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4 mars 2009 3 04 /03 /mars /2009 21:23
1. Des consommateurs de voyage organisé aux suspects de terrorisme



Stephan Zweig, qui ne survécut pas à son exil forcé,
ayant dû abandonner et son être et les siens au délire biopolitique nazi, avait eu une intuition visionnaire sur le tourisme de masse, alors qu'il voyageait en europe dans les années trente: il qualifiait les voyageurs de demain de "voyagés", alors que pourtant on en était seulement à la naissance de la civilisation automobile, du guide et des bornes Michelin... mais déjà en autant de signes annonciateurs des charters pour enclos à touristes de cette fin d'ère ,où tout se doit d'être programme: dans les années trente se définissaient l'exception et l'illégitimité du voyage libre.


Le volontariat n'est plus de mise pour organiser son voyage (horaires, visites, repas, compagnons, etc...) mais éventuellement pour se "défiler" au voyage:

Notice - Overbooking of flight -
Airline flights may be overbooked, and there is a slight chance that a seat will not be available on a flight for which a person has a confirmed reservation. (In this case) airline personnel first ask for volunteers willing to give up their reservation in exchange for compensation (etc...).
(Continental Airlines)



Pour ceux qui n'auraient jamais eu encore la chance de rôder
 aux limes étatsuniennes, barbelés aériens de la patrie en agonie de cette civilisation "automobile"
:
depuis le 11 septembre, le voyagé, de voyageur qu'il fut, est devenu terroriste présumé:


1. Avez-vous une maladie infectieuse, une pathologie physique ou mentale, ou êtes-vous utilisateur de drogue ou toxicomane ?

REMARQUE: VIH N'APPARAÎT PLUS EN TOUTES LETTRES MAIS C'EST BIEN DE LUI QU'IL S'AGIT
(et "si le virus est probablement d'origine africaine, l'épidémie, elle, est d'origine américaine", explique depuis longtemps Luc Montagnier, car elle est liée aux échanges - dans toutes les acceptations de ce terme - de la mondialisation libérale)


2. Ne pas sourire sur la photo du passeport

  CAR UN HOMO STANDARDICUS SOURIANT EST PLUS DIFFICILEMENT BIOMAÎTRISABLE
(et ça c'est une piste, le sourire...)
(une interdiction venue de G.W. Bush à laquelle Nicolf s'empressa de collaborer)

(bien sûr, en toute logique, le coût du passeport biométrique passe de 60 à 89 euros

)


3. Rien à boire, enlevez vos chaussures, enlevez votre ceinture !
et... bienvenue aux USA !!



Doit-on parler de retour en arrière, de changement de doctrine ? Non, le voyagé, qui est toujours commercialement désirable, est simplement poussé à un extrême, celui de la marchandise que l'on transporte, neutralisable, dans la règle universelle établie par l'Empire du business. Pour celui qui se veut encore voyageur, la désubjectification est totale dans ces zônes de non-droit de l'ego, aéroportuaires et inter-nationales.




2. Tourisme, migration, et autres oiseaux


La migration de l'espèce, y compris l'espèce humaine, est un phénomène naturel, mais que les états-nations, depuis 1914-18 en particulier, tentent de masquer, ne pouvant évidemment le juguler. Le migrant est une réalité sociale, un acteur à part entière du travail et du commerce internationaux; ces territoires circulatoires ont des dimensions historiques, l'énergie y circule et n'est pas du registre de la frontière, anachronisme anxiolytique, ni de celui du lien héréditaire:
 
Les pratiques migratoires ne marquent certes pas la fin des territoires, mais leur recomposition sur un mode circulaire et non plus statique. Les villes deviennent des synergies culturelles et des tremplins permettant d'autres déplacements, et non plus des sièges de départements d'états. Les migrations sont dotées d'une autonomie sociale qui échappe aux illusions politiques cherchant à les contenir1
.



Quelques définitions qui permettent de dédramatiser la situation de l'humanité (à l'intention des politiques):


En biologie, la migration se définit au niveau d'une espèce. Est dite sédentaire l'espèce (exceptionnelle) dont tous les individus sont sédentaires; est dite migratrice partielle l'espèce dont une fraction des individus migre, migratrice totale celle dont tous les individus, à des degrés divers, sont migrateurs. La migration stricto sensu est un aller-et-retour cyclique entre deux aires, l'une utilisée pour la reproduction, l'autre pour l'hivernage. Au sens large, la migration comprend l'émigration sans retour.

La plupart des migrants humains le sont également sur un mode circulaire (a minima, le retour est très souvent l'espoir du migrant; la "fixation territoriale" devient l'exception, la migration est un flux mondial et circulaire, à visée le plus souvent économique, à l'échelle de l'individu, ou parfois de la génération); il y  a en chacun de nous un désir migratoire plus ou moins assouvi: le sédentarisme est exceptionnellement la règle de l'espèce...


