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3 décembre 2008 3 03 /12 /décembre /2008 20:47

Le poète nous donne de nouveaux indices.



Joë Bousquet, blessé par balle à la colonne vertébrale en 1918, paraplégique, privé de son corps, va développer, quand il acceptera l'absence de son enveloppe charnelle, une perception du monde d'une extraordinaire acuité.link


En exergue de son recueil de poèmes La connaissance du soir (Gallimard, 1947), il écrit ces mots:



Il n'a ni droite ni gauche un squelette en quête de ses os
(...)
On dirait que son corps est fait avec les larmes des autres
Il est la déchéance de ce qu'il aime
(...)
Mais il existe une femme si belle que son malheur ne le suit pas jusqu'à sa porte
c'est elle qui l'endort c'est elle qui l'éveille



"En quête de ses os", Joë Bousquet évolue hors de l'espace ("ni droite ni gauche"; et plus loin: "Où tu seras debout l'espace ne sera plus"); ce sont "les larmes des autres" qui lui donnent une consistance: on retrouve là le principe liquide de la triade hindoue,qui fait fonctionner le corps, tandis que son corps physique n'est plus que déchet, déchéance, résidu de la vie biologique, est que ce qui l'anime encore est la beauté, qui non seulement est antalgique par excellence, mais est la parole de l'autre, le principe vital ( Ω = log Os ):  Bousquet vécut en effet, aprés sa mort physique, une histoire d'amour d'une exceptionnelle intensité.

Chez les Aleut d'Amérique du Nord, lors d'un deuil, on étaye de façon préventive les articulations du conjoint survivant pour qu'il "tienne", la parole ou l'image de l'autre ne tenant plus le corps debout  (A. Dillard, L'amour des Maytree, Christian Bourgois, 2008, voir terre des oms, et le contact direct peau à peau étant également perdu, ces deux seules formes d'interaction entre sujets. Dans le sentiment océanique, béatitude de la non-douleur, rien ne se tient, plus de formes.

On pourrait penser que Bousquet, acceptant le "lâcher-prise" par rapport à son corps mutilé, a traversé en accéléré, dans cette ascèse obligée, la "méditation de l'horrible" de l'antiquité grecque ou du bouddhisme, dans laquelle la beauté des corps devait être considérée comme masquant l'apparence rebutante du futur cadavre, l'attrait d'un plat la décomposition de l'animal cuisiné, etc... Cette première phase "négative" est le prérequis indispensable pour se dépassionner, se détacher du monde, permettant de travailler ensuite pleinement la méditation positive, et l'échappement au caractère limité de l'individualité (L.  de La Vallée Poussin, La Morale Bouddhique in link).

Privé de corps, immergé dans l'esprit de la beauté, le poète reste métaphoriquement en quête de ses os, interface vers la survie inorganique.




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commentaires

M
Merci pour la belle découverte qu'est cet article :-)
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P
<br /> merci à toi et à joe bousquet ! à bientôt<br /> <br /> <br />

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  • : septième vague
  • : promenade créative d'un mot l'autre, d'un auteur l'autre, d'une sensation l'autre, en route vers le Réel
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