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12 mai 2009 2 12 /05 /mai /2009 20:38
Et bien, remonter l'échelle n'est pas plus aisé que de marcher de l'avant en voulant clamer un chant nouveau. "Attaquant" la lecture de Bergson à la source, après m'être imbibé de ses disciples (Deleuze, Cangilhem, et autres Dagognet, et j'en oublie), j'oscille entre l'émotion de la découverte archéologique du tesson de déjà dit - le maître avait donc tout compris, et tous ensuite ont perdu leur temps et m'ont abusé -  et celle, plus forte encore, mais hélas pas absolue,  de la certitude de l'existence de la céramique complète, indépendante du texte, et le traversant indépendamment des temps des auteurs, mais pas de ceux de mes lectures. C'est le lecteur qui crée, confronté au "supra-intellectuel", "gros de représentations", de ces guru déployés ici et là en imprévisibles pierres d'attente. Que le philosophe professionnel aura utilisé comme escalier trop régulier.



L'obligation morale
(in "Les deux sources")
suite:
quand la karuna
(compassion)
 devient maitri
(amitié pour tous les vivants)




La coordination logique est essentiellement économie (...);
elle exclut tout ce qui n'est pas en accord avec elle.
 La nature est au contraire surabondante.
Plus une société est voisine de la nature,
 plus large y est la part de l'accident et de l'incohérent.



Il existe bien pour Bergson des règles intuitives qui ne dépendent pas de la raison, de "vagues associations d'idées, superstitions, automatismes", une "essence de l'obligation", qui est interne et non imposée à un Soi entité indépendante comme le proposait Kant. Cette "essence"  est habillée, par la société, de la "conscience normale de l'honnête homme", et devient obligation morale1. Un lien instinctif entre tous les vivants est corollaire de cette essence de l'obligation, préalable au social, et seul ce lien naturel est transmissible au cours de l'évolution des espèces: l'exigence sociale ne vient qu'en engobe provisoire et bien imparfaite, même si "on voudrait laisser croire que la société humaine est dès à présent réalisée"2.


Le discours moral prévalent nous dit, poursuit Bergson, que le lien familial anticipe le lien national, qui lui même ouvrira à l'amitié pour l'humanité entière, par "une dilatation progressive du sentiment" (traversant ces cercles englobants de la maitri qui vont du Soi à Gaïa, dirait en substance un indianiste). Mais entre la société ou la nation et l'humanité, il y a une différence de nature et non plus de degré comme entre famille et société; les deux premiers cercles incluent le conflit avec l'Autre qui leur est étranger; le lien à toute l'humanité relève d'un "saut" et nous amène avec les mystiques dans un "au-delà du bien et du mal".


Ce mal, cette douleur, cette haine sont relégués par ce saut, avec la compassion, à la frontière (mobile et active) entre le sujet et le monde; cette compassion qui est pourtant outil nécessaire à l'élargissement progressif du premier cercle, cette douleur qui est interface entre deux états3 (peut-être successifs pour Bergson, mais noeud entre plateaux simultanés pour Deleuze4
).


"Un bond qui mène à une autre morale", non plus celle du social, imparfait bricolage, mais une morale complète, absolue. Et alors que la morale sociale est impersonnelle, la morale absolue est incarnée par un modèle, un saint, un guru (nous dit Bergson le philosophe chrétien). Alors que la morale sociale est loi, obligation, pression, "l'existence (de ces modèles) est un appel" qui tire le sentiment: ce "bond" dans la morale fait retour à la base instinctive, intuitive, essence.


Individu et société fonctionnent avec une "Âme close" (comme "la cellule qui meurt le fait pour l'organisme et donc pour elle"); individu comme société visent un objet qui les attire et cette stratégie n'exclut pas la haine, le mal en est même un des moteurs obligés; l'"Âme ouverte", qui s'étend à tous les vivants, à toute la nature, n'est pas dépendante d'un contenu mais est un mouvement qui se suffit à lui-même5, qui "s'élance plus loin et n'atteint l'humanité qu'en la traversant". La haine en est exclue, ne persiste que le lien-tissu d'amitié: la maitri s'est débarassée de la haine.


L'"Âme close" fonctionne sur le registre de la passion, qui vise aussi bien le plaisir que la peine, aspirant à l'objet, intellectualisation, représentation; l'émotion de l'"Âme ouverte" est plus tranquille, émotion musicale, sans objet, elle vous prend "comme des passants qu'on pousse dans une danse". Les guru en "attracteurs moraux"; des émotions complètes, qui ne s'attachent à rien, mais sont causes et non conséquences des états intellectuels, "supra-intellectuelles"6, créatrices de sentiments nouveaux.




Notes
1. Qui conduit au système totalitaire...
2. Mais qui parle donc ici: Bergson, Teilhard de Chardin ou Sri Aurobindo ?
3. Voir Qu'est-ce-que la philosophie ? de Deleuze et Guattari, ou La peau interdite de Dagognet; voir aussi apoptose/nécrose cellulaire: moment condensation/expansion de Deleuze.
4. Comme pour Canguilhem état pathologique et état physiologique sont présents dans un "degré zéro" du sujet.
5. En aval du "bond", le conflit freudien, et les pulsions de mort et de vie toujours entremélées; en amont, l'hylozoïsme oriental où tous les êtres sont reliés par les rasa; ici encore, peut-être l'apport proprement deleuzien est-il de comprendre ces deux fonctionnement concomittants et non pas séquentiels.
6. Le "bloc percept-affect" de Deleuze !
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B
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