Dans les conceptions asiatiques, notre corps fait partie d'un corps vivant cosmologique qui l'englobe, et est régi par les mêmes forces. Ces énergies ou souffles (chi, prana) circulent dans le corps humain le long de douze canaux ou méridiens qui relient les tissus internes et la périphérie de l'organisme, où ils correspondent aux points d'acupuncture. Deux méridiens médians supplémentaires forment une double spirale autour de la colonne vertébrale, et canalisent l'énergie de la kundalinî, qui s'exprime au niveau de sept noeuds ou "chakras" (cakra), centres permettant de recevoir, transformer ou émettre le souffle (chi) , les humeurs (rasa) (en particulier lors de modes d'expression impliquant le corps: théâtre, danse, sexualité, etc...): chakras et extrémités périphériques des méridiens sont notre interface, notre connexion à cet environnement vivant qui nous englobe.
Le yoga, et en particulier le yoga de la Kundalinî, a pour objectif de relier, de connecter le "non-moi" et le moi conscient, de réaliser l'unité du brahman (l'absolu) et de l'âtman (le soi). La représentation du corps s'y fonde sur les cinq chakras, reliés par des canaux ou nâdî, images du corps subtil, et associés à différents niveaux de conscience. La Kundalinî est dans cette symbolique un serpent lové autour de la colonne vertébrale, qui repose assoupi dans le chakra inférieur; il s'agit d'éveiller la Kundalini et de favoriser son ascencion. Lorsqu'elle atteint le chakra le plus élevé, l'union s'effectue.
Selon M. Eliade (Patanjâli et le yoga, 1962), qui rapporte une véritable physiologie de la mystique, les nâdî ou canaux du corps subtil véhiculent l'énergie vitale, tandis que les cakra (étymologiquement, cercles, disques), sont centres de l'énergie cosmique. Trois nâdî sont fondamentales dans la pratique du yoga: idâ qui débouche dans la narine gauche, pingalâ dans la droite, et qui portent les deux souffles, prâna et apâna; susumnâ qui débouche dans la suture frontale et mène la Kundalinî au brâhmarandhra, au sommet de la tête, où s'achève l'union finale de Civa et Cakti dans le tantrisme, pratique qui accélère l'ascencion de la Kundalinî, en obtenant l"'immobilité du souffle, de la pensée, et du semen". La véritable union sexuelle est celle de Paraçakti (Kundalinî) avec l'Atman. Lors du réveil de la Kundalinî, obtenu par arrêt dans la respiration (voir le Sam dans la danse classique indienne), la partie inférieure du corps devient inerte et glacée (cf. aussi l'état de mort apparente des chamanes lors de leurs voyages), tandis que la partie traversée est elle brûlante.
Avec le réveil du soi (mûlâdhâra, premier chakra, situé entre organes génitaux et anus), vient la souffrance de la montée en conscience, puis des désirs (second et troisième chakras). A mi-distance entre le premier (MULA) et troisième (NABHI) chakra se situe une zône primordiale pour toutes les disciplines basées sur les arts martiaux, la méditation, le chi, la performance théâtrale, etc..: il s'agit de "the roots of the navel", ou NABHI MULA, second chakra, correspondant pour certains à un plexus nerveux du système sympathique associé au tube digestif, indépendant dans une certaine mesure du système nerveux central, et sur lequel agiraient directement les RASA, véhicules humoraux de l'émotion objective. Ces émotions fonctionnent dans le monde autonome de la perception, délivrée de la représentation issue du cortex (une structure apparue plus tardivement au cours de l'évolution que le système nerveux végétatif), représentation qui est instrument de la MÂYÂ. Le quatrième chakra, ANAHÂTA, atteint par peu de pratiquants, correspond à la pensée, à la vie détachée des émotions: notre propre vie est devenue objective, participant au PURUSHA ultime (monade spirituelle, pure conscience). A ce stade, on a atteint le soi cosmique mais sans s'y identifier encore, ce qui serait l'état du cinquième chakra, celui du monde réel.
Anatomiquement, on distingue 6 ganglions ou plexus principaux, de bas en haut, dans le système nerveux autonome ou "végétatif" (encore une fois, il n'y a pas d'équivalence connue à ce jour du 7è chakra, non-assimilable à une fonction anatomique):
- niveau sacré: nerf pelvien et plexus vésical (vessie et organes génitaux externes, côlon)
- niveau lombaire: ganglion mésentérique inférieur (côlon)
- D5/D10: nerfs petit et grand splanchnique et ganglions mésentérique supérieur (côlon, surrénales, intestin grêle); ganglion coeliaque (estomac)
- D1: ganglion stellaire (coeur, trachée, poumons)
- C1/C5: ganglions cervicaux moyen (coeur) et supérieur (glandes salivaires, lacrymales, oeil, épiphyse ou glande pinéale)
- des projections du parasympathique du tronc cérébral (base du cerveau) se font également vers de nombreux organes, sauf les organes génitaux externes.
Un parallèle a été proposé entre chakras et activités régulée des glandes endocrines (système hypothalamo-hypophysaire et chakra supérieur (le 6é chakra, ou troisième oeil, correspond donc en quelque sorte à notre "rétine endocrine") ; thyroïde et thymus et cinquième chakra; pancréas et surrénales pour les chakras médians; glandes sexuelles pour les chakras inférieurs. Mais dans la conception indienne il s'agit d'un englobement successif de fonctions, de bas en haut, et pas d'une commande informative hiérarchisée de haut en bas.
Par ailleurs, des afférences sympathiques, quel que soit le niveau, gagnent depuis ces plexus les vaisseaux de l'ensemble du corps et notre tégument (muscles des poils, glandes sudoripares).
Selon C. G. Jung, qui en a tenté une "reprise" en termes psychologiques occidentaux, certaines situations psychopathologiques pourraient être en réalité des expériences inconscientes d'éveil de la Kundalini. "On se retire des émotions; on ne fait plus un avec elles. Lorsqu'on parvient à se souvenir de soi-même, à établir une différence entre soi-même et ce déchaînement de passion, on découvre alors le Soi; (...) S'individuer, c'est devenir cette chose qui n'est pas le moi" (C.G. Jung, Psychologie du Yoga de la Kundalini, Albin Michel, 2005).
Devenu dans le début des années 60 un des "papes du new age", Jung aura cependant (ou malgré tout) eu le mérite de nous obliger à discuter le soi-ego de la psychanalyse, en le confrontant au "mixing-self", au soi humoral de l'Inde (voir l'ÂTMAN et la notion de soi en Inde). Sans doute y-a-t-il une relation entre son concept d'inconscient collectif (une des origines de son rejet par l'establishment psychanalytique) et celui, indien, d''intrication de l'homme au monde des vivants, et de traces mnésiques (voir le MANÂS, l'esprit, est l'auteur des mondes) persistantes d'une vie à l'autre. Par contre une critique majeure que l'on peut faire à son oeuvre théorique est celle de l'immuable des "archétypes", vision en adéquation avec le structuralisme alors ambiant, outil intellectuel aujourd'hui dépassé, et qui aurait pu selon Jung autoriser une forme de divination par les rêves (dans la pensée indienne, les différents niveaux de conscience qui existent simultanément (et non diachroniquement) en état de veille, de sommeil, ou d'extase, ne sont que des modes "adaptatifs", "context-sensitive", à facettes, de notre fonctionnement psychique, et pas des manifestations paranormales).
A Septième Vague, nous sommes "jungiens non structuralistes": l'inconscient collectif: oui ! les archétypes: non ! (étant admis cependant que toute dichotomie en oui/non masque un système au moins ternaire...)