiosité du duende. Et pourtant chaque nouveau-né porte bien à lui seul toute l'épidémie, le duende monte du plancher par l'unique de nos pieds, vent du sang, nos veines de très vieille culture, toutes les artères, elles, peuvent bien pleurer, il n'y a aucun doute dans la poésie, déjà Luther jeta une bouteille d'encre à Nüremberg car tout était écrit, il y a bien trop de corps déjà-encore sur la carte d'ici.

 

 


Lutter avec le duende c'est échapper à nous-mêmes, entretenir cette lutte, étendre le conflit au coeur, cor, cora plutôt qu'à la nation illusoire des cicatrices déjà- à venir; le duende lui ne cicatrise pas, aucune forme, et un mouvement ne gèle pas. L'ange vole et guide, la muse dicte, lointaine, pensée sans propriétaire4, elle donne des formes, le poète reçoit des normes, la muse est malade de limites. Nous, ne voulons pas de formes mais la marche des formes, ce suspens inguérissable du corps. Alors est le duende. Le duende aime les bords de la plaie et s'approche des endroits où les formes se mêlent. S'emmêlent en une aspiration.

 

 

 

Danse et voix, musique et déclamation, le duende est changement radical sur toutes les formes, d'une tremblante échelle de larmes, évasion contagieuse, atteinte du je-ne-sais-quoi. Sourires trop sûrs des anges,  galbe si parfait de la muse: et victoire du duende, ce besoin de corps, besoin interne, jouissance, et corps qui s'y inter-prêtent, naissance perpétuelle de nouvelles formes, seul le présent exact des contours. Du sang frais dans un corps parfois vide, le duende est ce pays ouvert à la mort: le corps. Des cris qui remplissent notre mémoire de notre trépas, des chardons sur les pierres plutôt que l'humus, car à la terre l'amour est strate.

 


Au tout dedans le jardin auquel mon rêve m'aspire sera ma fin, tronc puissant, poussée de la graminée sur l'humeur, perte enfin de cette troisième dimension qui m'ôte encore à l'a-raison, la folie en oubli définitif du définitif de toute forme. Plus je n'irai, ayant atteint au manteau retourné. Berger enfin résolu du duende, tunique sensitive offerte et douces flammes au dedans, volutes d'absence au chemin blanc, aubes glacées par la lune, lunes étales de neige de ma pâture retrouvée. Absides rayonnantes toujours restituées, fouille à jamais achevée, plus rien à porter. Mort à la guitare à venir, comme un pèlerinage où tous les corps d'avant ton corps aussi seraient dans la procession, Asturies et révolte toute proche, très demain, transe sous les reliques en ce tout bord de mère, triomphe populaire de la mort: la muse grave encore l'épitaphe, mais déjà le poète  y vogue du duende vers son autre norme. Alors la muse, perverse dulcinée, s'en retourne au jardin que tu crois refuge, sous ta tonnelle tronquée, aux toujours ombres chaudes, et tout près les branches qui ne sont plus à couper.



L'Ange, qui voit le jardin et la mort, continue à tisser en couches lentes.



Le duende lutte au bord du puits avec celui qui crie. Le duende nous blesse, dans cette lutte franche, et c'est dans la guérison de cette blessure qui ne se ferme jamais que se trouve ce qu'il y a d'insolite, d'inventé dans ton oeuvre. Alors le poème baptise d'eau sombre tous ceux qui forent, qui percent, aiment, com-prennent. Ecrire c'est mourir5, et être sûrs d'être compris. Etre en ce pont fragile qui unit les cinq sens à leur centre de chair à vif, être en cet amour libéré du temps. Le duende circule bien en la Maya, réseau de limites, mais par toutes les blessures qu'il nous cause, masochistes de l'amour et du comprendre. Personne ne s'amuse de la souffrance des chairs muant de leurs formes, danse, corrida: le duende est sur le corps comme le vent sur le sable, et seul se courbe le troisième.




Le duende opère sur le corps de la danseuse comme le vent sur le sable.
Son pouvoir magique transforme une belle jeune fille en paralytique de la lune,
ou donne les roseurs de l'adolescence à un vieillard en haillons
 qui fait l'aumône dans les débits de boisson;
 d'une chevelure il fait naître l'odeur des ports nocturnes et toujours il agit sur les bras, dans des expressions qui sont mères de la danse de tous les temps.

 


Odeur d'un pont nocturne, marée à la paralysie de la lune, mères de la danse de tous les temps, toute répétition est impossible, toute répétition est inutile, toute sensation est déjà passée, se souvenir est retour à la muse, retenir est briser le jardin à venir, s'infléchir est rire de la septième vague. Matière ultime, matière intime, au point noir racine de tous les arts. La muse nous regarde, l'ange joue, le duende passe, baptême permanent des choses créées à l'instant.



Passe un vent de l'esprit qui souffle avec insistance sur la tête des morts,
 à la recherche de nouveaux paysages et d'accents ignorés;
 un vent qui sent la salive d'enfants, l'herbe écrasée et le voile de méduse.

 

 


Fin de l'Ode

 

 

 

 

1. Les chardons du Baragan

2. O. Lacombe, L'inconnu selon le Védanta

3. J. Bousquet

4. Bion

5. M. de Certeau

Partager cet article
Repost0

commentaires

Présentation

  • : septième vague
  • : promenade créative d'un mot l'autre, d'un auteur l'autre, d'une sensation l'autre, en route vers le Réel
  • Contact

Recherche

Liens