Je suis étrangère partout, mais... plus tu bouges... c'est quand je voyage que je me sens chez moi...
(désir d'exil et/ou traumatisme de l'apatride ?)



...et si le racisme (ou déjà cette peur de l'autre) se lovait dans ce noeud à la jonction de ce désir constitutif d'exil (resté inassouvi) et du traumatisme de l'exil (vécu dans un ailleurs agressif) ?


Freud arrivant à Londres, quittant l'Autriche devant le péril nazi (lettre à Max Eitingon, 7 juin 1938):
"Le sentiment de triomphe qu'apporte la libération s'agrège trop fortement au travail de deuil, car on continuait à beaucoup aimer la prison dont on a été libéré, et au ravissement qu'inspire le nouvel environnement, et qui pourrait vous pousser à crier "Heil Hitler", se mêle le malaise dérangeant qu'inspirent de petites singularités de l'environnement étranger (...)".



L'erratisme consiste en quitter son aire de reproduction, mais sans migrer au sens propre: il s'agit de mouvements d'amplitude réduite, en directions aléatoires, de juvéniles en prospection, et ce mouvement n'est pas lié directement au besoin alimentaire, comme dans la plupart des migrations aviaires nord ---> sud.

L'endroit où l'on nait doit devenir un lieu de départ, entendis-je il y  a quelques années sur les ondes de RFI...



Le nomadisme, autre migration partielle, est lui mouvement entre territoires alimentaires successifs, sur un mode souvent cyclique.



Retour au tourisme: le voyageur seul, autonome, sans créneaux horaires et boutiques à visiter-obligé,  sans bracelet-badge ou-collier-à-payer, est sans doute bien un erratique, tandis que le voyagé aseptisé et à horaires,
avant la danse-traditionnelle-bien-organisée entre transfert et dîner, transporté de musée en musée, épargné des ruelles vivantes, privé des heures qui s'allongent en lumières au soir des bouts du monde, entrerait dans un mode migratoire aller-et-retour des plus classiques. Parmi le gros milliard de migrants au sens large dans le monde, 900 millions sont touristes-au-billet-de-retour-dans-la-poche-arrière-droite-du-tour-operator, migrants courts, beaucoup trop courts, mais migrants quand même; et 200 millions sont migrants à long terme, mais parfois à courts trajets: contrairement aux touristes, de plus en plus de migrants à long terme sont simplement "déplacés" au sein même de leur pays par un événement politique, guerrier, ou naturel.


 Les touristes sont migrants courts, les migrants longs tendent à réduire leur durée de migration et à s'inscrire dans un processus circulaire et non statique géographiquement... où va la limite ???


Brouillons encore un peu les pistes: le parasite est-il biologiquement le migrant du temps, des générations (il accomplit sa phase sexuée chez un individu hôte, et sa phase asexuée chez un autre, alternant parfois des phases de transport passif (voyagé)) ? Toujours circulation entre individus biologiques, le Karma est-il parasitisme dans le temps des renaissances, cette fois la vie circulant directement, sans support anatomique, entre des individus, et non plus l'inverse comme dans la migration géographique des espèces ? Où est l'illusion ?





Et où me classerai-je finalement, moi qui vient de voyager pour raison ni personnelle, ni professionnelle, mais sexuelle (for mating, exactly ) ? Sans doute dans la classe des pélerins ou des missionnaires.


 Le passager, lui, devait d'abord découvrir sa cabine.
Aujourd'hui on troupe, on plage, on surfe, on espèce et on n'espère plus.
Seuls les missionnaires ne reviendront pas.
 Ne reviendront pas. Ils sont au bout du quai des secondes.

(d'après A. Londres, Marseille, Porte du sud)



Nous sommes (ou nous étions, 1930-2001), dans un monde d'hypermobilité/hyperinégalité


- ADELKHAH F. et BAYART J.F. (sous la direction de),
  Voyages du développement. Emigration, commerce, exil.  Paris: Karthala, 2008
- migraction, un site très didactique sur les migrations (aviaires, il va de soi) en France
- Un monde à l'envers, Atlas du Monde Diplomatique, 2009
- Marc Augé ("un ethnologue dans le métro", décrit bien le contraste entre d'une part le mouvement perpétuel, constitutif, de la migration humaine, fuite, exil, et d'autre part  ces îlots de résidence "obligés" que sont les villes, aux conditions difficiles, pour "ceux qui restent"... Ainsi, dans l'Amérique latine urbaine, le métissage est associé à l'isolement social. Et  à Paris, "muséification" des quartiers anciens, où il n'y a plus que des touristes de l'intérieur (les quelques privilégiés) ou de l'extérieur, alors que le coeur des villes est maintenant excentré, ou plutôt centré sur les gares RER et les aéroports. On revient à un concept de migrations, de trajectoires... mais urbaines, et ce que l'on appelait hier "ville" ne désigne plus la même chose qu'aujourd'hui (voir aussi Les passagers du Roissy express, de F. Maspero).

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