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8 janvier 2009 4 08 /01 /janvier /2009 17:02

La revue Cités N°36 titre "Le vertige du mal", et effectue un retour sur le "Coeur des ténèbres" du XXè siècle (racisme, nazisme et autres génocides...). Septième Vague livre ses  notes de lecture, autour de l'article "Figures de la pensée raciale" par P.-A. Taguieff.




L'idée de race a progressé en Europe depuis la fin du XVIIè siècle, et est devenue "norme" au cours du XIXè... Ploetz emploie le premier le terme "Rassenhygiene", concurrent de celui d'"Eugenik", en 1895. Le sociologue afro-américain W.E.B. Du Bois écrit de façon quasi-prémonitoire dès 1903: "Le problème du XXè siècle est le problème de la ligne de partage des couleurs".


Sans doute alors le XXè siècle et sa "Rassenhygiene" s'arrête-il au 4 novembre 2008. Mais l'Europe ne travaille-t-elle pas déjà à un élargissement du champ du racisme ? L'Etat autrefois s'intéressait aux lignes de partage des eaux, tentant de contrôler un territoire; au XXè siècle (qui pourrait commencer après la première guerre mondiale) il chercha à contrôler cette fois ses sujets, définissant donc des "sous-sujets", à exclure; est en route maintenant la "sécurisation" des "bons sujets", avec la percée d'une ligne de partage de la liberté, de la richesse et de la pensée. Spatialisation des états, puis leur biologisation au XXè, et la porte ouverte aujourd'hui au réductionnisme intellectuel: le territoire céda la  place à la nation, et demain au système.


A. de Gobineau dans son Essai sur l'inégalité des races humaines (1853), inégalité dont selon lui  "le contour forme une nation", développe une pluralité des races plutôt que l'unité de l'espèce humaine. Cette démarche s'inscrirait en démarcation du monothéisme biblique, dans le sillage des Lumières, et prétend à une "scientifisation" de l'histoire. La civilisation serait l'oeuvre d'une race supérieure, race actuellement en voie de dégénérescence,  de disparition, sous l'effet du métissage... A. de Tocqueville, dans sa lettre à Gobineau, en 1853, dénoncera ces doctrines raciales comme "l'un des plus dangereux membres de la famille des théories matérialistes".


Aujourd'hui le matérialisme-économisme englobe-emmure la pensée encore plus que les corps, les Centres de Rétention de la Pensée s'élèvent dans le "travaillez plus pour penser moins", l'image unique imposée a réussi l'exploit de l'écran plat obligatoire de Farenheit 451...


Du Bois prend en compte les différences raciales mais refuse le réductionnisme biologique des théoriciens racistes de l'époque, et récuse toute hiérarchie entre races: "des différences indubitablement ancrées dans le substrat physique, mais qui le transcendent à l'infini" (on pourrait dire en termes deleuziens qu'au sein de la strate d'"essence humaine" les interstrates ont toutes la même nature de distinction entre contenu et expression, et qu'encore ne l'auraient-elles pas, les strates ne sont pas des stades évolutifs ni spirituels, mais contribuent  toutes au plan du Réel).


Mais se développent les thèses de W. I. Thomas de l'antipathie raciale qui serait "invariable, irréductible", et du préjugé racial (repris d'ailleurs par Du Bois), qui nous viendraient d'un stade tribal de la société, et renvoient aux thèses communautarisme et d'identité collective.

La discrimination positive navigue sous gouverne de ce préjugé racial.


En France, C. Bouglé et E. Durkheim, dès 1897,
rejoints par l'anthropologue Manouvrier, contestent cette émergence de la "sociologie biologique", et empêchent la création d'une école française de raciologie... Mais le mouvement se poursuit "en langue allemande", car cette critique des théories raciales est marginalisée Outre-Rhin... Aux USA, il faut attendre la fin des années 1930 avec F. Boas et son école pour que soient dénoncée la non-scientificité du racisme.


En France, on verra cependant ressurgir l'aberration, au début du XXIè siècle, de la création d'un Ministère de l'Identité Nationale. Que peut bien être la notion d'identité, et quel est donc cet autre, non-identique ? Quelle est la ligne de partage, sinon de "couleur", de "bruit", ou d'"odeur" ? Quelle normalisation-purification de la population "nationale" recherche-t-on ?


Le racisme avait suscité peu d'intérêt pour les travaux des philosophes avant les études inaugurales de E. Voegelin (1933) et de H. Arendt (1944). P.-A. Taguieff distingue le racialisme, qui, basé sur le préjugé racial, se développe en orientations explicatives, et le racisme, dont les conséquences deviennent normatives et prescriptives. Deux catégories qui sans doute n'en sont qu'une...


Matérialisme scientifique, racialisme, libéralisme sont sur la même trajectoire linéaire présentée comme la seule voie à la société, au sein du réseau des possibles... Cette doctrine linéaire ferme l'avenir comme aujourd'hui elle semble nous fermer le monde... Trajectoire matérialiste un temps érigée en réponse à l'emprise du religieux, religieux qui aujourd'hui se radicalise, se révolte par ses extrêmes, apparaît au dogme en autre dogme menaçant...


L. Dumont, dans son célèbre ouvrage Homo hierarchicus, a défini en 1966 l'"idéologie moderne", ou espace des valeurs individualistes, comme à l'origine de la pensée raciale. Pour lui,
il y a antinomie fondatrice entre égalité et hiérarchie, et la maladie totalitaire est à la conjonction de l'individualisme et du racisme. Selon E. Voegelin aussi, le totalitarisme est l'expression extrême de la modernité, gouvernée par une pathologie spirituelle, double fermeture (au sens bergsonien) de l'âme et de la communauté au fondement transcendant de l'existence humaine. Fermeture qui, en cherchant à extérioriser le "mal", expose à la douleur...


Individualisme et racisme sont enfants du libéralisme, du consumérisme. Aujourd'hui, de plus, revient en France, depuis l'assimilation à des fins électorales par les partis "démocratiques" aux mains des médias, des terreurs frontistes du "déferlement de l'étranger",  un racisme déguisé en "sécuritarisme". Attention, danger: tous les agents de la maladie totalitaire sont là. Il y a un autre remède que celui de l'intégrisme religieux, c'est celui de l'insurrection des consciences, et c'est l'appel de Septième Vague !


P.-A. Taguieff conclut en s'inquiétant des conséquences possibles de l'émergence d'un racisme culturel, "subtle racism", "racisme symbolique", et non plus biologique comme le fut le racisme stricto sensu dont l'horreur culmina au XXè siècle. Faut-il vraiment élargir le champ du racisme, nous demande-t-il ??? Donner de nouvelles prises aux dangers de l'"éloge de la différence" ?

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