Arguments des berceaux...
Les épicuriens voient le plaisir comme le premier bien congénital, et la vie s'organiser autour du premier cri: recherche du souverain bien, répugnance du souverain mal. Toute une psychanalyse suivra...
Les stoïciens, à la recherche d'un comportement qui serait utile sans être plaisant, théorisent eux l'acquisition de la marche; c'est l'ipséité, la conscience de notre vie, la perception du fait d'être, et non la découverte des différentes parties de notre corps (reliée au plaisir/déplaisir) qui est le moteur. Stoïciens et hindous se sont certainement rencontrés alors: dès la naissance, les êtres humains se perçoivent eux-mêmes. Les stoïciens refusent les stimulants primitifs du plaisir et de la douleur qui soumettraient l'être à une pression extérieure; leur quête d'un "au-delà du bien et du mal" se fait a priori, et non a posteriori comme dans le passage mystique; le vivant est accordé à soi-même dès la venue au monde (théorie des berceaux) et cet accord, cette conjonction initiale aux choses doit être maintenue tout-au-long de la vie par l'action (dont la première est l'acquisition de la marche):
En possession de lui-même, le moi se tourne vers les choses, non afin de les posséder, mais pour,
à leur occasion, "s'approprier à soi-même"
(V. Goldschmidt, La théorie de l'action, in Le système stoïcien et l'idée de temps).
Ce défi à la représentation-possession de l'objet, par laquelle "l'autonomie du sujet détruit le réel représenté", cet "abandon du principe selon lequel tout sentiment implique une représentation de l'objet qui s'y trouve enveloppé", autorise une traversée de la douleur, qui n'est pas comme dans le bouddhisme étayée sur un renoncement au désir, mais sur le maintien de l'appropriation à son propre Soi au contact de l'objet, dans un mouvement auto-réflexif du Soi et du "Self", cette SÂTMYA spécifique des textes ayurvédiques (ou SA-ATMAN), cette OIKEOISIS stoïcienne, ce concept du "chez soi", d'ipséité, ce pôle à la fois de l'amour de soi et de la radiation au monde des vivants.
A la lecture de ce texte* sur les stoïciens, comme une reviviscence: de cette extase du passage à la marche ? Où alors une nostalgie du stade pré-debout ? Plaisir de l'absolue évidence, de l'animalité en expansion, "au-delà du bien et du mal"... "La nature obtient ses fins" et je me suis quelques instants réinscrit dans ce mouvement du vivant
(Reste le passage de l'idéation jouissive à l'écriture:
de la présence pure du nourrisson à l'angoisse de mort...).
Il semble que la conscience
soit en nous
liée
au désir sexuel
et à la faim;
mais elle pourrait
très bien
ne pas leur être
liée
On dit,
on peut dire,
il y en a qui disent
que la conscience
est un appétit
l'appétit de vivre;
et immédiatement
à côté de l'appétit de vivre,
c'est l'appétit de la nourriture
qui vient immédiatement à l'esprit;
comme s'il n'y avait pas des gens qui mangent
sans aucune espèce d'appétit;
et qui ont faim.
(...)
mais il y a une chose
qui est quelque chose,
une seule chose
qui soit quelque chose,
et que je sens
à ce que ça veut
SORTIR:
la présence
de ma douleur
de corps,
la présence
menaçante
jamais lassante
de mon
corps
Antonin Artaud
Pour en finir avec le jugement de Dieu
Habiter est le trait fondamental de la condition humaine: l'homme EST, pour autant qu'il habite; et habiter c'est ETRE PRESENT à un monde, à un lieu (...). Habiter, c'et rester enclos dans ce qui est parent, c'est-à-dire dans ce qui est libre et qui ménage toute chose dans son être.
Heidegger
Bâtir, habiter, penser